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PREMIÈRE PARTIE: LES ARBRES DANS LE CONTEXTE RURAL


CHAPITRE 1 MODES TRADITIONNELS DE GESTION ET DE CULTURE DES ARBRES
CHAPITRE 2 PRESSIONS SUR LES PRATIQUES TRADITIONNELLES DE GESTION DES ARBRES EN MILIEU RURAL ET SUR LES RESSOURCES LIGNEUSES ET FORESTIÈRES
CHAPITRE 3 INTRODUCTION D’INNOVATIONS DANS LES BOISEMENTS EN MILIEU RURAL

CHAPITRE 1 MODES TRADITIONNELS DE GESTION ET DE CULTURE DES ARBRES


1.1 L’importance des arbres
1.2 Les produits des arbres
1.3 Rôle de la gestion et de la culture des arbres
1.4 Moyens traditionnels de protection et d’aménagement des arbres
1.5 Coupe en taillis et coupe en têtard
1.6 Traditions de plantation et de culture des arbres
1.7 Systèmes traditionnels d’intégration des arbres dans les cultures
1.8 Pratiques de gestion - perspectives

Souvent dans les régions rurales, hommes et femmes se préoccupent depuis longtemps de protéger et de cultiver des arbres sur les terres agricoles et les espaces boisés. Jusqu’à ces derniers temps, on avait tendance à donner peu d’importance à ces activités traditionnelles. L’action forestière était axée sur la gestion des arbres aux fins de protection de l’environnement et de production industrielle de bois d’oeuvre. L’importance nouvelle accordée aux boisements entrepris avec la participation des populations locales marque donc un tournant décisif par rapport aux anciennes conceptions, politiques et pratiques.

Il est important de situer les efforts actuels de foresterie communautaire, qu’ils soient conçus sur une base collective ou privée, dans le contexte des activités forestières locales spontanées. Il faut pour cela passer en revue un certain nombre de techniques locales de gestion et de conservation des arbres. Les relations entre les habitants et les arbres qui les entourent sont généralement complexes. Les méthodes employées sont souvent le fruit de siècles d’expérience. Souvent elles sont apparues pour répondre aux pressions croissantes, mais parfois subtiles, qui s’exercent sur le milieu en question. Elles avaient pour objectif fondamental de permettre aux populations rurales de continuer a disposer d’essences prisées localement.

L’importance que donnent les populations à la culture et à la gestion des arbres varie selon les zones non industrialisées du monde. Elle dépend en grande partie des conditions écologiques, des systèmes d’utilisation des terres agricoles, des traditions culturelles, de la demande locale de bois et de produits dérivés, des régimes fonciers et des pressions économiques.

Dans certaines sociétés, la culture et l’exploitation des arbres sont un trait dominant du mode de vie; dans d’autres, elles ne jouent qu’un rôle accessoire, voire négligeable. Selon l’intensité de la méthode d’exploitation, certaines stratégies permettent mieux que d’autres de faire face aux pressions sur le milieu. La dégradation de l’environnement et l’épuisement du couvert forestier dénotent souvent l’absence d’un système traditionnel d’exploitation des arbres et du milieu. Dans bien des cas, ils sont dus à la désorganisation des systèmes traditionnels sous l’effet de pressions intenses se répercutant les unes sur les autres.

Il peut s’avérer nécessaire d’introduire des innovations la où de solides traditions locales font défaut. Dans les zones riches en forêts, comme dans les régions du monde où d’autres formules d’utilisation des ressources ont été appliquées, il se peut que les techniques de conservation et de régénération des arbres aient été pratiquement négligées. De même, les pressions exercées par la pauvreté, la croissance démographique et l’insécurité des droits fonciers - entre autres facteurs - ont parfois empêché le développement ou le maintien de stratégies locales.

Dans tous les cas, les programmes de plantation en milieu rural doivent se fonder d’abord sur la connaissance des systèmes de culture ou d’aménagement forestiers traditionnels ou actuels qu’ils viennent compléter, ainsi que sur la connaissance des raisons qui ont rendu nécessaire l’introduction de nouvelles méthodes d’aménagement.

1.1 L’importance des arbres

Sans aucun doute, les forêts jouent un rôle vital dans la défense des milieux naturel et humain. Ce sont elles qui protègent les bassins versants, qui fournissent un habitat à la faune et qui favorisent la stabilisation des écosystèmes qui sans elles seraient vulnérables. Elles procurent aux paysans et aux citadins de nombreux produits indispensables. Elles jouent également un rôle économique en permettant l’extraction commerciale de bois d’oeuvre et de pâte, source importante de recettes publiques et de devises dans plusieurs pays.

Les arbres offrent des habitats à la faune

La forêt offre en outre asile et moyens d’existence à des populations nombreuses soit qu’elles y habitent depuis toujours soit qu’elles y trouvent des emplois dans l’extraction et la récolte de ses produits. Elle joue aussi un rôle essentiel dans la production agricole. La culture itinérante est certes une des causes de la détérioration d’une grande partie des terres boisées. Cependant, quand elle est pratiquée sur des bases écologiques rationnelles, le processus naturel de recru et de régénération de la forêt restaure la fertilité des terres en jachère.

Les arbres à l’extérieur des forêts et des réserves boisées sont aussi extrêmement utiles, mais les données dont on dispose a ce sujet sont encore incomplètes. Les statistiques officielles sur les terres forestières comprennent rarement des arbres qui poussent ça et là dans le paysage rural, autour des maisons, a la lisière des champs, le long des routes et sur les pâturages communaux. Or, pour la majorité des paysans qui ne vivent pas aux alentours immédiats des terres forestières, ces arbres ont plus d’importance encore que les forêts elles-mêmes. C’est pourquoi les politiques et programmes visant à améliorer l’accès aux ressources ligneuses et aux autres produits dérivés doivent avant tout reconnaître que les arbres qui serviront le mieux les besoins des paysans ne seront pas ceux qui poussent dans les forêts mais plutôt dans la cour des fermes, sur les lopins prives et sur les terrains collectifs.

Des arbres utiles dans la cours de la ferme

Sur les terres agricoles et les pâturages les arbres jouent aussi un rôle écologique très important. Ils servent à couper le vent et à en abriter les cultures ainsi qu’à protéger le sol contre l’érosion. Leur ombre fait baisser la température du sol et leur humus freine le ruissellement des eaux de pluie, préservant ainsi le sol et accroîssant l’infiltration de l’eau, ce qui permet aux réserves d’eau souterraine de se recharger. Ils redistribuent également les éléments nutritifs en exportant les minéraux essentiels du sous-sol et en les mettant à la portée d’autres végétaux par l’intermédiaire de leurs feuilles qui tombent. Dans beaucoup de pays on ramasse de grandes quantités de cet humus pour en faire du compost et du terreau qui entretiendront la fertilité du sol.

Les arbres ont une fonction sociale non négligeable. Ils donnent de l’ombre aux hommes et aux animaux dans les pays chauds et sont parfois le centre de réunions et d’activités familiales et villageoises. Souvent on les cultive et on les protège pour, leur ombre et leur beauté, et parfois pour leur caractère sacré.

