Page précédente Table des matières Page suivante


DEUXIÈME PARTIE: STRATÉGIES VISANT À ENCOURAGER LE BOISEMENT PAR LES POPULATIONS RURALES


CHAPITRE 4 DÉFINITION DE STRATÉGIES POUR LA FORESTERIE PAYSANNE ET LA FORESTERIE COLLECTIVE
CHAPITRE 5 STRATÉGIES DE FORESTERIE COLLECTIVE
CHAPITRE 6 FORESTERIE PAYSANNE POUR LA CONSOMMATION FAMILIALE
CHAPITRE 7 SYLVICULTURE PAYSANNE AXÉE SUR LA VENTE

CHAPITRE 4 DÉFINITION DE STRATÉGIES POUR LA FORESTERIE PAYSANNE ET LA FORESTERIE COLLECTIVE


4.1 Définition des objectifs d’un programme
4.2 Stratégies de foresterie communautaire
4.3 Définitions et méthodes d’approche

Ces dix dernières années, de nombreux programmes ont été lances pour promouvoir le boisement par les populations rurales. La plupart de ces projets n’en sont encore qu’au début de leur mise en application, mais on a déjà beaucoup appris sur les possibilités de divers types d’actions et sur les problèmes liés à leur introduction.

Les objectifs, comme les méthodes de mise en oeuvre, varient beaucoup. Certains programmes ont situé leur objectif - le boisement - dans un cadre social et écologique aussi vaste qu’ambitieux. D’autres visent à encourager les exploitants agricoles individuels a planter des arbres; ils ont pour principal objectif d’accroître la production de bois et d’autres produits forestiers pour la consommation familiale ou la vente sur les marchés.

L’engagement de la collectivité est souvent considéré comme un moyen d’élargir l’éventail et la distribution des avantages du boisement car il permet d’exploiter de façon productive les terres domaniales et collectives et de faire participer les paysans sans terre et les pauvres. Parmi les objectifs spécialement visés par de nombreux programmes se trouvent aussi le renforcement des institutions locales et la création d’emplois.

Travail collectif en faveur des arbres

Les programmes varient donc considérablement. Néanmoins, à la lumière de l’expérience acquise, on peut maintenant distinguer différentes tactiques, possédant chacune des possibilités et des limites propres, sans pour cela s’exclure mutuellement. On peut concevoir - comme on le fait d’ailleurs souvent - des combinaisons de plusieurs stratégies de base dans le cadre d’un seul programme ou au sein d’une région donnée.

4.1 Définition des objectifs d’un programme

Toute stratégie visant à encourager la population locale a prendre en main la gestion de ses arbres et de ses forêts doit se fonder nécessairement sur un ensemble d’objectifs bien définis et cohérents. Dans le passé, nombre de projets de boisement en milieu rural étaient qualifiés au départ de projets de “foresterie communautaire” ou de “foresterie au service des collectivités locales”.

Généralement, l’expression “foresterie au service des collectivités” sert à désigner tout projet forestier de type industriel, de conservation ou rural, qui tente de maximiser les bénéfices qui reviennent aux habitants de la localité. La foresterie communautaire tombe dans cette catégorie; elle a été définie en 1978 par un groupe d’experts internationaux et cette définition est toujours valable:

“On entend par foresterie communautaire toute situation dans laquelle des populations locales sont étroitement associées a une activité forestière. Le terme embrasse toute une gamme de cas, depuis l’établissement de parcelles boisées dans les régions qui manquent de bois et d’autres produits forestiers pour les besoins locaux jusqu’aux activités de collectivités forestières, en passant par le boisement au niveau de l’exploitation agricole comme culture de rente et la transformation de produits forestiers au niveau du ménage, de l’artisanat ou de la petite industrie. Sont exclues de ce terme les grandes entreprises forestières industrielles et toute autre forme de foresterie qui ne contribuent au développement des collectivités que par le truchement de l’emploi et des salaires. Sont comprises par contre les activités des entreprises industrielles forestières et des services forestiers publics qui favorisent et facilitent les activités forestières au niveau communautaire. Les activités englobées par le terme sont en principe compatibles avec tous les types de propriété foncière. Bien que cette définition ne donne ainsi qu’une idée partielle de l’impact des activités forestières sur le développement rural, elle recouvre la plupart des effets que la forêt, ainsi que les biens et services qu’on en tire, exercent directement sur l’existence des populations rurales.” (FAO, 1978).

Peu à peu, on a reconnu que même “foresterie communautaire” est une expression générique et que l’aspect social de ces projets forestiers correspond non pas à un objectif particulier mais plutôt à un groupe d’objectifs. On peut distinguer un certain nombre de directions générales:

-- donner aux familles rurales les moyens d’obtenir certains produits forestiers et ligneux indispensables, ou faciliter leur accès à ces produits;

-- faire participer davantage les populations rurales à la gestion des forêts et des ressources ligneuses afin de renforcer leur autosuffisance;

-- utiliser les ressources humaines pour mieux aménager les terres dégradées et marginales et enrayer ainsi le processus de déboisement et de dégradation de l’environnement;

-- contribuer au développement socio-économique global des populations rurales par la création d’emplois, la mise en place d’institutions et la promotion de la croissance économique;

-- essayer de répondre aux besoins et aux aspirations des hommes et des femmes appartenant a certains groupes ruraux défavorisés, comme les paysans pratiquant l’agriculture de subsistance, les pasteurs nomades et les paysans sans terre;

-- augmenter la production globale de bois et d’autres produits forestiers pour compenser des déficits croissants.

Distribution de jeunes plants pour répondre aux besoins des populations

Certains de ces objectifs peuvent sans doute être compatibles et se renforcer mutuellement; mais il faut reconnaître que parfois ils s’opposent. Par exemple, quand on reboise des terres agricoles dénudées et surexploitées pour améliorer l’environnement on peut n’obtenir qu’une production médiocre de produits forestiers du fait des mauvaises conditions de croissance. Ces projets n’auront donc guère d’intérêt financier pour des petits propriétaires qui cherchent à obtenir des produits forestiers destinés à la vente. Même si les petits propriétaires pratiquent la foresterie pour répondre à une demande spécifique du marché, il sera sans doute difficile de faire participer toute la population et surtout les pauvres et les paysans sans terre. En définitive, un projet donné peut ne pas avoir le même effet sur les divers secteurs de la population rurale.

Planter ensemble

Il faut aussi comprendre que certains objectifs peuvent être atteints par la plantation de quelques arbres autour des habitations tandis que d’autres impliquent l’établissement de zones boisées conçues comme des écosystèmes complets et bien organisés. Ainsi, un arbre, même isolé, peut fournir du bois, du fourrage ou des fruits; par contre, le rôle écologique d’une forêt dépend du bon fonctionnement d’un peuplement dense d’arbres qui constitue une unité écologique. Même la plantation d’arbres sur des terrains privés peut nécessiter l’accord de la communauté pour organiser la protection contre les incendies et les dégâts causés par les animaux.

Ainsi, quand on définit les objectifs et les stratégies de programmes qui impliquent la participation des populations rurales a la gestion des forêts et des arbres, il est indispensable d’identifier les résultats recherches ainsi que les groupes qui devront en bénéficier et de les relier dans un cadre logique de conception d’un projet. Dans bien des cas, il faut faire un choix entre la contribution active des projets au développement socio-économique général et l’organisation rationnelle de productions forestières répondant a des besoins précis. Il est essentiel en outre que chaque composante du projet proposé soit analysée séparément en fonction des objectifs que l’on peut raisonnablement lui assigner.

L’importance relative des objectifs multiples des projets de boisements ruraux sera, finalement, déterminée par diverses conditions socio-économiques, politiques et écologiques. Une analyse correcte de ces facteurs est nécessaire avant l’élaboration de stratégies propres à encourager le boisement. Il appartient aux responsables des politiques et aux planificateurs d’élaborer des plans de développement généraux et des priorités bien définies pour l’utilisation du capital et de la main-d’oeuvre dans le domaine du boisement en milieu rural; il sera alors possible de concevoir des programmes cohérents et bien articulés. Ces programmes doivent dégager les problèmes qui ont une importance vitale pour les populations rurales - comment utiliser et protéger les terres, quels secteurs de la société doivent bénéficier des efforts de développement, comment répondre aux besoins des populations rurales dans le domaine forestier - et prévoir ensuite des moyens appropriés pour s’attaquer à ces problèmes.

4.2 Stratégies de foresterie communautaire

Outre la définition correcte des objectifs du programme, plusieurs autres facteurs interviennent dans l’élaboration des stratégies propres à stimuler les populations locales à planter des arbres ou à s’engager dans d’autres activités forestières (voir figure 4.1). Deux questions interdépendantes sont étroitement liées a la définition des objectifs du projet: premièrement, quelles sont les personnes ou institutions responsables au premier chef de la gestion? Deuxièmement, comment sont définies et organisées la maîtrise, l’utilisation ou la propriété des arbres et des ressources en terre?

D’une façon générale, la maîtrise des ressources en arbres et en terre appartient soit à la communauté (notamment aux associations collectives), soit à des privés, comme des ménages ou des particuliers, soit encore au secteur public. L’étendue du pouvoir de ces groupes est fixée par des dispositifs juridiques et institutionnels complexes, des traditions, des cultures, des systèmes de classes sociales et des régimes fonciers.

La conception du programme définit en fait les responsabilités en matière de gestion forestière. Ces responsabilités vont définir à leur tour le type de stratégie de développement poursuivie; mais elles risquent d’être influencées par les régimes de propriété et de contrôle des terres et des arbres. En dehors des activités gérées par le secteur public, la responsabilité première en matière de gestion des terres et de la plantation d’arbres revient à la communauté ou à des groupes, aux particuliers et aux ménages.

Tableau 2.1
Options stratégiques pour les actions forestières communautaires


Maîtrise/Propriété des terres

Privée

Collective

Publique

Collective

1.

2.

3.

Gestion des ressources en arbres et en terres


Privée

4.

5.

6.



Stratégie de gestion

Caractéristiques

Foresterie collective et a base communautaire

1. Culture d’arbres sur terrains prives, organisée par des institutions communautaires


2. Plantations collectives sur des terrains communaux


3. Terrains publics alloués a des projets de foresterie collective et sur base communautaire

Foresterie paysanne

4. Boisements ruraux privés et d’arbres autour des habitations


5. Plantations d’arbres entreprises de façon privée sur des terrains collectifs ou appartenant à la communauté


6. Plans d’allocation de terrains publics à la foresterie privée


Tableau 2.2 Elaboration de stratégies pour les actions forestières communautaires

4.3 Définitions et méthodes d’approche

Les activités forestières communautaires entreprises à ce jour peuvent se classer en trois grandes catégories:

- activités forestières collectives;
- activités forestières sur petites exploitations pour la consommation familiale;
- activités forestières sur petites exploitations en vue du marché.

Dans chacune de ces catégories, les objectifs et les méthodes peuvent beaucoup varier. Néanmoins, chacune possède des particularités importantes.

Ces enfants sont fiers des plants de la pépinière de l’école

On parle de foresterie collective lorsque les membres de communautés rurales ou de groupes d’utilisateurs participent activement à la planification et à l’exécution des projets. Cette catégorie comprend également des projets basés sur les activités d’organisations communautaires comme les écoles ou les coopératives qui peuvent établir des pépinières ou planter des arbres sur des parcelles privées, petites ou morcelées. La foresterie collective peut comprendre des projets exécutés sur des terres communautaires, sur des terres allouées par l’Etat au boisement ou sur des terrains privés exploités collectivement.

Foresterie paysanne pour la consommation familiale

La foresterie paysanne sur petites exploitations dont la production est destinée à la consommation familiale comprend des programmes visant à favoriser le boisement par et pour les exploitants et leurs familles. Ces programmes ont parfois pour but d’accroître la disponibilité de bois de feu, de poteaux de construction, de fourrage ou d’autres produits forestiers; dans d’autres cas on cherche avant tout a protéger l’environnement en plantant des arbres pour lutter contre l’érosion ou augmenter la fertilité du sol.

Par foresterie paysanne pour la vente on entend les programmes dont le principal objectif est d’encourager les exploitants à planter des arbres comme culture de rente. Dans la plupart des cas, les arbres sont plantés sur des terres privées mais les agriculteurs peuvent aussi les planter sur des terrains publics ou appartenant à la communauté s’ils en ont obtenu l’usufruit.

Teck planté à des fins commerciales

Quelles que soient les différences qui les séparent, tous ces programmes ont en commun l’intention de faire participer activement les populations rurales et de tenir compte de leurs idées, de leurs besoins et de leurs aspirations. C’est avant tout cette caractéristique qui différencie la foresterie communautaire des activités forestières classiques.

Dans la mesure où les projets encourageant la participation et la gestion par les populations rurales réussissent, les services forestiers sont à même de réaliser leur fonction technique et de soutien au lieu de se charger de l’exécution. Il faudra peut-être recourir à des services différents selon les stratégies choisies, en fonction des contraintes locales qui s’opposent au boisement.

Par exemple, dans le cas de stratégies collectives, il peut être nécessaire d’affecter des terres domaniales aux plantations collectives et de mettre en place des mécanismes pour garantir aux participants les fruits de leur travail. Dans le cas de la foresterie paysanne destinée à la consommation familiale, le plus important peut être de définir soigneusement les options techniques pour qu’elles s’intègrent dans le système de production agricole. Pour les activités forestières orientées vers le marché, ce sont les renseignements sur les débouchés commerciaux et le crédit qui seront les plus utiles.