1.2 Les produits des arbres

Le bois est le combustible domestique le plus communément utilisé dans les zones non industrialisées du monde. En effet, la plus grande portion de la demande de bois est destinée à la production d’énergie et dépasse de loin la portion utilisée comme bois d’oeuvre commercial. Le bois est de loin la source d’énergie la plus importante dans beaucoup de pays, représentant jusqu’à 90 pour cent du combustible total consommé dans certains des pays les plus pauvres. Dans nombre de pays, pratiquement toutes les familles rurales l’utilisent pour une partie au moins de la cuisson et de la préparation des aliments, et pour se chauffer. Dans beaucoup de villes, le charbon de bois et le bois restent les combustibles les plus utilisés pour la cuisine. Quelques procédés industriels comme le séchage du tabac et du thé, la cuisson des briques et le brassage de la bière dépendent souvent exclusivement du bois comme source de chaleur. A ces demandes s’ajoutent celles des restaurants, des maisons de thé, des boulangeries et autres entreprises commerciales.

Méthode de cuisine traditionnelle

Il ne faudrait pas, toutefois, que la part prédominante du bois dans l’approvisionnement des campagnes en énergie fasse oublier que d’autres combustibles traditionnels ont souvent aussi leur importance. L’utilisation des résidus agricoles et des excréments d’animaux est extrêmement répandue, mais son rôle est mal compris et on ne lui accorde pas toute l’attention qu’elle mérite. Aussi est-il arrive que la justification de programmes de production de bois de feu ait été surévaluée parce qu’on avait sous-estime la contribution des autres combustibles traditionnels.

La demande de bois de feu est tellement grandes par rapport a celle des autres produits ligneux, qu’elle tend à éclipser l’importance vitale qu’ont ces derniers pour les populations rurales. Le fourrage en est peut-être l’exemple le plus frappant, particulièrement à certaines périodes de l’année ou l’herbe et les autres sources d’alimentation animale viennent à manquer. Dans les zones arides, les arbres fournissent souvent une production régulière de fourrage sous la forme de gousses et de feuilles comestibles. Pendant les périodes de sécheresse, ces produits deviennent une source particulièrement importante d’alimentation animale.

Les arbres donnent souvent du fourrage

Les arbres et les espaces boisés offrent aussi une grande variété d’aliments pour les hommes. Certains de ces aliments sont extrêmement importants pour maintenir l’équilibre nutritionnel des régimes alimentaires traditionnels. Ils comprennent des feuilles et des gousses comestibles, des racines, des fruits, des noix, du miel, des insectes et du gibier. Les arbres peuvent donner des condiments, tels que les épices, tandis que la sève de certains d’entre-eux sert à fabriquer du vin. Les champignons et autres mycètes des bois sont aussi cueillis pour préparer certains plats.

Les champignons peuvent pousser sur les arbres

Les arbres fournissent aussi de très nombreux produits forestiers dits “mineurs”, dont il ne faut pas sous-estimer l’intérêt, car ils sont souvent des plus utiles aux besoins et aux modes de vie des populations rurales.

De nombreuses collectivités tirent des arbres les fibres dont elles ont besoin pour fabriquer des cordes, des nattes, des paniers, des nasses, des toitures, des articles tissés, voire des cordes d’instruments de musique. Les arbres sont une source importante de remèdes et de médicaments, de tanins et de teintures extraits de l’écorce et des gousses et utilisés pour traiter le cuir et teindre les tissus. L’huile des graines de certaines essences peut remplacer la paraffine dans les lampes-tempête; les feuilles et les brindilles d’autres arbres éloignent les insectes, étourdissent les poissons et servent de vermifuge naturel pour le bétail. Certaines résines peuvent servir de colle.

Les outils agricoles, les chars à boeufs et les embarcations sont souvent fabriqués en bois et certaines essences ont des qualités très prisées pour la fabrication d’outils. Les troncs de certains arbres, creusés, font des réservoirs d’eau. Les cloches des chameaux sont faites en bois.

Les arbres produisent aussi toute une série de matériaux de construction commerciaux. Les poteaux de construction, par exemple, sont très demandés pour une infinité d’usages. Dans les campagnes, ils servent d’armature à un grand nombre d’habitations traditionnelles; dans les villes, ils sont utilisés pour la construction de logements bon marché; les plus grands sont employés partout pour les échafaudages et comme étais dans les chantiers de construction.

La vannerie, une entreprise familiale

Une embarcation fabriquée en bois

La récolte et la distribution de ces produits ligneux sont souvent une source importante de revenus. La production de charbon de bois et la vente de bois de feu, par exemple, apportent des revenus indispensables à beaucoup de foyers ruraux pauvres. Le sciage de long, les scieries, le travail du bois, la sylviculture ainsi que la récolte et la vente des fruits, du bois d’oeuvre, des résines, des gommes et autres produits forestiers aux industries artisanales et aux grandes entreprises commerciales assurent encore d’autres emplois. L’importance des petites entreprises rurales qui transforment les produits de la forêt commence à être de plus en plus souvent reconnue. Une enquête menée récemment par la FAO a montré que ces entreprises représentent souvent l’une des principales sources d’emplois et de revenus en dehors des exploitations agricoles. D’autres études sont en cours pour déterminer les caractéristiques fondamentales de ces entreprises et trouver des moyens d’en rehausser la contribution économique (FAO, 1985a).

Les arbres jouent donc dans la vie rurale un rôle qui est à la fois complexe et variable. Ce serait une grave erreur que de s’intéresser uniquement à un de ses aspects, même au plus important qu’est le bois de feu, au détriment des autres. La trame de la vie rurale, au foyer comme sur les champs, en dépend tellement que tout diagnostic des problèmes poses par l’épuisement du couvert forestier qui ne tiendrait pas compte de la complexité de cette dépendance risque fort d’être faussé.

1.3 Rôle de la gestion et de la culture des arbres

Presque partout, les collectivités agricoles reconnaissent la nécessité de maintenir un certain stock sur pied de différents types d’arbres, soit en les cultivant délibérément soit en les laissant pousser naturellement. Même dans les sociétés pastorales nomades, les arbres ont depuis toujours toutes sortes de fonctions essentielles. Les pasteurs en ont peut-être rarement planté, mais leur mode de vie traditionnel est tel qu’en général il ne nuit pas aux arbres qui poussent sur les terrains qu’ils parcourent avec leurs troupeaux. En fait, les animaux en paissant contribuent à conserver le stock d’arbres en en dispersant les graines.

Les nombreux produits et avantages que les populations rurales tirent des arbres témoignent de la parfaite connaissance qu’ont ces populations de leur environnement immédiat. L’hypothèse selon laquelle les collectivités traditionnelles n’ont pas conscience de ces avantages et doivent donc être mises en garde contre les conséquences immédiates de la disparition du couvert forestier est rarement vraie.

Localement, les conséquences sont évidentes: perte de fourrage, d’ombre, de fruits et d’autres avantages. Les populations rurales appréhendent peut-être mal les conséquences à long terme du déboisement - notamment en aval - mais leur aptitude à nommer et a distinguer un grand nombre d’essences et à en décrire les caractéristiques montre bien qu’elles s’intéressent aux arbres et qu’elles savent la place qu’ils occupent dans leur vie.

Dans certains cas, les systèmes sylvicoles ruraux traduisent une sophistication remarquable et mettent en jeu la plantation d’un très grand nombre d’arbres ainsi que le recours à des techniques perfectionnées pour les gérer et les exploiter. Dans d’autres cas, les méthodes de gestion sont plus passives et reposent essentiellement sur la conservation et la régénération naturelle. La stabilité du système tient à ce que les pressions démographiques sont faibles et à ce que la capacité de régénération de la forêt est assez grande pour compenser tout dommage dû aux pratiques d’utilisation des habitants.

Quand les sociétés traditionnelles sont restées stables, elles ont généralement pu maintenir la productivité des ressources forestières dont elles sont tributaires. Les techniques traditionnelles d’aménagement forestier, tout en ralentissant voire en arrêtant les processus de détérioration de l’environnement, sont avant tout axées sur la valeur utilitaire des arbres pour le foyer ou la communauté. Certaines sont même devenues des systèmes d’agroforesterie complexes, comme le jardinage familial, et ont incorporé des essences indigènes dans des systèmes de production soutenue. D’autres ont eu une portée et des effets plus modestes et n’ont visé qu’à conserver au moins quelques arbres intéressants dans des endroits commodes, proches de la maison.

1.4 Moyens traditionnels de protection et d’aménagement des arbres

Les individus, les ménages et les groupes familiaux qui désirent affirmer leur droit exclusif sur certains arbres, le font parfois en en limitant l’accès. C’est ainsi que dans le sud du Niger l’utilisation du baobab est régie par des traditions très anciennes qui spécifient avec rigueur les droits de propriété. Au Soudan, les palmiers sont assujettis à un régime complexe de propriété fractionnée obéissant au droit traditionnel de succession. Au Sumatra occidental, c’est à la famille élargie qu’appartient la décision de couper un arbre précieux (Fortmann, 1984).

Baobab - protège par la tradition

Certaines collectivités protègent depuis longtemps tels ou tels arbres parce qu’ils leur servent de point de ralliement ou parce qu’ils revêtent un caractère sacré. Au Népal, au cours des siècles, des systèmes officiels de gestion ont été mis au point qui définissent des droits spécifiques d’utilisation des produits de valeur fournis par les arbres poussant sur les terrains collectifs. Ces systèmes ont pris forme pour faire face aux impératifs de distribution ainsi qu’aux pénuries croissantes. Avec l’effondrement des anciens systèmes, la destruction des forêts s’est accélérée de façon sensible ces dernières années et certaines collectivités ont été amenées à concevoir de nouveaux systèmes (Campbell et Bhattarai, 1983).

D’autres groupes ayant le même intérêt à préserver les ressources forestières ont également réagi devant la menace de pénuries croissantes. Ainsi, sur les hauts plateaux du Guatemala, les professionnels du bois ont apporté une contribution importante aux efforts de conservation des arbres. Dans la région himalayenne de l’Inde, le mouvement Chipko, dirigé par des femmes dynamiques, est un mouvement d’action collective qui s’appuie sur la technique de la non-violence préconisée par Gandhi pour lutter contre la destruction des arbres par les sociétés commerciales du bois (Agarwal et Anand, 1982).

Le peuple Karen de la Thaïlande s’efforce depuis toujours d’empêcher le brûlis de parcelles destinées à la culture itinérante (Kunstadter, et al., 1982). Chez certaines tribus du Kenya, ceux qui recueillent le miel ont l’obligation d’éviter que les ruches qu’ils enfument ne prennent feu (Leakey, 1977). Dans certaines parties de l’Inde, l’acte de couper un arbre peut être considéré contraire à la morale, surtout si l’arbre fournissait des produits utiles à la collectivité. Les Indiens Bora de l’Amazonie péruvienne ont conscience du fait que leur système de culture itinérante doit être pratiqué de façon à réduire l’érosion du sol et à favoriser certains arbres dans la végétation secondaire (Deneven, et al., 1984).

Outre des mesures énergiques de conservation des arbres, quelques stratégies locales d’aménagement des terres visent spécialement à harmoniser l’utilisation des terres avec leur capacité de charge. Dans ces régions, on a parfaitement conscience de ce que le surpâturage nuit à l’environnement et c’est pourquoi on veille à maintenir la taille des troupeaux et les régimes de pâturage dans des limites raisonnables sur le plan écologique.

D’autres stratégies consistent à protéger et à cultiver les plants qui germent spontanément. Les agriculteurs épargnent à dessein certains jeunes plants au moment du sarclage; ils élèvent même des barrières autour d’eux pour les protéger du bétail. Dans certaines parties du sud du Mexique, les exploitants tolèrent et préservent des légumineuses indigènes, comme Prosopis, qui procurent des gousses comestibles et de l’ombre, et augmentent la fertilité du sol (Wilken, 1978). Les cultivateurs du Nigeria méridional reconnaissent la supériorité de certaines essences pour restaurer la fertilité des terres laissées en jachère et font en sorte que ces essences prédominent dans la brousse (Getahun et al., 1982).

Prosopis - source de fourrage

Une technique de gestion apparue récemment consiste à limiter l’accès des habitants aux arbres qui étaient auparavant à leur disposition. Cette méthode est généralement associée à des modifications des régimes fonciers; elle correspond parfois à une aggravation des pénuries de bois. Dans la région centrale du Kenya, la récolte de bois et d’autres produits tirés d’arbres qui se trouvent sur des terres privées est de plus en plus assujettie à l’autorisation du propriétaire; il y a à peine quelques années les arbres et leurs produits étaient à la libre disposition de tous (Brokensha et Riley, 1978).

1.5 Coupe en taillis et coupe en têtard

Ce sont là deux techniques d’aménagement qui peuvent être employées pour certains types d’arbres. La première consiste à couper l’arbre au ras de la souche et à le laisser repousser; l’arbre produit alors normalement plusieurs rejets a la place de l’unique tige originelle. La deuxième technique consiste à couper la cime de l’arbre; les nouvelles branches surgissent alors du reste de la tige coupée. L’avantage de cette dernière méthode est que les nouveaux rejets viennent en hauteur et sont ainsi mieux à l’abri des animaux et du feu. L’élagage vertical consiste à couper les branches au ras du tronc. La repousse qui suit ces opérations est vigoureuse car le système radiculaire de l’arbre est déjà bien établi.

Différentes techniques de coupe en taillis, de coupe en têtard et d’élagage se pratiquent de par le monde et, en particulier, au Bangladesh, au Burkina Faso, aux Philippines et au Rajasthan, Inde (Douglas, 1981; Wiersum et Veer, 1983; Ben Salem et Tran van Nao, 1981).

Coupe en têtard: technique rationnelle d’aménagement forestier

Etêtage vertical (B. RILEY)

Sur les hauts plateaux du Kenya les cultivateurs pratiquent souvent la coupe en têtard des Grevilla qui poussent sur les terres agricoles. Ces arbres subissent parfois un étêtage intensif 15 à 20 fois en 50 ans. Le tronc continue de s’élargir et la tige de croître en hauteur à moins qu’un élagage délibéré au sommet ne l’en empêche.- Quand l’exploitant décide que l’arbre a atteint une taille suffisante, ou lorsqu’il a besoin d’argent, il l’abat et en vend le tronc comme bois d’oeuvre (Poulsen, 1983).