Quelquefois, les forestiers sont à même de mettre les populations rurales en contact avec des organismes déjà existants capables de leur fournir les services requis; dans d’autres cas, il faudra créer de tels organismes de soutien. Mais les forestiers doivent toujours être à l’écoute des besoins locaux et prêts à indiquer ou à mettre en place des actions techniques ou des programmes propres à appuyer les efforts locaux de boisement.

Figure 4: Modelés d’organisation de projets d’activités forestières communautaires

CHAPITRE 5 STRATÉGIES DE FORESTERIE COLLECTIVE


5.1 Exemples d’activités collectives de boisement
5.2 Contraintes à la foresterie collective
5.3 Possibilités des systèmes collectifs de boisement

Théoriquement, les programmes collectifs sont du plus haut intérêt. Ils donnent, en principe, aux personnes sans terre le moyen de planter des arbres et donc d’obtenir des avantages qui, autrement, seraient réserves aux propriétaires fonciers. Certains sont conçus spécialement de manière à avantager les pauvres.

Il s’agit là, en outre, d’une des rares stratégies permettant de s’attaquer au problème de la dégradation des terrains collectifs, dégradation qui est due aux pressions multiples et concurrentielles imposées par les habitants. Moyennant une certaine coopération, il est parfois possible d’organiser des actions concertées pour protéger ces terres, en accroître la productivité et arrêter leur transformation progressive en terres incultes.

Parmi les entreprises récentes de foresterie collective, la mieux connue est sans doute celle du mouvement Chipko. Né dans la région himalayenne du nord de l’Inde, il fut lancé parce qu’un certain nombre de personnes ayant le même intérêt dans les ressources ligneuses s’aperçurent qu’en s’organisant ils pourraient mieux influer sur les forces économiques et politiques qui géraient mal leur environnement physique. Le mouvement se fit connaître publiquement pour la première fois en 1973 quand ses membres protestèrent contre les coupes d’arbres effectuées à des fins commerciales dans les forêts où ils vivaient. Ce mouvement s’est élargi et s’occupe maintenant d’un certain nombre de problèmes liés a l’environnement ainsi que d’activités forestières et notamment de boisement (Agarwal et Anand, 1982).

D’autres programmes de foresterie collective ont été entrepris sur l’initiative de groupes locaux, ou encore moyennant un degré élevé de participation et de contrôle de la part de la collectivité, généralement la ou il existe déjà de solides institutions ou traditions d’aménagement collectif des ressources naturelles. Ils tendent le plus souvent à utiliser des terres qui appartiennent directement à la collectivité ou des terres domaniales spécialement désignées pour être gérées par la collectivité. La plantation et l’entretien des arbres incombent avant tout à la collectivité ou a un groupe communautaire, l’organisme promoteur se bornant essentiellement à faire office de catalyseur ou à apporter un soutien technique.

Le département des forêts entreprend parfois lui-même des activités de boisement. Il fournit des apports tels que engrais et jeunes plants, sans que la collectivité ait à contribuer de quoi que ce soit. En pareils cas, la collectivité locale a surtout un rôle passif et se limite d’ordinaire à louer la main-d’oeuvre pour les opérations de plantation et à accepter de coopérer à la protection des jeunes arbres. Certains de ces projets, relevant davantage des services forestiers, ont été instaurés avec l’espoir d’en remettre peu à peu la gestion à la collectivité, mais cela s’est rarement produit.

Le plus souvent, les activités de foresterie collective se situent quelque part entre ces deux extrêmes. Les programmes les plus récents impliquent presque toujours une certaine forme de participation permanente tant de la collectivité locale que de l’organe initial d’exécution. C’est souvent ce que l’on fait pour tenter de pallier les faiblesses des systèmes de gestion entièrement fondés sur l’auto-assistance ou relevant entièrement du “département”. Dans ce cadre général s’inscrit une vaste gamme d’expériences différentes.

5.1 Exemples d’activités collectives de boisement


5.1.1 Renforcement des systèmes traditionnels de foresterie collective au Népal
5.1.2 Introduction des boisements dans l’aménagement des terrains collectifs en Inde
5.1.3 Choix de la collectivité entre plusieurs utilisations des terres au Sahel
5.1.4 Boisement par des coopératives villageoises en Corée

5.1.1 Renforcement des systèmes traditionnels de foresterie collective au Népal

L’aménagement de boisements collectifs autour des villages se pratique depuis longtemps dans quelques communautés des collines du Népal. Les systèmes traditionnels prévoyaient en général la protection de certains types de forêts très prisées pour leurs produits, comme la litière des chênais, le fourrage des forêts de chataîgners ou de Shorea robusta, ou encore le bois de feu fourni par les émondages des peuplements de Shiima walichana. Chaque membre du groupe utilisateur contribuait au paiement en nature des gardes-forestiers et récoltait les produits conformément aux règlements arrêtés.

Cependant, en 1957, le gouvernement nationalisa toutes les forêts, dans l’intention d’introduire un système d’aménagement forestier plus intensif. Au même moment fut établie une législation sur l’utilisation des sols qui déclarait terres forestières les terres adjacentes laissées en jachère depuis au moins deux ans. Dans certains cas, les forêts qui n’étaient plus désormais sous la juridiction des collectivités se dégradèrent rapidement et le gouvernement ne parvint pas à instaurer un contrôle officiel réellement efficace (Molnar, 1981).

En 1978, le gouvernement passa une nouvelle loi dont l’application progressive commença à inverser le processus de nationalisation en rendant peu à peu le contrôle des forêts aux populations locales. Contrairement aux anciens systèmes collectifs traditionnels, la gestion devait être confiée à l’échelon administratif local le plus bas, le panchayat. Le gouvernement énonça toute une série de règles et de directives d’aménagement destinées a aider les panchayats à gérer les terres forestières. Pour mettre en place les services de soutien nécessaires à la réalisation de ces réformes, une nouvelle Division de la foresterie et du boisement communautaires fut créée au sein du Département des forêts.

Deux nouveaux modes de gestion des terres furent introduits afin de clarifier les relations juridiques qui pourraient s’établir entre les panchayats et les forêts: la Forêt de panchayat (PF) et la Forêt protégée de panchayat (PPF).

Tableau 3
Systèmes de contrôle utilises dans l’aménagement forestier traditionnel

Fondements des règles collectives

Exemples

1. Récolte de certains produits seulement

- Arbres: bois d’oeuvre, bois de feu, aliments (fruits, fruits à écale, graines, miel) fourrage compose de feuilles, fibres, humus de feuilles, divers produits forestiers moins importants (gommes, résines, teintures, boissons alcoolisées, feuilles de plaques, etc.)
- Herbe: fourrage, chaume, corderie
- Diverses plantes sauvages: herbes médicinales, aliments (tubercules, etc.), bambous, etc.
- Diverses plantes cultivées: cultures de montagne (maïs, mil, blé, pomme de terre, légumes), fruits, etc.
- Faune sauvage: animaux, oiseaux, abeilles, divers insectes, etc.

2. Récolte selon l’état du produit

- Stade de croissance, maturité, vivant ou mort
- taille, forme
- densité du peuplement, espacement
- saison (floraison, chute des feuilles, etc.)
- partie: branche, tige, pousse, fleur

3. Limitation du volume de produit

- par durée: saison, journée, année, plusieurs années
- par quantité: nombre d’arbres, de chargements (portés sur la tête), de paniers, nombre d’animaux
- par outil: faux, scies, haches
- par zone: zonage, blocs, types de terrain, altitude
- en paiement: tonneau, en nature, aliments ou alcool distribués aux gardiens ou au village, fumure
- par agent de travail: femmes, enfants, main-d’oeuvre louée, entrepreneurs, animaux.

4. Utilisation de services chargés de la protection de la zone

- emploi d’un gardien, payé en céréales ou en argent
- surveillance assurée par les membres du groupe à tour de rôle
- surveillance assurée par le groupe sur une base volontaire
- recours obligatoire à des gardiens de troupeaux

Source: Gregersen, 1982

Les forêts de panchayat sont des plantations nouvelles, d’à peu près 125 hectares, qui ont été établies sur des terres domaniales en friche, mais qui sont plantées et protégées à la demande du panchayat local et avec sa participation. Le panchayat a tous les droits sur les produits de ces forêts.

Une forêt (ménagée par la collectivité locale

Les forêts protégées de panchayat sont des zones de forêt naturelle, pouvant couvrir jusqu’à 500 hectares, qui ont généralement besoin d’être améliorées par des plantations, puis d’être protégées et aménagées. Les panchayats qui entreprennent ces activités sont autorisés à garder 75 pour cent des recettes découlant de ces forêts. Au titre de ce programme, près de 1,5 million d’hectares (45 pour cent des terres forestières des collines) répondent aux conditions voulues pour être cédés aux panchayats qui en font la demande. Depuis le lancement en 1980 du Projet de développement de la foresterie communautaire, quelque 8 000 hectares de PPF ont été créés et 7 300 hectares de PPF et de PF ont été boisés dans un tiers des 79 districts du Népal.

Il est probablement encore trop tôt pour prédire les effets à long terme de ce programme. Il est tout de même intéressant de noter que, bien souvent, le panchayat s’avère être une unité d’organisation et de gestion trop grande, notamment parce qu’elle couvre un territoire vaste et accidenté, privé des moyens les plus élémentaires de communication et de transport. Par ailleurs, les panchayats regroupent d’ordinaire des villages dispersés, composés de groupes hétérogènes, ce qui rend difficile la gestion commune des terrains.

Cependant, dans de nombreux cas, des groupes d’utilisateurs du bois appartenant à un même panchayat ont élaboré leurs propres stratégies de gestion des forêts. On a trouvé des groupes de ce genre dans 36 pour cent des panchayats participant au programme. Ces unités de gestion, formées au niveau du village ou de l’arrondissement, semblent avoir une plus grande homogénéité d’intérêts que le panchayat (Campbell et Bhattarai, 1983).

5.1.2 Introduction des boisements dans l’aménagement des terrains collectifs en Inde

En Inde, des terrains collectifs sont fréquemment utilisés comme pâturages. Les programmes visant à développer les boisements collectifs font un effort spécial dans de nombreuses parties du pays pour favoriser la transformation des terrains collectifs dégradés en parcelles boisées.

Les premières tentatives faites pour inciter les collectivités a planter des arbres remontent aux années 40, mais ces efforts ont été longs à porter leurs fruits. Dans les années 60, les Etats du Tamil Nadu et du Gujarat lancèrent des programmes de boisement sur les rives des réservoirs d’irrigation communautaires et le long des routes, des canaux et des talus de chemin de fer, afin de créer des emplois et de produire du bois de feu et du bois de construction pour la vente. La gestion de ces programmes incombait surtout au Département des forêts qui assumait le total des coûts des projets. Les ventes de bois de feu et de construction servaient à défrayer en partie les coûts.

Des jeunes plants pleins de promesses

Au début, la coopération des habitants à été essentiellement passive. Toutefois, le fait que les arbres survivaient et faisaient gagner de l’argent au Département des forêts a eu un effet stimulant en tant qu’exemple. Encouragés par une vaste campagne publicitaire et par la distribution de jeunes plants, les villageois de la région se sont montrés de plus en plus intéressés à participer activement au programme (Sundaram, 1978). Dans les années 70, les collectivités locales prirent une part sans cesse plus grande à la gestion et des accords furent conclus pour diviser entre elles et le Département des forêts, à parts égales, les bénéfices nets. Dans le cadre de ces dispositions, 176 000 ha de plantations ont été établis dans le Tamil Nadu et 29 500 hectares dans le Gujarat.

Ces premiers efforts consistaient essentiellement à planter des arbres sur des terres domaniales (même si les décisions concernant leur aménagement étaient généralement prises par les agriculteurs), mais, par la suite, on se mit aussi à exploiter les terrains collectifs. Dans le Gujarat, par exemple, le Département des forêts demanda aux panchayats locaux la permission de planter quatre hectares au moins de terres villageoises en essences productrices de bois de feu et de fourrage, et en arbres fruitiers. En échange, les villageois seraient autorisés à récolter les fruits et le fourrage et percevraient la moitié des bénéfices nets tirés de la coupe des arbres. Jusqu’à présent, dans les villages sondés, les habitants n’ont que le droit d’acheter aux panchayats les herbes fourragères qui poussent sous les arbres, l’argent de ces achats étant affecté a des activités communautaires. En pareils cas, la participation de la collectivité revient à fournir la terre, à collaborer à la protection des parcelles boisées, et à aider à décider du mélange des essences. Une fois que la parcelle boisée est tout à fait établie, ce qui prend de trois à six ans, le panchayat est censé assumer la pleine responsabilité de la gestion et de la protection.

Au début, les villageois ne se sont guère intéresses à ces “parcelles boisées contrôlées”. Ils craignaient que le gouvernement s’approprie définitivement les terres collectives cédées aux fins de plantation. Mais, peu à peu, le Département des forêts gagna leur confiance et, à la fin de 1984, des plantations de parcelles boisées avaient été établies sur 40 000 hectares, dans 7 000 des 18 000 villages de l’Etat de Gujarat (Shukla et Dalvi, 1984). Toutefois, peu de panchayats se montrent enclins à prendre à leur charge la gestion de ces parcelles et d’après certaines évaluations, beaucoup d’habitants pensent que les plantations appartiennent au gouvernement et doutent, par conséquent, en tirer jamais quelque avantage.

Pour tenter d’associer plus étroitement encore les collectivités, un autre plan a été lancé dans le Gujarat, en 1980, qui encourage les villages à établir et à gérer leurs propres plantations communautaires. Le Département des forêts accepte de fournir les jeunes plants et l’assistance technique mais les villages sont censés assurer tous les autres apports nécessaires. Après la récolte, la collectivité perçoit tous les bénéfices de ces parcelles boisées auto-assistées. La participation des collectivités à ces projets n’a pas été facile à obtenir et les premiers rapports de situation ont été plutôt décevants. Cependant, d’après des indications récentes, il semble que les collectivités commencent à se sentir plus concernées (Shukla et Dalvi, 1984).