Toutes ces techniques ont un avantage commun en ce sens qu’elles permettent d’obtenir un rendement soutenu de bois ou de fourrage sur une longue période. Un arbre ainsi traité produit au total beaucoup plus qu’il ne le ferait si on se contentait de le laisser pousser tel quel puis de l’abattre une fois arrivé à maturité.

On oublie souvent que la coupe en taillis et la coupe en têtard sont pratiques courantes chez les agriculteurs. Il est pourtant évident que, dans certains endroits ces techniques permettent de tirer des arbres qui se trouvent sur les terres agricoles le gros du bois de feu et du bois d’oeuvre nécessaires aux ménages et cela sur une base soutenue. C’est la une constatation qui a son importance pour la conception des programmes destinés à accroître les approvisionnements en bois de feu.

1.6 Traditions de plantation et de culture des arbres

Dans de nombreux pays, les paysans ont toujours plante des arbres pour une infinité d’usages domestiques. Au Bangladesh, un des pays les plus peuples du monde, on s’est aperçu en 1983 que en moyenne, chaque ménage avait planté ou régénéré naturellement 68 arbres, dont 16 avaient été établis l’année précédente (Byron, 1984). Dans la zone de Fatick, au Sénégal, on a découvert que pratiquement tous les ménages avaient planté des arbres.

Au Panama, presque toutes les petites exploitations agricoles possèdent des arbres fruitiers (Jones, 1982b). Près de la moitié des exploitants interrogés dans la région de la vallée occidentale du Costa-Rica ont déclaré avoir planté des arbres en guise de brise-vent (Gewald et Ugalde, 1981). Au Pérou, le boisement sur initiative privée spontanée représente environ 30 pour cent de tous les arbres plantés, bien que le gouvernement finance exclusivement les reboisements à grande échelle. Selon une enquête menée sur les collines du Népal, chaque ménage possède en moyenne 28 arbres, dont un tiers ont été plantés et cultivés (Campbell et Bhattarai, 1983). Près de 40 pour cent des ménages ruraux du District de Kakamega au Kenya, entretiennent de petites pépinières et près de 80 pour cent ont planté des arbres sur leurs terres (van Gelder et Kerkhof, 1984).

Chose peut-être surprenante, rares sont les cas de paysans qui ont d’eux-mêmes planté des arbres dans le but précis d’obtenir du bois de feu, sauf dans l’intention de le vendre. Au Kenya, par exemple, on a constaté que les gens plantent des arbres pour leurs fruits, leur ombre, ou leur aspect décoratif, pour élever des coupe-vent ou démarquer des limites (Brokensha, et al., 1983).

Au Malawi, beaucoup d’exploitants plantent des arbres, surtout pour en tirer des poteaux à l’usage de la famille. Seulement 15 pour cent des personnes interrogées lors d’une étude sur le boisement en avaient planté en vue d’obtenir du bois de feu (Energy Studies Unit, 1983). Malgré leurs grands besoins d’énergie, les indiens qui vivent sur le plateau du lac Titicaca en Bolivie trouvent que les arbres sont trop précieux pour être brûlés et ils les emploient surtout comme poteaux pour construire leurs maisons et pour fabriquer des objets utilitaires (Barre, 1948).

Si les boisements dans les régions rurales ont rarement pour but la production de bois de feu, les habitants se rendent bien compte que les arbres plantés dans d’autres buts fourniront aussi une certaine quantité de bois de feu. Ainsi, les arbres plantés pour obtenir du bois d’oeuvre ou des poteaux de construction seront élagués pour que leurs troncs poussent bien droit; les arbres fruitiers seront aussi élagués de temps en temps pour que les fruits soient de meilleure qualité. Et les résidus de coupe serviront de combustible, tout comme les poteaux de construction qui ont fait leur temps et sont à remplacer.

Dans quelques régions cependant, les habitants plantent depuis longtemps des arbres dans l’intention de produire du bois de feu destiné à la vente. Autour de la ville indienne de Madras, on a établi les premières plantations de Casuarina à la fin du dix-neuvième siècle pour alimenter en bois les locomotives; lorsque celles-ci ont été converties au charbon minéral, le bois a servi a satisfaire les besoins domestiques d’énergie. Pendant la deuxième guerre mondiale, quand le manque de bois de feu s’est fait cruellement sentir, les exploitants locaux se sont mis à cultiver des arbres pour approvisionner le marché urbain en bois de feu. C’est ce qu’ils font encore aujourd’hui et on trouve des plantations analogues aux environs d’autres villes du sud de l’Inde. Dans plusieurs parties de Java, les agriculteurs ont réagi à la demande croissante de bois de feu en plantant des Calliandra sur de vastes étendues (National Research Council, 1983).

Certains arbres sont cultivés pour approvisionner en toutes sortes de produits d’autres marches spécifiques. La gomme arabique, le caoutchouc, la noix de coco, les dattes, l’huile de palme, le café et le thé sont des produits d’importance capitale pour les économies de beaucoup de pays en développement. Ces arbres ne sont pas uniquement cultivés dans de grandes plantations. Ils procurent aussi des revenus et un moyen de subsistance à un grand nombre de petits exploitants et a des agriculteurs aux ressources limitées.

Hévéas destinés à un marché bien spécifique

Les agriculteurs cultivent aussi des essences commerciales de bois d’oeuvre. Pendant de nombreuses années, l’industrie des allumettes dans le sud de l’Inde a été alimentée en grande partie par la production ligneuse de petits exploitants. Certaines sociétés distribuent gratuitement de jeunes plants pour s’assurer, a l’avenir, une provision régulière de bois. Les arbres sont considérés parfois comme une assurance à long terme. Dans certaines parties de l’Amérique latine, les agriculteurs plantent souvent quelques arbres autour de leurs habitations pour pouvoir les couper et les vendre comme bois d’oeuvre quand ils ont besoin d’argent. En Turquie, la tradition veut que l’on plante des arbres pour célébrer la naissance d’une fille et préparer ainsi la dot de son mariage.

1.7 Systèmes traditionnels d’intégration des arbres dans les cultures

Bien souvent, les paysans mènent de pair la foresterie et toute une série d’activités agricoles et pastorales sur la même parcelle de terre (Combe et Budowski, 1979; Lundgren, 1982; Nair, 1984; Weber et Hoskins, 1983). Le principal avantage de ce genre d’association systématique est que les arbres enrichissent le sol.

La protection du sol contre l’érosion est un autre bénéfice. La productivité totale de la terre s’en trouve accrue, car ces systèmes permettent l’utilisation supplémentaire ou complémentaire de différentes couches du sol et de l’espace exposé au soleil, au-dessus de la surface (Arnold, 1983).

Les méthodes appliquées et leurs rendements à la production sont très variés. Les cultivateurs des zones arides du Rajasthan en Inde associent les cultures fourragères et céréalières avec Prosopis cineraria. Si les premières rendent mal Prosopis devient la principale source de fourrage; les feuilles et les gousses sont stockées pour le bétail, en prévision des périodes maigres, tandis que le bois sert de combustible ainsi qu’à la fabrication de charbon de bois et d’outils agricoles (Paroda et Muthana, 1981).

Dans les basses terres humides de l’Amérique tropicale, on emploie Cordia alliodora comme ombrage pour les caféiers et les cacaotiers. Sa prédominance est telle qu’on le considère, dans certaines zones, comme venant au troisième rang des arbres les plus cultivés, bien qu’il n’apparaisse dans aucune statistique sur les plantations d’arbres (Budowski, 1983). Dans une grande partie du Sahel, on laisse pousser dans les champs les essences d’Acacia albida à germination naturelle pour améliorer les sols (Weber et Hoskins, 1983).

Acacia albida, un arbre utile

Lorsque la densité de la population est faible et les terres abondent, les périodes de jachère sont parfois assez longues pour permettre aux cultivateurs itinérants d’appliquer un système efficace d’agroforesterie. En préservant quelques arbres sur les parcelles vouées à la culture itinérante et en favorisant la croissance d’essences et de végétaux bénéfiques pour le sol, ces agriculteurs ont contribué directement au maintien du couvert forestier local et à l’accélération du processus de régénération. Sur les parcelles exploitées par les cultivateurs Lua de Thaïlande, on a trouvé 84 variétés de végétaux et d’essences, dont 70 donnaient des aliments et 13 des produits utilisés à des fins médicinales (Kunstadter, 1983). A Sumatra les cultivateurs itinérants épargnent les espèces fruitières et les arbres à essaims pour les abeilles (Pelzer, 1948). On a observé en Amazonie péruvienne que les agriculteurs itinérants protégeaient, sur les parcelles en jachère, certaines essences de bois d’oeuvre commercialement intéressantes (en particulier l’acajou) en prévision des sommes importantes que pourront en tirer leurs enfants (Deneven et al.; 1984).

Parmi les systèmes indigènes les plus complexes d’intégration des arbres dans les cultures, on trouve les “jardins familiaux” de l’Asie du sud-est, de l’Amérique latine et de l’Afrique. Ces jardins présentent en général un mélange à plusieurs étages d’espèces végétales productrices d’aliments, de fourrage et de bois, cultivées en étroite association. Celles-ci sont le plus souvent plantées sur de petites parcelles proches des habitations et sont soigneusement entretenues. Ces jardins comportent aussi parfois des élevages de volaille et de petit bétail. Ils imitent ou reproduisent, en fait, la structure étagée et la diversité d’espèces des forêts qui permet d’associer simultanément cultures pérennes et annuelles sur un espace restreint.

Agroforesterie traditionnelle: le jardin familial

La diversité des espèces ainsi cultivées donne un large éventail de produits. Les végétaux ayant des cycles biologiques différents il en est toujours un que la famille peut récolter quotidiennement, ne serait-ce qu’en petite quantité. En Amérique centrale, on a compté sur des parcelles d’à peine un dixième d’hectare, plus de 25 variétés de plantes et d’arbres vivriers, notamment des cocotiers, des papayers, des bananiers et des caféiers (Wilken, 1978). Une étude des jardins familiaux en Indonésie, qui couvrent environ 20 pour cent des terres cultivables de l’île de Java, a relevé 37 essences fruitières, 11 espèces végétales alimentaires, 12 espèces médicinales, 21 espèces herbacées, 18 sortes de légumes, 45 espèces de plantes ornementales et 47 essences pourvoyeuses de bois de feu et de bois de construction, tout cela sur un seul emplacement (Wiersum, 1984; Atmosoedaryo et Wijayaku-sumah, 1979).

Plusieurs systèmes de culture sur marécage et terre humide qui comprennent des arbres ont beaucoup d’aspects communs avec les jardins familiaux. Le système des chinampas se pratique depuis des siècles dans certaines parties du Mexique. Il consiste à aménager des terrasses surélevées et à se servir de sédiments provenant du fond des marais ou de réservoirs spécialement construits pour cultiver une grande variété de plantes annuelles et pérennes. Des arbres fruitiers ou des autres essences qui donnent de l’ombre, qui servent de support à des plantes grimpantes ou qui fournissent d’autres produits, sont plantés en bordure des terrasses, ou intercalés avec les végétaux cultivés sur les terrasses elles-mêmes (Gliessman, et al., 1981). On trouve des pratiques analogues dans les plaines deltaïques du Bangladesh où les villages sont perchés sur des tertres pour se protéger des inondations saisonnières. Sur ces sols alluviaux fertiles, on cultive un mélange à plusieurs étages d’arbustes, bambous, palmiers et autres arbres (Douglas, 1981).

Sur le cours inférieur du Tana au Kenya, les agriculteurs pratiquent différentes cultures annuelles et pérennes sur plusieurs parcelles pour se prémunir contre les risques naturels. Même si, une année, quelques parcelles ne rendent pas, les conditions agro-écologiques sur chacune d’elles et les exigences des cultures étant différentes, il est peu probable que la récolte soit entièrement mauvaise. Certaines parcelles sont généralement affectées à des produits particuliers: fruits, bois de feu ou matériaux utilisés localement pour la construction.

Ce genre de système a souvent été adopté dans les zones à forte concentration démographique pour compenser le manque de terres. Dès l’instant, toutefois, ou les parcelles deviennent trop exiguës du fait des pressions démographiques, économiques ou politiques, le système peut atteindre ses limites; à ce moment-là il faut chercher des solutions à court terme. Il arrive alors qu’on déracine les arbres cultivés en association complémentaire avec d’autres végétaux pour faire place aux cultures vivrières. On a observé que dans les zones ou la taille moyenne des exploitations avait beaucoup diminué, les agriculteurs revenaient souvent à la production de quelques cultures vivrières de base comme le manioc (Wiersum, 1984).

1.8 Pratiques de gestion - perspectives

Les stratégies traditionnelles de gestion forestière sont dynamiques, car elles ont évolué en réponse à des situations particulières, et traduisent tout un ensemble de facteurs culturels, sociaux, économiques, politiques, écologiques et démographiques. Celles qui ont réussi à survivre, ont souvent dû s’adapter a l’introduction de nouvelles cultures, à la croissance démographique, à l’expansion et à la contraction des marchés de certaines denrées agricoles, ainsi qu’à d’autres phénomènes.

Mais ce n’est pas parce que, dans le passé, les paysans ont pu gérer efficacement leurs ressources forestières qu’ils pourront continuer à le faire. Dans maints endroits, les contraintes économiques, démographiques et sociales devenant plus pressantes contribuent à la faillite des pratiques traditionnelles de gestion. Les systèmes les plus passifs, qui reposent essentiellement sur la capacité de régénération naturelle des forêts et des bois sont particulièrement vulnérables; ils sont parfois complètement débordés.