Selon certains observateurs, en cherchant à augmenter peu à peu la participation des villageois à ces projets, on risque d’éveiller leur méfiance à cause des changements de procédure. Il vaudrait mieux définir clairement les options et les règles dès le début d’une activité; ainsi, les villageois savent mieux à quoi s’en tenir sur les droits et obligations liés à leur participation, et sont plus sûrs de toucher les bénéfices promis.

Dans certains endroits, la forte demande commerciale de produits ligneux a rendu plus intéressante la création de parcelles boisées communautaires. La production de bois pour le marché est parfois un bon moyen de recueillir des fonds pour la collectivité. Dans le Tamil Nadu, par exemple, une parcelle d’Acacia nilotica plantée autour d’un réservoir d’irrigation peut, dit-on, rapporter près de 500 dollars par hectare au bout de 10 ans; une plantation de 50 ha rapporterait 25 000 dollars. Même après déduction des frais de plantation et partage des bénéfices avec le Département des forêts, cette somme représente une entrée appréciable dans le budget de la collectivité. Avec ce genre de projet, les panchayats sont entièrement maîtres de leurs bénéfices et nombre d’entre eux se montrent désireux d’utiliser ces futurs gains pour entreprendre des travaux d’utilité publique tels que écoles, dispensaires et systèmes d’adduction d’eau.

Il semble, d’après l’expérience indienne, que des activités de démonstration sont parfois nécessaires pour amener les collectivités à s’intéresser à la foresterie communautaire: ce n’est qu’une fois que la viabilité des plantations d’arbres a été prouvée sur les terres domaniales que des terres communales ont été utilisées a cette même fin. Il se peut que les avantages des parcelles boisées communautaires ressortent plus aisément là où il existe des débouchés commerciaux que là où les ressources ligneuses restent a la libre disposition de tous.

5.1.3 Choix de la collectivité entre plusieurs utilisations des terres au Sahel

Depuis à peu près une dizaine d’années, tout est mis en oeuvre au Sahel pour promouvoir la foresterie communautaire, afin surtout de remédier aux effets dévastateurs de la sécheresse. Selon les estimations, au moins 160 millions de dollars auraient été investis dans des projets forestiers au Sahel entre 1972 et 1982.

Les effets de la sécheresse sont souvent aggravés par la mode d’utilisation des terres

Dans l’ensemble, les résultats ont été décevants. A peu près 25 000 hectares de parcelles villageoises ont été plantés; la plupart se développent de façon si médiocre qu’elles produisent peu de bois, ou pas du tout (Weber, 1982). Au Sénégal, par exemple, on a pu créer des parcelles boisées villageoises sur plusieurs centaines d’hectares, mais leur productivité s’est révélée plus faible que celle des forêts naturelles qu’elles avaient remplacées.

Les plantations villageoises du Sahel qui ont véritablement pris et qui ont été productives sont surtout celles établies et gérées par le Département des forêts, pratiquement sans la participation des populations locales. Il s’agit d’une série de programmes de travaux publics d’urgence lancés dans le but d’arrêter la désertification et de produire du bois de feu.

Si l’on n’a pas réussi à mobiliser les populations locales c’est à cause surtout de la pauvreté, de la sécheresse et de la croyance erronée qu’il serait souhaitable de remplacer les modes existants d’utilisation des terres par des plantations d’arbres. Pour les villageois, le détournement des terres collectives au profit de la foresterie était une aventure risquée qui est venue bouleverser, en particulier, les régimes fonciers coûtumiers (Thomson, 1983).

Beaucoup de ces projets visent uniquement à produire du bois, à l’exclusion de tous les autres produits non ligneux dont ont besoin les populations locales, tels que aliments, fourrage, plantes médicinales et autres produits forestiers traditionnels. Les plantations en blocs sont en outre étrangères aux habitudes locales d’utilisation des terres et souvent incompatibles avec elles (Taylor et Soumare, 1984). Les populations locales ne peuvent plus accéder aux pâturages collectifs, ce qui représente pour eux une perte considérable. La suppression de ces avantages provoque parfois un vif ressentiment de la part des collectivités que ces actions sont censées aider. On cite souvent le cas d’une plantation villageoise au Niger, dont les habitants détruisirent les jeunes plants parce que le Département des forêts les avait plantés sur les pâturages collectifs sans chercher l’accord des intéressés.

On a commence récemment à adopter de nouvelles approches. Au Burkina Faso, par exemple, a été créé un service spécial chargé d’exécuter les programmes de plantations villageoises. Ce service a pour fonction d’apporter aux agriculteurs les moyens techniques nécessaires pour mieux aménager la végétation naturelle ainsi que les arbres plantés, pour leur propre consommation. Si l’aménagement passif de la régénération naturelle ne peut plus être maintenu, on tente d’adapter d’autres systèmes locaux d’agroforesterie et de les rendre plus efficaces. Bien qu’il soit encore trop tôt pour évaluer les effets à long terme de ce programme, les premiers résultats sont encourageants. A la fin des quatre premières années, 860 villages avaient planté collectivement près de 1 200 hectares, et 1 500 autres hectares avaient été plantés par des exploitants avec un taux de survie des plants de 70 pour cent (Compaore et al., 1984).

5.1.4 Boisement par des coopératives villageoises en Corée

Il existe une longue tradition de coopératives forestières dans la République de Corée ou près des trois quarts des boisements sont en propriété privée. Cependant, du fait des dommages causés par la guerre et de la demande croissante de bois de feu et de bois de construction, les forêts s’étaient considérablement appauvries déjà au début des années 60 et la destruction écologique des terres agricoles due au déboisement excessif s’aggravait. Les importantes modifications législatives intervenues en 1972 ont donné au gouvernement le pouvoir d’exiger des propriétaires fonciers qu’ils reboisent leurs terres. Ceux qui n’avaient pas les moyens de planter des arbres ont passé des contrats prévoyant un partage des bénéfices avec des associations forestières villageoises locales (AFV). C’est à ces dernières qu’incombe la responsabilité du développement forestier dans le cadre du Saemaul Undong, important mouvement national ayant pour vocation d’encourager les activités communautaires fondées sur l’effort collectif. Les AFV étaient des organisations élues localement, gérées bénévolement par les villageois et fonctionnant comme des coopératives. Il ne fait pas de doute que la participation locale a tout d’abord été le résultat d’une pression gouvernementale ferme et autoritaire. Néanmoins, les AFV ont offert une base de soutien local exceptionnellement solide qui a contribué à faire de la foresterie villageoise un mouvement populaire.

Au service de l’association forestière villageoise

Les AFV, bien qu’obéissant aux directives du gouvernement, sont perçues par les villageois comme des institutions locales gérées par la collectivité. Plus de 21 000 AFV relèvent des Unions des Associations forestières (UAF) qui opèrent au niveau de la province. Les AFV et les UAF font toutes partie de la Fédération nationale des unions des associations forestières (FNUAF), qui a des rapports administratifs avec l’Office des forêts du gouvernement, division du Ministère de l’intérieur. Ce système permet une grande indépendance au niveau local tout en favorisant des relations de travail étroites avec le gouvernement, lequel assume environ 65 pour cent des dépenses du programme. Ce degré d’autonomie locale est indispensable à l’engagement de la collectivité car, au fil des ans, les villageois en étaient venus à associer l’Office des forêts avec les fonctions de maintien de l’ordre qu’implique son rôle de protecteur des forêts.

Entre 1973 et 1978, les AFV ont reboisé plus d’un million d’hectares avec un mélange d’essences à bois de feu, à rotation courte et à bois d’oeuvre, ainsi que d’arbres fruitiers. Les revenus tirés des champignons, des fibres pour papier peint et d’autres produits, dont on avait encouragé l’introduction en même temps que les plantations d’arbres, ont augmenté rapidement. La Fédération nationale des unions d’associations forestières s’occupe de la commercialisation tandis que le gouvernement octroie des crédits à faibles taux d’intérêt et dispense des services de recherche et de vulgarisation.

Les conditions dans lesquelles se déroule ce programme sont certes, dans bien des cas, tout à fait particulières à la Corée. Cependant, certains des principes et des méthodes sur lesquels il s’appuie pourraient s’appliquer dans bien d’autres pays: par exemple, une conception du développement rural qui repose sur une vaste participation populaire; une planification en deux sens, du haut vers le bas et du bas vers le haut; l’accent sur les gains à court terme tant sociaux que financiers; l’aide publique en faveur de l’expansion rapide des débouchés pour le bois et les autres produits forestiers, comme les champignons; la fourniture de bons services d’assistance technique et de vulgarisation; une législation favorable à l’environnement; et l’accès en temps opportun aux subventions et aux prêts bancaires (Gregersen, 1982).

5.2 Contraintes à la foresterie collective


5.2.1 Problèmes relatifs à l’utilisation des terres et des arbres
5.2.2 Répartition des avantages
5.2.3 Problèmes relatifs au cadre institutionnel et à la gestion

Malgré ses avantages théoriques, la foresterie collective a donné jusqu’ici des résultats peu encourageants. Dans beaucoup de pays, ses progrès ont été lents et elle s’est heurtée à de nombreux obstacles. Ceux-ci tiennent rarement à des difficultés de diffusion de technologies forestières différentes et novatrices. Les problèmes qui se posent ont plutôt trait aux raisons pour lesquelles les habitants participent aux projets, et aux modalités de cette participation.

L’obstacle le plus sérieux vient sans doute de l’hétérogénéité sociale, économique et politique qui caractérise les collectivités rurales (Noronha, 1983, 1982; Hoskins, 1982a et b). C’est en effet là où l’homogénéité socio-économique est la plus grande, comme en Corée, que la foresterie collective a le mieux réussi. Or, dans beaucoup de pays, les collectivités sont faites d’une mosaïque culturelle de différents groupes sociaux et économiques, divisés en castes ou en tribus et séparés par de grosses différences de revenus. Il en résulte presque toujours, à l’intérieur même des villages, des conflits d’intérêt entre agriculteurs et pasteurs, entre propriétaires terriens et paysans sans terre, entre hommes et femmes, etc. Il se peut que fasse défaut une attitude communautaire envers les ressources forestières, ou que les institutions en place soient incapables de trouver un moyen collectif et efficace de gérer les ressources communes. Un examen à mi-parcours des programmes de parcelles boisées fondées sur l’effort collectif dans le Gujarat, a montré, par exemple, que ces activités avaient eu du mal à démarrer en raison surtout du manque d’homogénéité des collectivités, mais aussi à cause de la méfiance populaire à l’égard de systèmes censés garantir une distribution équitable des revenus tirés desdites parcelles.

Figure 5 Liens entre Les organisations forestières nationales et privées dans la République de Corée

Source: Gregersen, 1982

Tableau 4: Corée: Coût du boisement au niveau du village

Année

Classe.
Travail
accompli a/

Coût
total

Contribution du gouvernement central/provincial

Contribution du village


(1 000 ha)


(1 000 Won)


Total

1 000

143 491

76 502

13 805

53 184


84 2a

90 307





920b

53 184




1973

3,5

4 183

3 453

730

2 776

1974

9,2

7 183

5 892

1 291

2 770

1975

11,0

8 767

7 434

1 333

3 884

1976

8,2

10 480

8 987

1 493

5 079

1977-82

52,3

59 694

50 736

8 958

38 675

Source: Gregersen, 1982

a/Reboisement
b/Lutte contre l’érosion

Tableau 5: Corée: Sous-produits lucratifs, des forêts villageoises


Unité:

Quantité:
Prix:


Tonnes
Won

Produit


Année

1971

1972

1973

1974

1975

1976

1977

1978

Champignons du chêne

Quantité

208

263

240

337

456

496

678

776

Prix/kg





3 250

3 360

6 250

7 350

Champignons du pin

Quantité

65

170

215

137

441

228

327

983

Prix/kg





4 100

7 853

11 502

16 425

Fibres de kuzu

Quantité

274

204

341

312

398

341

658

329

Prix/kg





1 693

1 858

2 198

2 449

Ecorce de chêne-liège

Quantité

768

772

782

921

815

616

715

788

Prix/t





39 823

48 672

61 563

76 691

Résines

Quantité

689

459

1

376

866

993

290

206

Prix/t





19 646

24 486

29 327

34 814

Chataîgnes

Quantité

2 789

2 905

2 949

3 449

7 697

16 789

20 594

29 494

Prix/kg





372

420

480

713

Source: Gregersen, 1982

5.2.1 Problèmes relatifs à l’utilisation des terres et des arbres

Les conflits liés à l’utilisation des terres constituent l’un des obstacles majeurs à la bonne exécution des projets de foresterie collective. Ces conflits tiennent souvent à l’hétérogénéité fondamentale des collectivités et aux divergences d’intérêt des villageois. Les terres collectives étant rarement oisives, on risque, en y plantant des arbres, de gêner l’utilisation qui en est faite et de nuire ainsi à certains membres de la collectivité. Bien souvent, ce sont les plus pauvres parmi ces derniers qui souffrent le plus de la conversion des pâturages en forêts communautaires. Comme le démontre clairement l’expérience, le règlement rapide de tout conflit d’intérêts possible dans l’utilisation de la terre - quelle que soit la manière dont on y aboutit - est absolument indispensable au succès des programmes de foresterie collective.