Pour bien connaître le contexte dans lequel les innovations en matière de foresterie rurale ont des chances de réussir, il faut comprendre tout d’abord pourquoi les paysans ont du mal à planter et a entretenir un nombre suffisant d’arbres. Il est tout aussi important de comprendre pourquoi les forêts naturelles et les arbres poussant sur les exploitations agricoles et aux alentours, qui, autrefois, rendaient aux habitants les divers services dont ils avaient besoin, ne sont plus à même de le faire.

Tableau 1: Principaux systèmes d’agroforesterie en application dans les pays en développement (Suite)

Systèmes

Asie du Sud-Est

Asie du Sud

Méditerranée et Moyen Orient

Afrique orientale centrale et occidentale humide

Afrique occidentale aride et semi-aride

Amérique tropicale

Agro-sylviculture

1. Essences commerciales intercalées dans les cultures
2. Arbres fruitiers et à ombrage en bordure des cultures
3. Haies vives
4. Rideaux abris
5. Taungya
6. Systèmes de culture itinérante
7. Cultures intercalaires dans les plantations (hévéas, palmier à huile, cocotiers).

1. Taungya
2. Cultures de plantations, + cultures de plein champ.
3. Essences commerciales et fruitières + cultures
4. Haies vives, + rideaux abris
5. Divers arbres sur les exploitations à des fins de production
6. Diverses formes de culture itinérante
7. Plantes médicinales + variétés agricoles.

1. Oliviers + céréales (sur terrasses, banquettes) “cuvettes” etc...
2. Peupliers le long de canaux d’irrigation
3. Arbres pour la fixation des dunes
4. “Huertas”, petites parcelles cultures irriguées + arbres fruitiers
5. Essences aromatiques, médicinales et fruitières avec cultures.

1. Taungya
2. Complexe cacaotièrs/cultures vivrières/essences forestières
3. Complexe cultures de plantation (palmier à huile/hévéas et cultures de tubercules
4. Cafeiers, bananiers
5. Cultures pérennes mélangées
6. Gomme arabique + mil
7. Culture itinérante/jachère broussailleuse

1. Recours aux arbres pour protéger les terres agricoles (coupe-vent, fixation des dunes)
2. Rôle producteur et protecteur des arbres sur les exploitations (A. albida/Leucaena + systèmes de production végétale).

1. Arbres dans des cultures pérennes de rente (café, cacao, thé)
2. Arbres pour la matière organique les paillis qu’ils donnent avec cultures annuelles
3. Haies vives
4. Coupe-vent et rideaux-abris
5. Arbres servant de tuteurs à des cultures commerciales grimpantes
6. Taungya
7. Systèmes de culture itinérante.

Sylvopastoralisme

1. Pâturages en plantations forestières
2. Pâturages en forêts secondaires
3. Essences commerciales sur pâturages
4. Arbres à fruits/ombre sur pâturages
5. Arbres fourragers
6. Cocotiers + pâturage

1. Pâturages sous les arbres
2. Cultures de plantation + pâturages
3. Arbres fourragers + arbustes
4. Arbres fruitiers + essences commerciales sur pâturages

1. Forêt de chênes + pâturages
2. Elevage porçin + sylviculture
3. Aménagement des parcours

1. Gomme arabique + élevage
2. Cultures de plantation (cocotiers/cajous) + pâturages

1. Nomades/semi-nomades/transhumants
2. Systèmes de pâturage sédentaire/systèmes de broutage
3. Arbres fourragers/arbustes

1. Arbres sur pâturages
2. Pâturages en forêts se régénérant naturellement
3. Arbres exploités pour produire du fourrage
4. Arbres destinés au broutage

Agro-sylvopastoralisme

1. Cultures + pâturages dans les plantations
2. Cultures agro-sylvicoles + pâturage en plantations forestières
3. Arbres à usages multiples avec production végétale animale
4. Systèmes agronomiques intégrés avec cultures de plantation (hévéas, cocotiers, palmiers à huile

1. Cultures de plantation + cultures de plein champ + élevage
2. Cultures agro-sylvicoles + pâturage en forêts

Aménagement des parcours

1. Cocotiers/autres cultures de plantation + cultures vivrières + pâturages
2. Caféiers + bananiers + élevage laitier
3. Systèmes complexes horticoles.

1. Sylviculture dominante (terres forestières)
2. Agriculture dominante (terres agricoles)
3. Elevage dominant (parcours)

1. Cultures de plantation (cocotiers, hévéas, fruitiers) avec cultures et pâturages

Jardins familiaux

Diverses associations d’essences multiples

1. Voûtes végétales étagées en régions humides
2. Systèmes arides et semi-arides

Principalement dans les grandes villes

Diverses formes

Diverses formes

Diverses formes

Divers

1. Sylviculture en forêts à mangrove
2. Agro-sylvo-pisciculture
3. Arbres sur les diguettes d’étangs d’élevage piscicole
4. Culture itinérante
5. Agrosylviculture pour le bois de feu.

1. Cultures pérennes mélangées
2. Périmètres d’irrigation
3. Divers systèmes spécifiques à un milieu
4. Systèmes de production de bois de feu.

1. Nouveau système au Maroc (plantation d’essences à épices pour lutter contre l’érosion)
2. Apiculture + sylviculture
3. Arbres fruitiers en zones désertiques
4. Culture de champignons en forêt.

1. Systèmes pastoraux avec exploitation en corral (systèmes d’action réciproque hautes terres/basses terres) 2. Cultures pérennes mélangées.

1. Oasis
2. Périmètres d‘irrigation
3. Divers systèmes spécifiques au milieu

Cultures pérennes mélangées

Source: P.R. Nair, Soil Productivity aspects of agroforestry, ICRAF, Species for Energy Production, National Academy of Sciences Washington, D.C. 1984.

CHAPITRE 2 PRESSIONS SUR LES PRATIQUES TRADITIONNELLES DE GESTION DES ARBRES EN MILIEU RURAL ET SUR LES RESSOURCES LIGNEUSES ET FORESTIÈRES


2.1 Le ramassage de bois de feu et le déboisement
2.2 Le besoin de terres agricoles
2.3 Modification des régimes de propriété et de contrôle fonciers et apparition de débouchés commerciaux
2.4 Contraintes locales aux boisements
2.5 Contraintes locales à l’utilisation des terres
2.6 Contraintes locales à l’utilisation des arbres
2.7 Utilisations concurrentielles de la terre, de la main-d’oeuvre et du capital
2.8 Contraintes sociales et culturelles
2.9 Obstacles ou atouts?

Si les arbres se font de plus en plus rares, c’est là le résultat d’un mélange de phénomènes anciens et récents. Dans certains endroits, les pressions sont apparues progressivement et presque imperceptiblement, laissant parfois aux populations le temps et la possibilité de remanier et d’adapter les systèmes d’aménagement. Dans ces cas-là, des signes d’appauvrissement étaient peut-être présents depuis des décennies et le déboisement grave a pu être évité grâce à des stratégies d’adaptation telles que la protection des essences prisées, la protection des plants a germination spontanée, et des éclaircies sélectives. Ailleurs, la perte du couvert forestier tend à s’accélérer.