Il se peut que certains membres d’une collectivité réservent la terre en question à des usages coutumiers et agréés qui sont incompatibles. Les usages peuvent changer selon les saisons et l’activité. Ainsi, certaines familles peuvent avoir le droit de cueillette, d’autres celui de faire paître ou de faire traverser leurs troupeaux, d’autres encore celui de cultiver ces mêmes terres a différentes époques. L’utilisation informelle et illicite par des privés de terrains collectifs et publics revêt parfois une importante valeur économique dont il faut tenir compte si l’on envisage d’autres activités. Les situations de jure et de facto pour ce qui est de l’utilisation de la terre peuvent beaucoup varier; même là ou elles coïncident d’assez près il se peut très bien qu’il n’y ait tout simplement pas suffisamment de terrains collectifs pour répondre aux différents besoins. C’est ainsi que dans l’Uttar Pradesh, en Inde, une politique appliquée assez souvent consiste à distribuer aux sans terre les terrains collectifs gérés par les villages. Cela augmente considérablement les pressions qui s’exercent sur les autres terres villageoises et fait qu’on n’en trouve pas toujours à consacrer à la foresterie communautaire (Noronha, 1980).

A l’inverse, il arrive que des terres publiques soient en fait aux mains de particuliers. Un projet de foresterie communautaire dans l’Azad Cachemire au Pakistan, prévoyait la plantation d’arbres d’abord sur les terres domaniales, et ensuite sur les terres “shamlat” collectives. Or, à mi-chemin du projet, on découvrit que ces dernières terres étaient en fait, pour la plupart, utilisées de façon privée par les exploitants les plus riches. Ceux-ci s’empressèrent de profiter des subventions du projet dans l’espoir de planter leurs terres entièrement aux frais du gouvernement et en même temps, d’en empêcher l’utilisation par le reste de la population (Cernea, 1981). Depuis, le programme a été modifié de façon à mieux correspondre à ses objectifs initiaux.

Souvent, les régimes fonciers traditionnels font une distinction entre le droit sur la terre et le droit sur les arbres. Le fait de planter des arbres, même sur des terres collectives, peut influer considérablement sur le droit foncier. Par exemple, même si la terre appartient à tous, ceux qui plantent des arbres peuvent s’attribuer certains droits de propriété soit sur les arbres soit sur la terre. Dans certains cas, le fait que le département des forêts ait planté des arbres sur des terrains collectifs a fait croire aux habitants que le gouvernement s’était approprié les terres en question. Dans les deux cas décrits ci-dessus, le principe selon lequel les avantages de la foresterie communautaire doivent être partagés avec équité entre tous les membres de la collectivité est compromis.

5.2.2 Répartition des avantages

Autre problème, étroitement lié au précédent, celui du mode de répartition des avantages apportés par les activités forestières communautaires. Ceci dépend souvent de la façon dont les droits d’usufruit des arbres poussant sur les terres collectives sont établis. Il arrive que les résidents d’un certain village aient le droit d’usufruit des arbres, droit qui est interdit aux “étrangers”. C’est ainsi, par exemple, qu’au cours d’un procès en justice au Nigeria en 1926, a été reconnu le principe que seules “les personnes du voisinage” pouvaient exploiter les palmiers.

Cependant, dans la plupart des cas, la question qui se pose est celle de savoir comment répartir équitablement les avantages d’une forêt communautaire entre les membres de la collectivité. L’accès aux arbres à croissance spontanée sur les terres domaniales ou collectives n’est pas toujours bien défini; il peut dépendre du rang d’une personne dans le village, de son revenu, de la proximité de son habitation des terrains collectifs, de nombre de personnes faisant partie de sa famille, etc. Les droits de tenure sur les arbres, qui définissent le droit d’utiliser les arbres plantés sur des terrains collectifs, peuvent se fonder sur le même genre de critères. Ces droits vont parfois à l’encontre des objectifs du projet qui sont axés sur le partage égal des coûts et des avantages des opérations.

Ce partage des avantages a posé de sérieux problèmes à de nombreux projets de foresterie collective lorsqu’aucun système précis n’avait été convenu à cet effet. Les participants se demandent souvent si les profits reviendront au département des forêts, à un fonds commun villageois, à des groupes ou projets collectifs précis, ou s’ils seront répartis directement entre les villageois. Cette question du partage des coûts et des avantages du projet sera ou ne sera pas réglée selon que les habitants ont plus ou moins confiance dans les autorités locales, et que des accords concernant les modalités de partage ont été convenus plus ou moins publiquement et par écrit. Les populations rurales se méfient souvent vivement de toute opération financière entreprise en leur nom par des tiers.

Par ailleurs, les programmes de caractère commercial ont des limitations qui leur sont particulières. En Inde, presque tous les programmes ont été mis en oeuvre dans des zones où la demande commerciale de produits ligneux est importante. Les activités de ce genre sont parfois un excellent moyen de constituer un fonds communautaire pour construire des écoles, améliorer l’approvisionnement en eau, créer des services de santé ou se procurer d’autres avantages.

Ce côté commercial présente sans doute des avantages pour la collectivité dans son ensemble. Cependant, les effets positifs qu’il peut avoir sur l’approvisionnement en produits ligneux des personnes les plus pauvres est souvent négligeable. Une disponibilité accrue de bois de feu peut faire baisser le prix du bois sur le marché; mais les habitants les plus pauvres n’ont pas les moyens d’acheter du bois, quel qu’en soit le prix. Ils devront donc continuer à utiliser les autres combustibles traditionnels qu’ils peuvent trouver, comme les résidus agricoles et les excréments d’animaux.

Lorsqu’un projet fondé sur l’effort collectif ne prévoit aucune méthode bien définie et localement acceptable de partage des bénéfices, des difficultés risquent fort de surgir au moment ou les arbres seront prêts à produire. Ce problème cause beaucoup d’inquiétude dans de nombreux pays ou les plantations collectives établies vers la fin des années 1970 commenceront bientôt à donner des récoltes. La poursuite de certains projets au-delà de la première récolte dépendra en grande partie de la façon dont le problème de la répartition des profits aura été résolu.

Une manière d’assurer que tous les membres d’une collectivité ou d’un groupe d’utilisateurs bénéficieront des forêts collectives consiste à garantir le partage égal des bénéfices. C’est en fait la méthode qu’adoptent de nombreux panchayat du Népal et de l’Inde.

5.2.3 Problèmes relatifs au cadre institutionnel et à la gestion

On croit souvent que soutenir la foresterie communautaire revient à renforcer les institutions locales. Mais les institutions communautaires existantes perpétuent souvent les différences et inégalités établies, car elles traduisent et renforcent la répartition locale de pouvoir et d’intérêts. Cela est particulièrement vrai dans les communautés caractérisées par de grandes inégalités de revenus. Les membres les plus riches jouent souvent le rôle principal dans les décisions. Ils savent obtenir le soutien des personnes qui dépendent d’eux pour ce qui est de l’emploi, des fermages et des prêts. Ils peuvent alors faire valoir leur point de vue par dessus les intérêts de l’ensemble de la communauté.

Il serait par trop optimiste de penser que les membres les plus puissants de la communauté auront tendance à représenter les vues des pauvres. En fait, il est fréquent qu’ils entravent et bloquent des mesures de changement et de réforme sociale. Les agents locaux des services forestiers ou d’autres organismes gouvernementaux peuvent d’ailleurs avoir la même attitude. On ne peut donc pas supposer que si l’on donne aux institutions locales le pouvoir d’entreprendre des activités forestières communautaires elles soutiendront automatiquement la cause des plus défavorisés de la collectivité. Il serait utopique de compter que les activités de ce genre menées au niveau du village soient plus progressistes que l’ensemble de la société.

Discussion publique

Le renforcement ou la création d’institutions locales est une oeuvre complexe et de longue haleine, qui doit tenir compte de la distribution réelle du pouvoir social, économique et politique a l’échelon local. Encore une fois, il faut être réaliste. Bien souvent, presque tout repose sur les institutions centrales, comme les départements des forêts, qui doivent promouvoir la participation, assurer la gestion du projet et organiser équitablement la répartition des avantages obtenus. Ceci est particulièrement vrai si la communauté est appelée à investir des ressources en capital et en main-d’oeuvre pour le boisement. On pourrait, par exemple, organiser des projets de démonstration sur des terres domaniales ou promouvoir la foresterie communautaire par le biais d’activités forestières menées au niveau de l’exploitation.

Le niveau de confiance à l’intérieur d’une communauté, et entre celle-ci et les pouvoirs publics, dépend souvent de la procédure suivie pour arriver à un accord. Plus la répartition des bénéfices a tirer des forêts collectives aura été discutée en public et en détail au début du projet, plus il y aura eu d’unanimité sur les conditions adoptées à l’issue de la discussion et plus on pourra compter sur un climat de confiance entre la population rurale et les chefs de la communauté.

En matière de gestion, l’idée la plus concrète qui ressort des expériences de foresterie collective est sans doute la suivante: pour réussir, il n’est pas nécessaire que les groupes chargés de la gestion soient définis géographiquement par les limites des villages ou des panchayats; ils doivent plutôt correspondre à des groupes d’utilisateurs ayant un intérêt commun dans la gestion d’une ressource donnée. Néanmoins, il importe de considérer les intérêts de tous ceux qui sont concernés par l’activité envisagée. Si les villageois s’organisent en fonction de besoins forestiers ou écologiques qu’ils ressentent, un appui technique peut s’avérer particulièrement utile.

Pour surmonter certaines difficultés de la mise en oeuvre de programmes de boisement collectif - et de certaines autres approches a la foresterie communautaire - il est parfois nécessaire d’attendre l’application de nouvelles lois. Une mesure juridique qui peut avoir pour résultat une plus forte participation de la population est l’institution d’un nouveau régime foncier, comme on a pu l’observer au Népal. Parfois, des mesures législatives plus autoritaires s’imposent, comme cela a été le cas en Corée; cependant, une telle attitude ne donnera pas toujours de bons résultats dans la pratique, étant donné les différences dans les réactions individuelle? et culturelles aux manifestations d’autorité, et les difficultés qui surgissent lorsqu’on veut faire respecter une loi.

Dans certains cas, comme celui du Projet intègre pour la conservation et le reboisement communautaire des bassins versants dégrades (PRIDECU) en Colombie, on a réussi à surmonter les difficultés liées à l’affectation des terres à une utilisation collective en mettant à disposition des terres domaniales. Là où la colonisation des forêts a soumis les bassins versants à rude épreuve, on encourage les colons installés illégalement à former des coopératives qui, elles, peuvent légalement revendiquer un droit sur ces terres domaniales. En acceptant un titre de propriété sur les terres dégradées, les nouvelles coopératives concluent un accord de gestion et d’utilisation des terres avec l’Institut national des ressources naturelles renouvelables et de l’environnement (INDERENA).

D’autres obstacles d’ordre institutionnel peuvent aussi compromettre le succès des activités de foresterie communautaire: mauvais système de distribution des plants, mauvaise gestion, manque de fonds collectifs pour payer la main-d’oeuvre, manque de main-d’oeuvre au moment voulu, plantation d’essences exotiques mal acclimatées au détriment d’autres options telles que l’aménagement de peuplements naturels, etc.

La protection des parcelles boisées collectives pose très souvent des problèmes que l’on peut parfois atténuer en échelonnant les plantations d’arbres sur plusieurs années de façon à limiter au minimum la zone à protéger. Quand les arbres sont assez grands pour ne plus craindre les dégâts causés par le bétail, le terrain peut être ouvert au pacage et au broutage. Les gens peuvent aussi être autorisés à pénétrer dans les zones protégées pour faire provision de fourrage; le fourrage sera sans doute plus abondant sur les terres où les troupeaux ne peuvent pas paître librement.

Le système d’aménagement forestier adopté a aussi son importance. Par exemple, si l’on veut répondre aux besoins courants de la communauté, il faudra peut être adopter une périodicité de coupe annuelle. Mais si la parcelle boisée est très petite et la communauté nombreuse, il peut être impossible de partager chaque année parmi tous une aussi petite récolte. De même, si l’on veut que les populations locales participent à la récolte, il peut être préférable d’adopter des systèmes pratiques du point de vue social, comme les coupes rases, plutôt que des systèmes techniquement plus difficiles comme l’éclaircie par écrémage. Tout système d’aménagement doit, bien sûr, correspondre aux compétences techniques du groupe d’utilisateurs et être assez simple pour que les membres de la communauté se sentent capables de bien l’appliquer.

5.3 Possibilités des systèmes collectifs de boisement

Les activités collectives de boisement ont rarement donné les résultats qu’on avait espérés. Les méthodes employées ne sont pas, en elles-mêmes, difficiles à appliquer; les problèmes sont dûs plutôt à l’excès de rhéthorique qui caractérise ces programmes ainsi qu’à l’optimisme exagéré de leurs objectifs. Les espérances vont souvent bien au delà des possibilités réelles. En outre, la gestion collective, comme la distribution des terres et des bénéfices, se sont révélées beaucoup plus complexes que ne l’avaient imaginé les auteurs des projets. Il s’en est suivi un certain découragement.

Néanmoins, l’expérience a montré que dans des conditions favorables, et avec une assistance efficace de la part du gouvernement, des services forestiers et des organisations locales, le boisement collectif peut donner de bons résultats. La Corée et l’Inde l’ont prouvé sur une très vaste échelle.

Cependant, il faut admettre que les programmes ont des limitations pratiques, notamment en ce qui concerne leur aptitude a entraîner des changements sociaux importants. Il est vrai que les programmes de boisements collectifs peuvent être un moyen efficace de venir en aide aux membres les plus pauvres de la communauté, mais cela dépend presqu’entièrement du désir de la population locale d’agir dans ce sens.

Si la plantation est considérée comme une entreprise purement commerciale et si le bois est vendu dans des centres urbains, le résultat est le même que s’il s’agissait d’un programme de foresterie paysanne: il y aura une nette augmentation de la production totale de biomasse dans la région, mais les pauvres risquent de voir diminuer les quantités de fourrage et de bois de feu qu’ils peuvent obtenir.