Effet du déboisement su l’agriculture

Le problème, déjà complexe, le devient plus encore en raison des aspirations et espérances nouvelles suscitées par le développement économique. La croissance démographique est souvent considérée comme la cause principale du déboisement, mais elle n’est certainement pas la seule. Beaucoup de facteurs y contribuent, dont le développement agricole, la commercialisation, les politiques gouvernementales, les modes de colonisation des terres, les changements technologiques, les systèmes passés d’exploitation des forêts et des ressources et l’évolution des structures socio-économiques en milieu rural.

Là surexploitation des arbres et, partant, leur raréfaction sont en général symptômatiques de problèmes plus vastes qui accompagnent le processus du développement et qui sont souvent mal compris et simplifiés à l’excès. Quelquefois les populations ont tout simplement cessé leurs pratiques de conservation des arbres parce que celles-ci ne correspondaient plus à l’idée qu’elles se faisaient de l’économie agricole rurale. Il faut donc comprendre pourquoi certaines techniques adaptatives, actives et passives, d’aménagement des arbres ont été abandonnées avant de pouvoir prendre des mesures correctives efficaces.

2.1 Le ramassage de bois de feu et le déboisement

On attribue quelquefois au ramassage de bois de feu la principale responsabilité de l’épuisement des ressources ligneuses. Il en est rarement ainsi. D’autres facteurs bien plus nocifs interviennent généralement. Il n’en est pas moins vrai que le besoin de bois de feu contribue puissamment à la faillite des systèmes traditionnels d’aménagement des ressources ligneuses dans certaines zones et que là ou ce besoin excède la capacité de régénération naturelle, il s’en suit presque automatiquement des coupes excessives.

On va chercher le bois de feu de plus en plus loin

C’est surtout aux environs des grandes villes et a la périphérie des zones à forte demande de bois que risque de se produire ce déséquilibre. Ainsi, on a abattu presque tous les arbres des terrains collectifs ou non protégés, sur un rayon de 40 kilomètres autour de Ouagadougou au Burkina Faso, pour répondre à la demande de bois de feu et le périmètre de terres déboisées ne cesse de s’agrandir (National Academy of Sciences, 1980; Chauvin, 1981). Selon une étude récente de la FAO, on enregistre déjà de graves pénuries de bois de feu dans 18 pays africains, trois pays asiatiques et six pays d’Amérique latine, pénuries qui touchent environ 112 millions de personnes (de Montalembert et Clément, 1983). Les pénuries de bois de feu dans les villes n’ont, en fait rien de nouveau. Au cours de ses voyages au Niger, en 1795, l’explorateur Mungo Park notait que dans un rayon de 3,5 kilomètres autour de la ville de Kaarta, tous les arbres avaient été détruits pour satisfaire l’importante demande de bois de feu et de construction.

2.2 Le besoin de terres agricoles

Le plus souvent, lorsqu’on abat des arbres, c’est pour faire place à l’agriculture et à l’élevage. (Bajracharya, 1983; Allan, 1965). Dans l’économie agricole, la méthode la moins coûteuse et la plus aisée d’accroître la production consiste sans doute à étendre la superficie des terres cultivées. Toutefois, les terres ne sont pas toujours déboisées pour être mises en culture. Ainsi, au Costa-Rica, de vastes forêts de basse altitude ont été défrichées pour offrir des pâturages au bétail d’élevage commercial (DeWalt, 1982). Beaucoup de pays d’Amérique latine et de l’Asie du sud-est ont adopté des mesures officielles pour encourager la colonisation des zones forestières aux fins de la production agricole et de l’élevage.

Le surpâturage, qui empêche la régénération naturelle, est l’une des principales causes de la disparition des arbres. L’histoire du Moyen-Orient et d’autres régions montre bien qu’il ne s’agit pas là d’un problème nouveau, mais les dangers se sont terriblement aggravés au cours de ces dernières décennies. La pression se fait sentir le plus durement dans les zones arides et semi-arides où, jusqu’à une époque récente, les forêts naturelles parvenaient à résister aux effets du pâturage. Les éleveurs et leurs troupeaux de bovins et d’autres animaux, se sont maintenant sédentarisés dans des zones autrefois soumises à l’élevage nomade. C’est ainsi que les anciennes méthodes de pacage et d’approvisionnement en fourrage qui assuraient un rendement soutenu ont rapidement été abandonnées - au détriment à la fois des forêts et des hommes qui en vivaient.

D’autres modifications des structures de production agricole ont également nui aux arbres. A Puebla, au Mexique, les agriculteurs, ayant adopté un système très intensif d’agriculture motorisée, ne gardent plus dans leurs champs les arbres d’essences fixatrices d’azote parce que les engrais commerciaux assurent de plus forts rendements à court terme et que les arbres gênent la marche des tracteurs (Wilken, 1978). L’introduction de méthodes plus intensives d’agriculture et d’élevage dans les zones semi-arides du Rajasthan, en Inde, a fait négliger des mesures de conservation telles que la rotation des cultures, les longues périodes de jachère et la migration saisonnière des troupeaux. Dans certains endroits, comme dans le bassin arachidier du Sénégal, ces stratégies à court terme de production intensive sont remises en question car les habitants s’aperçoivent qu’ils ne peuvent maintenir longtemps une production élevée que s’ils l’accompagnent de mesures de conservation des ressources de base.

2.3 Modification des régimes de propriété et de contrôle fonciers et apparition de débouchés commerciaux

Dans les zones rurales, quand il n’y a pas assez de terres pour faire vivre une population agricole de plus en plus nombreuse, les pressions qui s’exercent sur les terres déjà cultivées deviennent encore plus intenses. A la suite des héritages, du morcellement des propriétés entre membres d’une même famille et des ventes de terrains, la taille moyenne d’une exploitation agricole diminue. A mesure que les ressources du ménage faiblissent, les arbres sont parfois sacrifiés pour faire face à des besoins plus urgents.

Au Soudan, les arbres d’Acacia senegal qui produisent de la gomme arabique sont abattus à mesure que le système de jachère est abandonné en raison du manque de terre (Horowitz et Badi, 1981). Il arrive aussi que les arbres gênent l’agriculteur parce qu’ils font concurrence aux cultures pour l’eau et les éléments nutritifs du sol et que leur ombre ralentit la croissance des plantes cultivées. Dans certaines régions du Kenya, des paysans ont été obligés de couper des arbres car leurs voisins se plaignaient de l’ombre qui nuisait aux cultures (Castro, 1984).

A mesure que la pression sur les terres s’est aggravée, les régimes fonciers traditionnels et les coutumes qui régissaient la jouissance des terres se sont beaucoup affaiblis. Les petits propriétaires qui cessent d’avoir accès aux ressources ligneuses des terres limitrophes par suite de modifications des droits fonciers traditionnels sont parfois obligés d’exploiter plus intensivement les arbres de leur propre domaine. Ailleurs, là où il était habituel de prêter des terres mais où les pressions ont augmenté a cause d’une colonisation intense, il arrive que les propriétaires découragent les fermiers de planter des arbres de peur que ceux-ci ne s’en servent comme prétexte pour revendiquer un droit personnel sur la terre.