Il ne faut pas pour cela conclure que les projets de boisement collectif nuisent toujours aux pauvres; il s’agit plutôt de se rendre compte qu’ils ne leur procurent pas automatiquement des avantages. Si l’on décide que l’objectif principal d’un programme est de venir en aide aux membres les plus pauvres de la communauté, il faudra explicitement adapter la conception et la mise en oeuvre de ce programme à cet objectif. Il ne suffit pas d’assurer la plantation d’arbres ou de transférer des pouvoirs aux organisations communautaires locales pour améliorer réellement la condition des pauvres.

Les mauvais résultats de quelques programmes ne doivent pas faire oublier, cependant, les réalisations importantes obtenues ailleurs et les vastes possibilités qu’offre cette optique. Les programmes collectifs exigent toujours une préparation minutieuse. Pour ce qui est de la production, ils ne donnent pas toujours des résultats aussi spectaculaires que les programmes de foresterie à l’exploitation auxquels ils sont souvent comparés. Néanmoins, on peut dire que presque tous les types différents de programme qui ont été étudiés jusqu’ici peuvent donner lieu à des actions positives et pertinentes, si les conditions sont appropriées.

CHAPITRE 6 FORESTERIE PAYSANNE POUR LA CONSOMMATION FAMILIALE


6.1 Programmes axés sur la production de bois de feu ou d’un autre produit unique
6.2 Programmes visant une production multiple
6.3 Mesures visant à renforcer la gestion familiale des boisements
6.4 Perspectives de la foresterie paysanne dont les produits sont destinés à la consommation familiale

La culture des arbres sur les petites exploitations et aux alentours présente divers avantages pour les paysans et leurs familles. Elle leur permet de se procurer directement certains produits à usage domestique, combustible, matériaux de construction, fruits et autres aliments. Elle fournit des moyens de production agricole comme le fourrage pour les animaux et le paillis vert. Elle peut contribuer à réduire les risques naturels auxquels sont exposés les petits paysans, en protégeant le sol de l’érosion et de la dégradation. Enfin, elle peut aussi renforcer la stabilité du système agronomique en diversifiant la production agricole et en permettant son échelonnement sur plusieurs saisons.

Les programmes visant à encourager la foresterie paysanne pour la consommation familiale sont donc généralement le meilleur moyen d’aider directement les agriculteurs à renforcer ou à créer les systèmes d’aménagement forestier décrits aux chapitres 1 et 2. Comme il s’agit de modes d’exploitation peu intensifs qui ne rapportent directement que peu d’argent (tout en offrant parfois des avantages et des gains indirects considérables) la production est rarement aussi spectaculaire que celle des programmes de foresterie paysanne qui s’appuient sur de fortes incitations commerciales. L’entretien des arbres n’exige pas beaucoup de main-d’oeuvre ni de capital. Souvent, la sylviculture pratiquée dans le cadre d’un système d’exploitation est étroitement liée à d’autres activités agricoles.

Paysanne: le fourrage, un produit de la foresterie

Les arbres sont plus activement exploités s’il y a une perspective de gains financiers indirects, dus, par exemple, à un accroissement de la production végétale ou animale grâce à une bonne intégration des arbres à la production agricole. Ce chapitre traîte principalement de la production destinée à la consommation familiale; il faut noter, cependant, qu’il est impossible de séparer nettement ces types d’activités des activités forestières orientées vers la vente, étant donné que tout excédent peut être écoulé sur le marché si la demande existe.

6.1 Programmes axés sur la production de bois de feu ou d’un autre produit unique

Récemment, les programmes visant à encourager la participation des petits paysans aux opérations de boisement ont souvent eu pour objet d’accroître l’approvisionnement des ménages en bois de feu, et cela moyennant l’adoption de systèmes de production à l’exploitation axés sur ce seul produit. D’après l’expérience acquise, il semblerait utile de réévaluer ce genre de programmes à optique très limitée.

Au Malawi, par exemple, le Programme de production de bois de feu a été conçu pour augmenter les disponibilités de ce combustible dans les régions rurales, grâce à des distributions de jeunes plants d’essences à croissance rapide et à rendement élevé dans les zones manquant de bois. Ce programme n’a guère intéressé les agriculteurs et le nombre de jeunes plants distribués n’a atteint que 10% du chiffre prévu. Les enquêtes font penser que cet échec est dû en partie au fait que la population n’avait pas réellement été touchée par la pénurie de bois: tant qu’ils pouvaient ramasser leur bois sans avoir à le payer, les agriculteurs étaient peu enclins a planter des arbres pour obtenir du combustible. Par contre, ils étaient tout à fait disposés à le faire pour se procurer des poteaux de construction produisant accessoirement du bois de feu. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux transplantent déjà de jeunes plants ayant germé naturellement et cultivent les arbres pour différents usages (Energy Studies Unit, 1981).

Les gens préfèrent souvent les arbres polyvalents

D’autres exemples ont montré que même si le manque de bois de feu se fait sentir, les populations locales se décident rarement à planter des arbres dans le seul but d’avoir du combustible - à moins, peut-être, qu’elles puissent le vendre. Au Népal, les habitants cherchent avant tout a cultiver des essences fruitières à usages multiples et des arbres fourragers pour leurs buffles et ne pensent pas souvent à la production de combustible (Campbell et Bhattarai, 1982). Dans les zones du Sénégal touchées par la sécheresse, on a remarqué que les paysans souhaitent planter des arbres pour obtenir du fourrage, de l’ombre, des fruits, de la gomme arabique et des matériaux de construction mais non du bois de feu, surtout quand ils peuvent en obtenir en utilisant les arbres tués par la sécheresse (Hoskins et Guigonis, 1979). Dans le Nord Yémen, les gens s’intéressent aux arbres pour protéger l’environnement plutôt que pour produire du combustible (Aulagi, 1982). Il semblerait donc que, contrairement à l’opinion générale, les pénuries de bois de feu ne peuvent pas être isolées des autres problèmes dont souffrent les populations rurales les plus pauvres. Ainsi, planter des arbres uniquement pour le bois de feu qu’ils produisent n’est pas une solution appropriée.

Cependant, la plantation d’arbres n’est qu’un moyen parmi d’autres de venir à bout du manque de combustible. On peut imaginer d’autres solutions plus économiques et plus avantageuses: par exemple, passer plus de temps à ramasser du bois, changer les habitudes culinaires ou trouver d’autres combustibles comme la paille ou les excréments d’animaux. Les populations s’intéressent au boisement mais souvent pour d’autres raisons plus valables a leurs yeux. Il importe cependant dé noter que les paysans comptent bien obtenir une certaine quantité de combustible des arbres plantés a d’autres fins.

Du bois pour le feu, seulement?

6.2 Programmes visant une production multiple

Certains programmes qui ont encouragé le boisement à des fins multiples ont donne d’assez bons résultats. Il est clair que les agriculteurs apprécient généralement les arbres pour la diversité des avantages qu’ils procurent à la vie familiale et aux systèmes agricoles; ils recherchent donc les essences offrant le plus grand nombre possible de ces avantages. Ils essayent de trouver des techniques de boisement qui peuvent s’intégrer dans leur système de production avec le minimum de frais.

En Amérique centrale, le Centro Agronómico Tropical de Investigación y Enseñanza (CATIE) a persuadé 90 exploitants de la zone des Piedades Norte, au Costa-Rica, de planter environ 50 000 arbres en encourageant divers types de techniques de boisement, telles que la plantation de haies vives, d’arbres pour ombrage et de brise-vent. Toute une série d’essences polyvalentes ont été offertes dans les pépinières locales et les exploitants ont vite incorporé les arbres dans leurs systèmes agronomiques. A l’occasion d’une enquête récente, les cultivateurs ont donné plusieurs raisons pour expliquer leur décision: ils ont indiqué le plus souvent une raison principale mais ils ont toujours mentionné en plus d’autres utilisations alternatives ou complémentaires (Jones et Campos, 1983).

D’autres avantages moins directs tels que l’amélioration du sol et l’accroissement de la production agricole peuvent être des motifs suffisants pour planter des arbres. Dans les années 1960, un programme indonésien a été entrepris sur l’île de Timor pour réduire l’érosion des sols moyennant la construction de terrasses sur les pentes volcaniques abruptes de la région de Sikka, mais cette opération s’est révélée très coûteuse, en argent comme en main-d’oeuvre. En 1972, une coopérative d’agriculteurs a commencé a planter des rangées de Leucaena suivant les courbes de niveau. Elle a bénéficié de l’aide d’une mission catholique locale et au bout de dix ans plus de 45 000 hectares de terres dégradées avaient été partiellement aménagées en terrasses. Outre la conservation du sol, objectif principal du projet, les exploitants ont obtenu d’autres avantages importants: les haies fournissent également de l’engrais vert, du fourrage pour le bétail et du bois de feu (Metzner, 1976; Jones, 1983).

La lutte contre l’érosion est également une composante importante d’autres programmes. A Nyabisindu au Rwanda, on a incorpore des activités de foresterie paysanne ne nécessitant que de faibles dotations à des systèmes agronomiques sur des petites exploitations menacées par l’érosion. Le projet agro-pastoral a encouragé la plantation d’arbres et de haies sur de petites exploitations dégradées, dans le cadre de l’action destinée a améliorer la production agricole locale et l’élevage. Près de 170 pépinières locales produisent plus de 5 millions de jeunes plants par an, dont 30 pour cent d’arbres fruitiers. Depuis 1981, 3 000 hectares de terres agricoles avaient été améliorés grâce à la plantation d’arbres et 4 000 hectares supplémentaires étaient protégés contre l’érosion (Behmel et Neumann, 1982).

Etant donné que la fertilité intrinsèque du sol, les systèmes agronomiques et les pratiques de culture varient considérablement d’un site à l’autre, l’agriculture réagit de façons différentes à la plantation d’arbres. Néanmoins, les données abondantes dont on dispose montrent que l’intégration d’arbres aux cultures a un effet positif sur la fertilité du sol, la rétention d’eau, la température du sol et d’autres caractéristiques qui ont à leur tour un effet sur la production agricole (Chandler et Spurgeon, 1979; de las Salas, 1979; MacDonald, 1982; Huxley, 1983; Arnold, 1983; Nair, 1984; Catterson, 1984).

Il semble que la plantation d’Azadirachta indica comme brise-vent dans la vallée de Majjia au Niger, a donné lieu à une hausse de 23 pour cent des rendements de mil. Entre 1975 et 1980, des arbres ont été plantés sur une longueur de plus de 100 kilomètres, chaque kilomètre de haie brise-vent protégeant au moins 10 hectares de terre agricole (Bognetteau-Verlinden, 1980). Au Burkina Faso et au Sénégal, des accroissements de rendement de mil de l’ordre de 50 pour cent ont été enregistrés sur des terres abritées par un couvert de Acacia albida (Direction des Eaux et Forêts, 1965; Felker, 1978). Une étude comparative entreprise au Burkina Faso et portant sur 47 parcelles plantées d’arbres et 48 parcelles-témoins a montré que la production de mil et de sorgho était supérieure de 10 pour cent sur les premières (Wright, 1983; voir aussi: Gulick, 1984).

Par ailleurs, si les arbres ont en général un effet positif sur la production d’un système agronomique, il arrive parfois qu’ils nuisent aux rendements agricoles ou gênent la production animale. Les agriculteurs vont, en fait, planter plus ou moins d’arbres sur leurs terres selon la manière dont ils perçoivent les coûts et les bénéfices de l’opération. La ou les arbres et le bois sont abondants, l’importance d’en planter ne leur paraîtra pas évidente. La ou le bois et les arbres sont rares leur culture peut exiger des sacrifices et des efforts si grands que ces derniers peuvent paraître plus importants que les bénéfices prévisibles.

Normalement, dans ce genre de programme de foresterie au niveau de l’exploitation les agriculteurs sont entièrement responsables de la gestion des plantations effectuées sur leurs terres. Les organismes de soutien se limitent à fournir des conseils techniques et parfois des facteurs de production, tels que des jeunes plants.

Paniers de jeunes plants distribués gratuitement et faciles à repiquer

Certains produits ne peuvent être obtenus que si les arbres sont compris dans le système de culture et, par conséquent, le boisement à ce niveau coexiste souvent avec la foresterie collective. Ainsi, dans les collines du Népal, les paysans cultivent généralement des arbres sur leurs propres terres pour se procurer du fourrage et des fruits et comptent sur les forêts et les plantations communautaires pour s’approvisionner en bois de feu et en poteaux de construction. Dans bien des cas, cependant, la plantation au niveau de l’exploitation familiale est jugée préférable aux parcelles collectives car elle permet de contrôler de plus près la gestion et l’accès aux avantages. On a fréquemment constaté que quand la gestion privée et la gestion collective coexistent, la première obtient des pourcentages plus élevés de survie et de croissance des arbres.

6.3 Mesures visant à renforcer la gestion familiale des boisements

Les activités de foresterie au niveau des petites exploitations, dont les produits sont destinés à la consommation familiale, doivent être cohérentes aussi bien au niveau du projet qu’aux yeux des cultivateurs. Si les objectifs du programme coïncident avec les priorités locales, on peut espérer de bons résultats. Cependant, la portée de tout programme sera fonction des avantages que les femmes et les hommes de la région comptent en tirer.

Il est possible d’obtenir de bons résultats en concentrant les efforts sur une amélioration des modes d’utilisation des terres. Souvent, les techniques locales d’utilisation des terres et de gestion des arbres peuvent servir de base solide à l’introduction d’innovations. Les interventions techniques qui sont compatibles avec les pratiques en vigueur offrent l’avantage d’avoir un impact plus facile à percevoir et des effets plus compréhensibles aux yeux des agriculteurs locaux (Raintree, 1983).

Au Costa-Rica, où les systèmes d’agroforesterie traditionnels sont déjà très complexes, les interventions se sont attachées à perfectionner ces systèmes afin d’accroître leur productivité globale. Les agriculteurs se sont portés volontaires, par exemple, pour essayer de nouveaux types d’arbres propres à ombrager leurs plantations de café (Budowski, 1983).

Il peut être utile de voir si dans d’autres régions les modes d’utilisation des terres évoluent de façon à pouvoir incorporer des activités de foresterie paysanne. Au Kenya, par exemple, le besoin croissant de terres agricoles a réduit le nombre d’arbres facilement exploitables. Le bois, qui était autrefois un bien abondant et gratuit, est devenu un produit précieux à protéger et à renouveler (Brokensha et al. 1983 a). Une étude récente du couvert forestier du district de Kakamega, où la pression démographique est énorme, a révélé que près de 80 pour cent des ménages ruraux plantaient des arbres sur leurs terres. Fait peut-être encore plus significatif, un grand nombre d’exploitations familiales possédaient leurs propres pépinières pour produire de jeunes plants. De façon tout à fait imprévue on a constaté qu’il semble exister une corrélation directe entre la densité de la population et le couvert forestier: plus la population est dense, plus elle affecte de terres à la production de biomasse ligneuse (van Gelder et Kerkhof, 1984; Bradley, 1984).

Au sein d’une même collectivité, certaines personnes s’intéressent plus que d’autres § la plantation d’arbres. Leur intérêt peut provenir du fait qu’ils sont propriétaires terriens, ou bien de leur fortune, ou bien encore de la possibilité qu’ils ont de se procurer d’autres ressources comme des jeunes plants et des conseils techniques. En définitive, pour qu’il se décide à planter des arbres il faut que le cultivateur trouve une option technique qui réponde aux besoins de son ménage.

Les programmes de foresterie paysanne doivent donc tenir compte des besoins et des possibilités de chaque exploitation. Etant donné que ceux-ci varient d’une famille à l’autre, l’introduction de plusieurs techniques permettra aux exploitants de choisir celle qui leur convient, au lieu d’avoir à décider s’ils souhaitent adopter ou non l’unique méthode qu’on leur propose (Raintree, 1981).

Dans certains cas, surtout quand le secteur rural évolue rapidement, les agriculteurs peuvent ne pas prendre tout de suite conscience des graves problèmes d’utilisation des terres qui devraient retenir leur attention. Ils ne se rendent peut-être pas compte que seules des stratégies à long terme permettent de remédier aux pénuries de bois de feu et répondre aux besoins futurs. Dans ces cas, il est souhaitable de lier la solution aux problèmes peu urgents ou mal perçus à celle de problèmes prioritaires bien connus (Raintree, 1983), notamment par l’introduction de systèmes de sylviculture polyvalente.

Dans la pratique, le pivot de la plupart des programmes sera l’offre de services techniques de bonne qualité aux agriculteurs intéressés - hommes et femmes - ainsi que la facilité avec laquelle ces exploitants pourront obtenir le matériel qu’il leur faut et qu’ils préfèrent pour planter. Les paysans peuvent souvent utiliser des jeunes plants ayant germé naturellement, mais les pépinières pourraient leur offrir un plus grand choix d’essences, notamment des variétés améliorées ou des essences exotiques importées (si cela semble utile) ainsi que des jeunes plants difficiles à faire pousser ailleurs. Les plants cultivés sous surveillance proviennent de souches mères saines et sont soumis à un contrôle de qualité. La pépinière peut aussi servir de centre de démonstrations et de vulgarisation.

La pépinière produit-elle de meilleurs plants?

Il est extrêmement important que les pépinières répondent bien aux besoins locaux. Elles doivent être en mesure de produire les quantités voulues de plants bien adaptés au milieu. Les paysans souhaitent parfois planter certains arbres à cause d’une forte demande de produits ligneux, de fruits, de fruits à coques, de feuilles et de pousses comestibles, de fourrage, de tanins, de matières colorantes, d’écorce, de fibres, de remèdes et de diverses gommes et huiles. La pépinière ne pourra offrir les essences les plus appropriées que si les gens du pays participent directement à leur choix par le biais d’enquêtes, de sondages et d’entretiens qui font connaître l’opinion de tous les secteurs de la population, et en particulier Celle des femmes qui sont le plus souvent chargées de récolter le bois de feu, les aliments, le fourrage et les autres produits forestiers.

Le bois de feu, c’est l’affaire de femmes

Lorsqu’on introduit de nouvelles essences ou des façons nouvelles d’incorporer les arbres dans les systèmes agricoles, les démonstrations sur le terrain sont très utiles pour instaurer un climat de confiance et obtenir le soutien des populations locales. Quels que soient les avantages théoriques des nouvelles techniques de plantation ou des nouvelles espèces, et même si elles sont fréquemment utilisées dans d’autres parties du monde, les agriculteurs locaux ont tendance à considérer ces nouvelles méthodes avec méfiance à moins qu’elles aient fait amplement leurs preuves. Mais une fois que les agriculteurs - hommes et femmes - sont convaincus des avantages de ces innovations, il arrive que celles-ci se répandent très rapidement.

6.4 Perspectives de la foresterie paysanne dont les produits sont destinés à la consommation familiale

On a souvent constate que la foresterie au niveau de l’exploitation est rapidement abandonnée si elle est axée sur un produit unique, tel que le bois de feu, destiné à la consommation familiale. Les programmes qui ont intégré des essences à usages multiples dans les systèmes de production agricole ont été mieux accueillis. Les stratégies agro-forestières peuvent contribuer a atténuer l’érosion du sol et à accroître la production agricole grâce aux effets complémentaires des arbres et des cultures; elles peuvent également améliorer l’environnement humain.

Il est particulièrement indiqué d’encourager la foresterie a l’exploitation pour faire face aux besoins de subsistance la où les arbres permettent d’améliorer la situation de paysans vivant à la limite de la pauvreté. Cette approche suppose une association optimale entre arbres et cultures de plein champ et non la maximisation de la production de biomasse ligneuse comme dans le cas de la plupart des méthodes de foresterie à l’exploitation axées sur la vente. La rivalité entre les cultures vivrières et la production d’arbres ne pose guère de problème. De plus, les besoins d’aménagement sont faibles de sorte qu’il n’est généralement pas difficile de trouver assez de main-d’oeuvre.

Il existe cependant plusieurs obstacles importants à ce type de boisement, que l’on retrouve aussi dans d’autres stratégies de foresterie au service des collectivités. Le plus important est sans doute le régime de propriété des terres et des arbres. Si les agriculteurs ne sont pas sûrs de bénéficier eux-mêmes des résultats des investissements consacrés au boisement, ils ne sont généralement pas enclins à investir; si l’exploitation est très petite, il y a une concurrence importante entre les arbres et la production agricole, car les arbres ne fournissent généralement pas de produits alimentaires de base.

CHAPITRE 7 SYLVICULTURE PAYSANNE AXÉE SUR LA VENTE


7.1 Le marche parallèle du bois
7.2 Rattachement au marché officiel du bois
7.3 Foresterie paysanne sur des terres publiques
7.4 Accès équitable à la foresterie paysanne axée sur la vente
7.5 Autres problèmes de caractère social
7.6 Problèmes relatifs à l’environnement
7.7 Possibilités de la foresterie paysanne axée sur la vente

Quand il existe des débouchés commerciaux pour le bois ou pour d’autres produits forestiers, les agriculteurs lancent parfois des opérations plus intensives d’aménagement et de culture des arbres afin d’en vendre les produits. Dans ces conditions, les arbres sont assimilables à certaines cultures de rente: ils doivent être plantés, récoltes et commercialisés et l’apport d’autres moyens de production comme les engrais et les systèmes d’irrigation est susceptible d’augmenter les profits de l’exploitant.

L’expérience a montré que la demande commerciale encourage beaucoup les paysans à cultiver les arbres. Cela présente aussi des avantages sur le plan de l’allocation des ressources. Les arbres sont parfois plus rentables que d’autres cultures; ils permettent d’exploiter sans beaucoup de frais des terres qui ne conviennent pas à l’agriculture; et en exigeant moins de main-d’oeuvre que d’autres activités agricoles, leur culture est mieux adaptée à l’exploitation familiale. Les arbres ne meurent pas si on en retarde la récolte, on peut les laisser sur pied jusqu’à ce que les conditions du marché soient favorables et ils font donc courir moins de risques financiers que les cultures annuelles. En outre, une fois établis, ils résistent mieux que les plantes annuelles aux périodes de sécheresse.

Le fertilité du sol: un facteur déterminant

Cependant, comme les produits forestiers ne commencent à rapporter qu’au bout de quelques années, bien des exploitants ne peuvent attendre l’entrée de revenus et mobiliser des terres et autres ressources pendant si longtemps. Le cycle de production relativement long peut aussi mettre l’exploitant dans une situation précaire si son droit sur les terres ou sur les arbres est limité ou si les conditions du marché évoluent défavorablement. Par ailleurs, le boisement exige périodiquement des investissements en capital ou en main-d’oeuvre qui ne rentrent pas toujours dans les moyens du petit agriculteur.

Le comportement de l’exploitant vis à vis des attraits que présentent les débouchés commerciaux dans une zone donnée dépendra donc des profits qu’il peut en tirer par rapport à ceux qu’offrent d’autres activités rémunératrices, ainsi que de sa capacité de production et de son accès aux dotations nécessaires. Les services de soutien qui permettent l’accès au crédit et aux marchés peuvent s’avérer tout aussi importants pour ce type de boisement pratiqué par les populations rurales que l’accès aux conseils techniques en matière de sylviculture et aux jeunes plants.

Les effets de la foresterie paysanne axée sur la vente peuvent aller au-delà de l’exploitation familiale, en créant, par exemple, une source supplémentaire d’emplois et de revenus dans les campagnes. En outre, le secteur privé étant d’ordinaire un producteur de biens et de services plus efficace que le secteur public, la foresterie paysanne rend souvent davantage que les plantations gérées par l’Etat. Enfin, bien conçu, un programme de sylviculture paysanne peut également réaliser un certain nombre d’objectifs sociaux et écologiques.

Le boisement pratiqué par les petits exploitants à des fins commerciales n’est pas chose nouvelle. Ainsi, au Soudan, et ailleurs, on cultive depuis longtemps Acacia senegal comme culture de jachère pour en extraire la gomme arabique. Ce produit est commercialisé depuis au moins 4 000 ans avant Jésus-Christ et la vente en est assujettie depuis longtemps à certains mécanismes de contrôle et de commercialisation. Par contre, la croissance récente de la foresterie paysanne pour la vente correspond à la naissance de nouveaux marchés qui n’ont pas encore reçu une structure officielle.

7.1 Le marche parallèle du bois

Dans beaucoup de régions, à mesure que les ressources forestières ont diminué, le bois est progressivement devenu un produit commercial. Des quantités de plus en plus grandes de bois de feu, de charbon de bois et de bois de charpente sont vendues sur le marché parallèle dont les échanges apparaissent rarement dans la comptabilité nationale. Pourtant ces échanges sont souvent appréciables et constituent pour les agriculteurs une puissante incitation § se lancer dans la foresterie paysanne.

Le charbon de bois, une source de revenus pour les populations rurales

Les marchés du bois se développent surtout à la périphérie des zones urbaines ou existent parfois des circuits complexes de producteurs, de distributeurs, de vendeurs et d’acheteurs de bois de feu et de charbon de bois (Morgan, 1983). Ce dernier peut être une source importante de revenus et d’emplois à la campagne car, contrairement au bois de feu, il peut être transporté à peu de frais sur de grandes distances. Sa production peut exposer les écosystèmes fragiles de savane à des risques sérieux mais constituer ailleurs une activité raisonnablement équilibrée.

Certains programmes ont réussi à introduire la foresterie paysanne en encourageant les petits agriculteurs à planter des arbres pour répondre aux besoins naissants d’un marché du bois de feu et du charbon de bois. A Haïti, les exploitants ont rapidement établi des plantations commerciales face à la demande urbaine de combustible ligneux et de poteaux de construction. Le programme de foresterie paysanne faisait suite à des tentatives antérieures fondées sur la participation collective, tentatives qui avaient été abandonnées faute de traditions vraiment solides sur le plan de la coopération et de la propriété collective. Le concept de la propriété privée est, par contre, bien ancré dans la tradition et de nombreuses familles disposent de terres, pour la plupart non cultivables.

Alors que d’autres programmes de boisement entrepris à Haïti mettent en relief l’action bénéfique des arbres sur l’environnement, ce plan en souligne l’intérêt financier. Des organisations non gouvernementales se sont chargées de mettre en place les pépinières et les plants sont vendus aux agriculteurs au prix coûtant. Entre 1981 et la fin de la saison des pluies de 1983, environ 4 millions d’arbres avaient été plantés par 6 000 ménages participants. Il est encore trop tôt pour savoir à quel point l’opération sera rentable et quelques doutes ont été expérimés au sujet des conseils techniques et des espoirs trop optimistes que l’on avait fait naître dans l’esprit des participants. Les responsables du projet prévoient cependant que les planteurs n’auront guère de mal à se tailler une place sur les marchés du charbon de bois et du combustible ligneux (Murray, 1983).

Le programme de foresterie paysanne dont on a eu le plus d’échos est sans doute celui entrepris dans l’Etat du Gujarat, en Inde, ou les marchés du bois de charpente et du bois de feu ont puissamment incité les agriculteurs à planter des arbres. Pour le Département des forêts de l’Etat, ce projet, lancé au début des années 1970, s’inscrivait dans son programme de foresterie au service des collectivités. Dans le cadre du projet, les agriculteurs devaient planter les jeunes plants - sur les terres inexploitées ou marginales qui bordaient et entouraient leurs exploitations.

En observant la mise en oeuvre du projet, quelques agriculteurs se sont rendu compte qu’il serait plus rentable de planter des arbres sur les terres agricoles à la place des cultures de rente habituelles, telles que le coton et le tabac. Les arbres présentaient de gros avantages par rapport à ces dernières. La foresterie paysanne exigeait moins de main-d’oeuvre et les besoins de personnel pouvaient s’étaler plus régulièrement sur l’année puisqu’on pouvait faire la récolte des arbres pendant la saison sèche, au moment où le travail était réduit. Le besoin total de main-d’oeuvre était ainsi réduit et la gestion de l’exploitation s’en trouvait simplifiée.

L’exploitation des arbres, notamment celle des eucalyptus, est devenue une opération extrêmement lucrative dans le Gujarat. Une première analyse financière des activités forestières de l’un des premiers forestiers privés du Gujarat (qui avait intercalé les eucalyptus et le coton, la première année) donnait des coûts d’investissement d’environ 1 700 dollars par hectare et un total des recettes, après cinq ans, de 5 900 dollars par hectare.

Le taux de rentabilité interne était évalué à 129 pour cent pour la première révolution, mais on estimait qu’il passerait à 213 pour cent pour chaque récolte de taillis successive (Gupta, 1979). Ces prévisions dépassaient de beaucoup celles que l’on avait pu faire pour d’autres cultures. Dans certains cas, les agriculteurs se sont tournés vers la plantation d’arbres parce que, en dehors du fait qu’ils pouvaient en attendre des profits importants, la production de la seconde culture la plus rentable, le coton, s’est vue sérieusement limitée par l’intervention de l’office public de commercialisation du coton.

Les arbres comme culture de rente en inde

Les exploitants ont réagi avec enthousiasme devant la rentabilité de ce type de foresterie. Le nombre de jeunes plants distribués par le Gouvernement a quadruplé entre 1975 et 1979, passant de 12 à 48 millions par an, puis a encore doublé en 1981 pour atteindre 100 millions, et s’est élevé § 195 millions en 1983. Pour la population rurale de l’Etat, qui s’élève à 25 millions d’habitants, cela a représenté environ 8 plants par individu en 1983.

Plus de 5 pour cent de la population agricole du Gujarat pratique la foresterie paysanne et, en 1983, une superficie de 150 000 hectares avait été plantée. Selon une estimation, environ 22 pour cent des jeunes plants ont été distribués à des exploitants disposant de moins de deux hectares, mais d’autres sondages donnent un pourcentage bien moins élevé de plantation sur de petites exploitations (Patel et Doshi, 1984).

Au départ, les agriculteurs pouvaient obtenir jusqu’à 10 000 jeunes plants gratuitement. Le coût de 100 plants étant de 2 dollars, cette offre représentait une subvention non négligeable pour les agriculteurs qui décidaient de profiter de ce programme, vu que le salaire quotidien d’un ouvrier agricole est d’environ 1 dollar. Mais, compte tenu du fait que les gros propriétaires sont mieux placés pour profiter de ces offres, et dans un souci d’équité, le nombre de plants distribués gratuitement a été ramené à 3 500 et continuera probablement à baisser jusqu’à 1 000. Les agriculteurs qui désirent obtenir des plants supplémentaires peuvent les acheter au Département des forêts ou à d’autres exploitants privés qui ont établi leurs propres pépinières. Celles-ci ont avantageusement pris le relais du Département des forêts pour la fourniture de jeunes plants.

Au moment de l’élaboration de ce projet, on a beaucoup sous-estime l’intérêt des paysans pour la foresterie. En effet, lorsqu’en 1979, on a soumis à la Banque Mondiale une proposition visant au financement d’une nouvelle phase du programme de foresterie au service des collectivités, la foresterie paysanne y était envisagée comme une composante assez modeste du projet. Dans l’analyse économique, le bois de feu et les poteaux de construction étaient évalués à un prix “théorique” parce qu’on pensait à tort qu’il s’agissait de biens non commercialisés. Pourtant, à la fin de la saison de plantation de 1984, on avait distribué aux agriculteurs quatre fois plus de plants que prévu.

Cependant, tout porte à croire que cet essor de la plantation d’arbres ne saurait durer indéfiniment. Dans les quelques années à venir, bien des arbres plantés depuis 1979 auront atteint une maturité suffisante pour être vendus et le marché des poteaux de construction et du bois de feu risque fort d’être saturé. Avec la baisse des prix, tombera l’enthousiasme pour le boisement et les terres retourneront probablement à d’autres cultures de rente, à moins que d’autres débouchés pour le bois s’ouvrent ou se développent.

La saturation du marché du bois de construction fera sans doute baisser le prix du bois de feu et le rendra plus accessible aux gens qui autrement n’auraient pas eu les moyens de s’en procurer. De nouvelles industries utilisant le bois pourront s’implanter pour enrayer la baisse. Toutefois, malgré la faculté qu’ont les agriculteurs de faire face à une crise de surproduction, puisqu’ils peuvent laisser les arbres sur pied en attendant que le marché retrouve son équilibre, nombre d’entre eux auront sans doute beaucoup de mal à s’adapter à ces renversements de situation.

Le risque dans ces quelques années à venir sera particulièrement grave pour les petits exploitants qui ont peu d’expérience en matière de commercialisation. Du fait des fluctuations du marché, ils peuvent être exploités par des intermédiaires; afin d’éviter cette éventualité, il faudrait rechercher d’autres arrangements commerciaux sous la forme par exemple de coopératives de forestiers comme il en existe déjà quelques-unes dans des zones ou les agriculteurs ont été particulièrement séduits par la foresterie paysanne (Dewees, 1983).

L’application de ce système dans le Gujarat a parfois été critiquée sous prétexte qu’à l’origine le principal objectif de cette entreprise était de produire du bois de feu à usage local et non des poteaux de construction pour la vente, ce qui a, en fait, été le principal produit. Toutefois, les exploitants n’ont guère intérêt à planter des arbres uniquement pour le bois de feu alors que la vente des poteaux de construction est lucrative. On produit bien du bois de feu en quantité importante (mais qui n’a pas encore été mesurée), surtout comme produit annexe de la production de bois de charpente, provenant des émondages, des déchets de taille et des perches non commercialisables.

D’autres Etats indiens ont adopté des variantes du programme du Gujarat. L’un des programmes les plus importants est celui entrepris dans l’Etat d’Uttar Pradesh, ou presque tous les jeunes plants sont fournis aux cultivateurs à un prix qui correspond à 50% du coût. Il a fallu augmenter considérablement la production des jeunes plants pour satisfaire la demande. Pendant la saison de plantation de 1982/83, 156 millions de plants ont été distribués, soit presque trente fois plus que prévu.

La leçon principale qui ressort de tous ces programmes visant a encourager la foresterie paysanne axée sur la vente, est peut-être la nécessité de mieux connaître l’économie parallèle du bois au moment d’élaborer des projets. Dans certains cas, l’absence de données sur cette économie n’a pas trop nui à la mise en oeuvre des projets parce que l’importance du marché du bois avait été sous-estimée et les programmes ont eu assez de souplesse pour s’adapter à la demande. Mais, dans d’autres cas, une mauvaise appréciation de la situation de l’offre et de la demande a conduit à surestimer l’importance de la demande commerciale, ce qui a sérieusement gêné la réalisation des objectifs fixés par les projets.

Les projets conçus sans données suffisantes sur le marché peuvent facilement échouer. Celui de la région d’Ilocos dans l’île de Luzon aux Philippines visait à encourager les exploitants a planter des Leucaena pour en tirer du combustible ligneux destiné au séchage du tabac. Malheureusement, les planificateurs n’avaient pas remarqué que les entreprises en question étaient déjà alimentées en bois par le secteur parallèle. Les agriculteurs avaient conçu des systèmes traditionnels de production de bois de feu sur des petites parcelles et n’avaient donc guère intérêt à adopter la nouvelle approche que prônait le projet et qui leur semblait pleine d’incertitudes (Wiersum et Veer, 1983).

7.2 Rattachement au marché officiel du bois

La dépendance des exploitants vis à vis du marché parallèle les expose parfois à des risques qu’ils ne sauraient accepter. Les risques les plus graves proviennent de l’absence d’une bonne infrastructure du transport, ce qui limite leur accès au marché, ou du fait que la production coïncide de près avec la demande et que le marché est en phase de transition entre “la loi du vendeur” (où les producteurs décident, dans une certaine mesure, des prix) et “la loi de l’acheteur” (où ce pouvoir appartient aux consommateurs). Ces risques sont moindres quand les exploitants peuvent être sûrs d’obtenir un bon prix pour leur production sur le marché, et que les marchés sont à leur portée.

Quand le secteur parallèle ne peut garantir aux exploitants des prix corrects pour leurs produits, une solution consiste à concevoir des programmes qui rattachent la production paysanne à la demande sur le marché officiel du bois et des produits forestiers. Ces liens peuvent prendre la forme d’accords commerciaux entre les exploitants et les industries du bois telles que papeteries, scieries et fabriques travaillant les fibres.

Sylviculture paysanne axée sur la production de bois de pâte

Cette formule a été appliquée avec quelque succès aux Philippines. En 1968, a l’initiative de la Paper Industries Corporation of the Philippines (PICOP), on a incite les agriculteurs a cultiver des arbres pour produire du bois de pâte. A l’origine, ce programme était censé offrir une alternative aux cultivateurs itinérants qui pratiquent le débroussaillement et brûlis et empiètent sur les concessions forestières de la PICOP. C’était aussi un moyen d’augmenter les revenus ruraux et d’éviter ainsi les tensions sociales qui n’auraient manqué de se produire avec l’installation d’une classe relativement aisée d’industriels dans une région rurale plutôt pauvre.

Au titre de ce programme, on élabora un système d’agroforesterie associant l’élevage et la production végétale de subsistance a la culture d’Albizia falcataria sur des parcelles de 10 hectares. La PICOP fournissait aux agriculteurs de jeunes plants à prix coûtant. L’assistance technique avait essentiellement pour but de rehausser l’efficacité du système d’agroforesterie et s’inspirait de la propre expérience de la PICOP en matière de plantation industrielle. On garantissait aux petits exploitants un prix minimum pour leur bois et la PICOP acceptait également de payer les frais de transport. La taille requise des arbres était atteinte en huit ans.

Le programme a pris de l’essor en 1972 quand la PICOP a conclu avec la Banque des Philippines pour le développement (DBP) un accord prévoyant l’octroi de prêts à la foresterie paysanne. Les prêts ainsi offerts aux petits exploitants devaient financer 75 pour cent des coûts d’établissement et d’entretien des plantations. Les exploitants qui pouvaient présenter un titre de propriété sur leurs terres bénéficiaient de prêts à 12 pour cent d’intérêt; ceux dont la tenure n’était pas assurée, pouvaient recevoir des prêts à 14 pour cent d’intérêt. La PICOP continuait de garantir un prix d’achat minimum pour la production des petits exploitants mais autorisait ces derniers à vendre du bois à d’autres acheteurs s’ils pouvaient en tirer un meilleur prix.

Ce programme a eu du succès. En 1981, il aidait 3 800 participants et couvrait 22 000 hectares. Près de 30 pour cent des exploitants avaient profité des facilités de crédit (Magno, 1982).

Le programme prévoyait d’incorporer progressivement les arbres dans un système d’agroforesterie, mais, dans la pratique, presque tous les exploitants qui avaient reçu des prêts plantèrent intégralement leurs terres d’Albizia. Au lieu d’échelonner leurs plantations sur plusieurs années, environ 80 pour cent des participants plantèrent des arbres sur toute leur propriété dès la première année, en expliquant que des peuplements de même âge entraînaient moins de frais de personnel pour les travaux de défrichement, de plantation et de gestion.

En conséquence, les exploitants ont dû récolter toute leur plantation au bout de la révolution de huit ans. Une récolte échelonnée leur aurait permis de n’utiliser que la main-d’oeuvre familiale au lieu d’embaucher une main-d’oeuvre contractuelle qui leur est revenue plus chère. Afin de couvrir ces coûts, ils réclamèrent des prix plus élevés à l’usine (Banque des Philippines pour le développement 1981).

Néanmoins, une évaluation financière a posteriori du programme de la PICOP donne à penser que la foresterie paysanne sur petites exploitations a été extrêmement profitable. Avec le système de gestion le plus typique, le taux de rentabilité interne oscille entre 22 et 31 pour cent, selon le rendement de la petite exploitation. Cependant, ces taux sont très sensibles aux barèmes salariaux, car les frais de main-d’oeuvre représentent une grande part des coûts.

Sur la base de cette expérience, on peut conclure, notamment, que les projets qui comportent l’octroi de prêts doivent être assez souples pour suivre les variations des besoins financiers des cultivateurs. Par exemple, le coût de la récolte n’avait pas été pris en compte dans le programme de prêts. Il est en outre indispensable que le calendrier des versements coïncide avec celui des besoins de capitaux et de main-d’oeuvre pour la récolte (Hyman, 1983 b).

L’expérience de la PICOP montre que la foresterie paysanne peut satisfaire la demande de bois industriel. En s’inspirant de cette expérience, d’autres industries se sont servies du modèle de la PICOP pour encourager les petits exploitants à produire du bois d’oeuvre et du charbon de bois. L’évaluation du projet a aussi révélé que les exploitants effectuaient des plantations supplémentaires sans être motivés cette fois par l’espoir d’obtenir des prêts. Près d’un tiers des premiers bénéficiaires de prêts ont planté, en moyenne, 9 hectares d’arbres supplémentaires tant pour la production de bois de pâte que pour celle de noix de coco et de fruits.

7.3 Foresterie paysanne sur des terres publiques

La plupart des activités de foresterie paysanne axées sur la vente ont été entreprises sur des parcelles privées dont les propriétaires étaient sûrs de recueillir les fruits. Récemment, un certain nombre de programmes ont été élaborés qui prévoient le recours à ce type de foresterie pour offrir une source de revenu aux sans-terre. A cette fin, on leur alloue des terres appartenant a l’Etat, en leur garantissant la sécurité de tenure dans des zones où il existe des débouchés pour les produits forestiers.

Dans l’Etat indien du Bengale occidental a été lancé un programme donnant officiellement à des sans-terre droit de propriété sur de petites parcelles de terres domaniales en friche. On alloue aux agriculteurs des parcelles d’un demi-hectare, proches de leur village, et on leur fournit jeunes plants et engrais. La plupart des parcelles étant contiguës, les paysans peuvent s’unir pour protéger leurs terres et commercialiser leurs produits. Les fruits de leur travail leur appartiennent. En 1981 et 1982, 400 agriculteurs au total participaient à ce programme (Misra, 1983).

Des programmes analogues en faveur des pauvres et des paysans sans terre, ont été mis en oeuvre dans les Etats du Rajasthan, du Gujarat et du Himachal Pradesh, en Inde. Tous octroient aux agriculteurs sans-terre ou dotés d’un minimum de ressources, le droit de planter des arbres sur des terres publiques. Souvent les bénéficiaires touchent une certaine somme d’argent pour leur investissement initial et reçoivent gratuitement d’autres intrants, comme de jeunes plants. Quelquefois, on leur verse aussi de petites primes d’encouragement calculées en fonction du taux de survie des arbres. Les produits intermédiaires - herbes, branchages, fruits et gousses - appartiennent généralement au preneur à bail, mais la récolte finale doit parfois être partagée avec le département des forêts.

Dans d’autres pays également, des terres domaniales ont été allouées à des collectivités pour y pratiquer la foresterie paysanne. C’est ainsi qu’aux Philippines, des populations montagnardes ont accès à des baux de 25 ans sur des terres forestières inexploitées, pour y planter des arbres. Ces domaines sont divisés en parcelles d’un hectare attribuées à des exploitants qui sont censés planter des arbres sur au moins 80 pour cent de la superficie. L’Office de développement forestier fournit des jeunes plants et une assistance technique. En 1980, plus de 10 000 hectares avaient été alloués. Toutefois, les agriculteurs en l’occurence préfèrent généralement pratiquer des cultures vivrières en raison de l’incertitude du marché pour les produits forestiers.

On ne possède pas aujourd’hui suffisamment de données sur les projets pour pouvoir les évaluer. Ils sont surtout intéressants parce qu’ils donnent la possibilité d’associer les pauvres et les sans-terre à la foresterie paysanne. Ils offrent aussi un moyen a long terme de protéger et d’aménager des terres marginales, plus économique et peut-être plus efficace que d’autres activités entreprises par l’Etat. Leur point faible est qu’en définitive ils n’ont qu’un impact restreint parce qu’ils ne peuvent toucher qu’une faible proportion de l’énorme masse des sans-terre. Ils risquent aussi d’exclure d’autres paysans sans terre de parcelles qu’ils utilisaient auparavant, et de les priver ainsi de combustible, de fourrage, de matériaux de construction, etc. Il sera bon, par conséquent, de suivre de près ces projets au cours des quelques années à venir.

7.4 Accès équitable à la foresterie paysanne axée sur la vente

Si les conditions sont bonnes, la foresterie paysanne peut rapporter des gains importants aux exploitants. Il n’y a rien à redire à cela. La promotion des activités économiques en zones rurales est un des objectifs primordiaux de nombreuses stratégies nationales de développement; on ne peut donc logiquement contester la foresterie paysanne sous le simple prétexte qu’elle rapporte a ceux qui s’y adonnent (Foley et Barnard, 1984). Il n’en reste pas moins vrai que les programmes dans ce domaine soulèvent parfois des problèmes d’équité et que c’est sur ce terrain-là qu’ils ont beaucoup prêté à la critique en Inde (Shiva et al., 1981, 1982; Centre for Science and Environment, 1982).

Il est indéniable que ce sont d’ordinaire les grands propriétaires terriens qui peuvent le mieux participer aux programmes de foresterie paysanne. Ce sont eux en effet qui disposent des plus grandes ressources en capital et en main-d’oeuvre et qui ont le plus de choix. Ils peuvent, s’ils le désirent, planter des arbres sur leurs meilleures terres agricoles plutôt que sur des terres marginales, se payer des engrais et des systèmes d’irrigation pour accroître la production, embaucher au besoin de la main-d’oeuvre supplémentaire.

Mais surtout, ce sont eux qui peuvent prendre le risque d’investir dans la plantation d’arbres, et consacrer une partie de leurs terres au boisement sans pour cela compromettre la production d’autres cultures de rente et de subsistance; ils peuvent attendre, plus longtemps que les petits propriétaires, que les arbres leur rapportent. Au moment de la récolte, ils peuvent souvent négocier les prix de vente à partir d’une position de force qui leur permet d’obtenir un bon prix de leurs produits. En outre, ils sont presque toujours mieux placés pour profiter des incitations éventuelles a la foresterie paysanne.

Trop pauvres pour cultiver des arbres?

Pour leur part, les paysans qui cultivent des petites exploitations ou des terres marginales, souvent ne peuvent pas profiter des occasions que leur offre la foresterie paysanne axée sur la vente. Ils doivent toujours réserver la plus grande partie de leurs terres à la production vivrière pour leur autoconsommation et il ne leur en reste presque jamais assez pour la le boisement, quels qu’en soient les avantages potentiels. Ils ne peuvent pas non plus courir le risque de compromettre leur situation économique en misant leurs maigres ressources en capital et en main-d’oeuvre sur des activités de boisement qui ne leur rapporteront qu’au bout de 5 ou 10 ans. Comme par ailleurs, il leur est impossible de se procurer un surcroît de capital et de main-d’oeuvre, ils sont d’autant moins en mesure de se lancer dans la foresterie sur une base solide et compétitive.

En fait, il est plus facile pour les exploitants riches en terres et en capitaux de participer aux programmes de développement dans la plupart des domaines et non pas seulement dans celui de la foresterie paysanne. Les investissements dans ce type d’entreprise lucrative se justifient sur le plan financier, mais il demeure que les objectifs d’équité et de distribution des biens sont particulièrement difficiles à atteindre avec des activités conçues pour favoriser la formation de capital.

Il faut donc que les programmes de soutien trouvent le moyen d’élargir l’impact de la foresterie paysanne. Cela veut dire que les ressources ne doivent pas être dépensées d’une manière qui favorise les riches. Ainsi, la distribution de plants gratuits a tous, sans aucune distinction, favorise démesurément les exploitants aisés qui ont suffisamment de terres pour planter beaucoup d’arbres et qui, de toutes façons, ont sans doute les moyens d’acheter des plants. Vraisemblablement, ces mêmes exploitants n’ont pas besoin de prêts à des taux de faveur car ils ont accès aux marchés financiers. Par conséquent, l’aide devrait plutôt être dirigée vers les paysans pauvres qui, sans elle, n’auraient pas la possibilité de cultiver des arbres pour en tirer un profit

7.5 Autres problèmes de caractère social

Les exploitants qui pratiquent la foresterie alimenter le marché essayent naturellement de vendre leurs produits le plus cher possible. Comme c’est sur les marchés urbains que le bois est le mieux payé, c’est la qu’aboutit le plus souvent la production de la foresterie paysanne. Même quand le bois est vendu sur place, il va en général à ceux qui ont les moyens de l’acheter. Les paysans sans terre et les pauvres qui en ont le plus besoin n’ont pas le pouvoir d’achat nécessaire pour l’obtenir.

La foresterie paysanne risque même de priver les habitants les plus pauvres de combustible et de fourrage, notamment la ou la coutume permet aux ouvriers agricoles de ramasser les résidus végétaux dans les champs après la récolte. Si ces champs sont plantés d’arbres, l’accès en devient réglementé et les paysans doivent trouver d’autres sources de combustible et de fourrage.

Dans des cas extrêmes, la foresterie paysanne peut avoir d’autres conséquences sociales néfastes, par exemple en évinçant des travailleurs ruraux du secteur agricole. Une des raisons pour lesquelles on cultive des arbres en Inde est que cette activité exige moins de main-d’oeuvre que d’autres types de production agricole, réduisant ainsi les dépenses de personnel et les problèmes de gestion agricole. Les programmes de foresterie paysanne risquent donc d’enlever des possibilités économiques aux habitants les plus défavorisés puisque ce sont les sans-terre et les pauvres qui dépendent pour vivre d’un emploi dans l’agriculture.

On a parfois aussi reproché à la foresterie paysanne de détourner au profit des arbres des terres agricoles consacrées aux cultures vivrières ce qui, du moins théoriquement, peut faire baisser la production vivrière totale et monter les prix des denrées alimentaires. Mais la foresterie paysanne n’est pas seule à créer ce genre de problèmes, qui peuvent être dûs tout aussi bien à l’introduction d’autres cultures de rente. Néanmoins, il est clair que ce type de foresterie n’est pas forcément le meilleur moyen de combattre les inégalités sociales. Il est utopique de prétendre que la foresterie axée sur la vente apporte des avantages rapides et faciles à tous les secteurs de la collectivité.

La foresterie paysanne peut se justifier par de nombreuses raisons valables, mais celles qui font état de soucis d’équité et de distribution des revenus ne sont pas les plus croyables. Les personnes chargées d’élaborer les programmes ont donc le devoir de veiller à ce que l’introduction de la foresterie paysanne ne rende pas la condition des habitants les plus pauvres plus difficile encore qu’elle ne l’aurait été autrement.

7.6 Problèmes relatifs à l’environnement

Les incidences sur l’environnement des programmes de boisement sur petites exploitations font aussi l’objet d’une certaine inquiétude. La plantation d’arbres n’est pas nécessairement bénéfique pour l’environnement pas plus qu’elle n’améliore automatiquement le sol. Il semblerait même que les monocultures à rendement élevé et à courtes révolutions peuvent réduire la fertilité du sol si on n’applique pas de bonnes méthodes d’établissement et de gestion (Evans, 1984).

Les agriculteurs qui cultivent des arbres pour la vente se préoccupent surtout d’en tirer les meilleurs profits, sans toujours se soucier d’améliorer l’environnement. Les emplacements à planter sont en fin de compte choisis en fonction de l’aptitude de cette culture à engendrer des revenus, par rapport à d’autres utilisations des terres. Aussi souhaitable puisse-t-il être, sur le plan écologique, de planter des arbres dans des zones dégradées, du point de vue économique, aux yeux du cultivateur, cela peut sembler absurde.

Sur les collines du Népal, ou les produits de la foresterie paysanne ont peu de débouchés commerciaux, la plupart des exploitants plantent des arbres sur les pentes abruptes et à la lisière des champs (Bhattarai et Campbell, 1983). Dans le Gujarat, par contre, plus de la moitié des exploitants sylviculteurs ont établi des plantations en blocs. Les trois-quarts de ces plantations ont été faites sur des terres agricoles, dont une moitié était consacrée auparavant soit à des cultures vivrières soit à des cultures de rente (Sardar Patel Institute, 1985).

Ces terres ont besoin d’arbres

Il est donc raisonnable de conclure que les programmes de foresterie paysanne n’atteindront pas automatiquement certains des objectifs les plus ambitieux en matière de protection de l’environnement que les services responsables se sont parfois fixés. Cela ne veut pas dire que la foresterie axée sur la vente n’aura aucun effet bénéfique sur l’environnement.. Il est peu probable, cependant, que les arbres seront concentrés sur les sites les plus menacés. Bien souvent d’ailleurs, les zones où l’environnement est le plus en danger n’appartiennent pas a des particuliers, de sorte qu’il n’est même pas question de les protéger par les boisements privés.

7.7 Possibilités de la foresterie paysanne axée sur la vente

Bien que critiquée à certains égards, la foresterie paysanne offre de bonnes possibilités d’accroître la production de bois pour répondre à la demande commerciale et d’engendrer des revenus pour ceux qui la pratiquent. Les programmes de foresterie paysanne sont parfois bien plus rentables que d’autres stratégies de boisement. En Inde, par exemple, les plantations forestières paysannes ne coûtent au secteur public qu’un cinquième de ce que leur coûtent les plantations forestières d’Etat.

L’un des principaux avantages des programmes de foresterie paysanne, du point de vue de la planification, est qu’elle décentralise vraiment le pouvoir de décision en le donnant à ceux qui sont intéressés au premier chef. Ce sont les exploitants qui décident des apports qu’ils veulent faire et du niveau de production qu’ils souhaitent atteindre.

Si la plantation d’arbres se révèle vraiment viable financièrement, les programmes de foresterie paysanne pourront devenir économiquement indépendants. La nécessité d’établir des parcelles de démonstration, de distribuer gratuitement des plants, d’octroyer des crédits et d’autres primes d’encouragement diminuera a mesure qu’il apparaîtra clairement que la foresterie paysanne peut être une source durable de revenus pour les familles rurales. Les programmes de soutien n’auront plus à ce moment-là que les taches suivantes: identifier les situations dans lesquelles les exploitants peuvent pratiquer rentablement la foresterie axée sur la vente, fournir des données sur les conditions du marché et des conseils techniques au stade initial et, le cas échéant, ouvrir la porte aux services de crédit et de commercialisation.


Page précédente Début de page Page suivante