Quand les exploitants n’ont pas de garantie d’utilisation ou de maîtrise durable de la terre qu’ils cultivent, ils sont peu enclins a investir à long terme pour améliorer cette terre, en plantant des arbres par exemple. Au Honduras, où 80 pour cent de la population rurale ne possède pas de terre, on a remarqué que très peu d’agriculteurs plantaient des arbres ou des haies vives, en partie faute de sécurité de tenure (Jones, 1982a).

Les programmes gouvernementaux ont parfois aussi contribué à la destruction du couvert forestier. Par exemple, le mode traditionnel de gestion du couvert forestier que pratiquent les Karens des hautes terres de la Thaïlande est perturbé dans une certaine mesure par les projets de reboisement des zones de culture itinérante qui réduisent la superficie des terres dont ils peuvent disposer (Kunstadter, 1983).

La nationalisation des terres forestières décidée au Népal (Bajracharya, 1983) et au Honduras (Jones, 1982a) à des fins de protection a eu l’effet imprévu de décourager les initiatives locales de protection des arbres. En Amérique latine, la construction de routes pour les entreprises d’exploitation forestière a ouvert aux colons des zones inhabitées auparavant. Une fois les arbres abattus et débités, des agriculteurs occupent les terres et la forêt ne se régénère pas.

L’exploitation commerciale de produits ligneux, comme le bois de feu, qui autrefois étaient gratuitement disponibles à tous peut aussi aggraver les pressions sur les ressources en bois. Ce phénomène est surtout frappant près des centres urbains ou la demande commerciale est souvent particulièrement importante. Au Nigeria, les paysans qui enlèvent les arbres de leurs champs les vendent généralement comme combustible (Morgan, et al. 1980). Quand les arbres sont plantés à des fins commerciales, pour produire des piquets par exemple, les habitants locaux les plus pauvres ne peuvent plus se procurer gratuitement les perches ou le combustible qui sont maintenant destinés aux marchés.

La surexploitation locale des arbres à des fins commerciales doit être vue dans le contexte à la fois des besoins urgents des zones urbaines et du manque d’activités rémunératrices dans les zones rurales. Le ramassage du bois de feu et la production de charbon de bois peuvent représenter des sources de revenu pour des populations qui n’ont guère d’autres possibilités; même conscientes des dégâts que provoque leur activité, elles n’ont pas d’autre moyen de subsister. En fait, un des arguments soulevés contre le développement de plantations péri-urbaines d’arbres à bois de feu au Kenya a été qu’elles affecteraient ceux qui tirent leur revenu de la vente du bois de feu et de charbon de bois.

2.4 Contraintes locales aux boisements

Les populations rurales refusent parfois les boisements, même si leur région en est particulièrement dépourvue. Il est peu probable que ce refus s’explique par l’ignorance de l’utilité des arbres ou des techniques de sylviculture: il existe sans doute d’autres obstacles réels et sérieux.

Selon certains chercheurs (cf. Burley, 1982), les conditions suivantes doivent exister pour que les populations rurales plantent des arbres:

-- conditions économiques: il faut que les ressources en terres, en capitaux et en main-d’oeuvre soient suffisantes pour permettre la culture d’arbres et pour couvrir les dépenses relatives aux opérations de plantation, de culture, de récolte et de commercialisation des arbres et de leurs produits. Les bénéfices économiques et financiers de la culture et de l’exploitation des arbres doivent dépasser les coûts de production. Ils doivent aussi être supérieurs aux bénéfices nets que l’on pourrait tirer d’autres spéculations agricoles ou de gestion des ressources.

-- conditions sociales et culturelles: les modifications des rapports de production et des régimes de propriété des ressources que peut entraîner la culture d’arbres doivent se produire dans le cadre de systèmes de distribution des ressources qui soient acceptables aux populations locales. La valeur sociale accordée aux arbres, ou à certaines essences particulières, doit coïncider avec la valeur qui pourrait éventuellement résulter des méthodes adaptives ou des interventions d’aménagement. D’autre part, il faut disposer de techniciens compétents et conscients de la nécessité de tenir compte des réalités culturelles.

-- conditions écologiques: il faut que des interventions ou les stratégies adaptives soient conçues en fonction des ressources hydriques, des régimes thermiques, des types de sol et des autres caractéristiques du milieu.

Les techniciens doivent tenir compte des réalités culturelles

Il faut aussi reconnaître que beaucoup d’agriculteurs ne voient aucune raison de planter des arbres. Il est possible qu’ils ne connaissent pas encore de pénurie de produits forestiers car ils peuvent s’en procurer, légalement ou non, sur les terrains collectifs ou dans les réserves forestières proches. Le fait que la surexploitation puisse un jour mener à l’épuisement total des ressources ligneuses peut leur sembler un phénomène qui ne dépend pas d’eux ou, du moins, qui appartient à un avenir trop éloigné pour qu’ils puissent en tenir compte dans leurs projets.

Pour que les agriculteurs consacrent une partie de leurs ressources au boisement, il faut qu’une pénurie de bois se fasse sentir localement. Elle peut se manifester par une augmentation du temps qu’il faut pour ramasser le bois de feu, par la nécessité d’économiser le combustible, ou même par la nécessité de cuisiner moins souvent. En outre, il faut que la plantation d’arbres soit, a leurs yeux, le moyen le meilleur de faire face à ces contraintes. Quand la vie est marquée par une pénurie générale et immédiate de biens de première nécessité, la plantation d’arbres à utiliser dans un avenir lointain peut ne pas sembler une activité particulièrement opportune.

2.5 Contraintes locales à l’utilisation des terres

Le milieu économique le plus favorable au boisement est celui ou il est certain que les arbres en question seront utilisés par ceux qui les ont plantes ou par leurs enfants. Par contre, l’absence de sécurité en matière de tenure ou de contrôle sur l’utilisation des terres fait souvent obstacle au boisement.

Souvent, les habitants des régions rurales n’ont pas de droits bien définis sur les terres qu’ils exploitent. Certains régimes fonciers sont difficiles à démêler du fait que de nouvelles pratiques se sont superposées aux traditions séculaires qui définissaient les droits des utilisateurs collectifs ou individuels. Les paysans, et surtout les plus pauvres, n’ont aucun titre officiel de propriété sur les terres qu’ils occupent et ils vivent constamment dans la crainte d’être expulsés. Même le cultivateur à bail ne plante pas volontiers d’arbres tant qu’il n’a pas la certitude de ne pas être renvoyé. Ce manque de sécurité est souvent particulièrement grave pour les femmes.

La sécurité de jouissance de la terre ne suffit pas, cependant, en elle-même, à faire si que les habitants plantent des arbres. Les exploitants capables de satisfaire leurs propres besoins grâce aux arbres qui poussent déjà sur leurs terres ignorent facilement les paysans sans terre qui n’ont que trop conscience de la pénurie de bois mais qui n’ont aucun moyen d’y remédier (Bruce, et al., 1984).

Dans certains pays d’Amérique latine, les lois foncières, loin d’encourager la plantation d’arbres, incitent au contraire à les supprimer. Les habitants peuvent obtenir des droits sur la terre s’ils s’installent dans des zones forestières, déboisent et mettent la terre en culture: plus ils l’exploitent longtemps et avec succès, plus leurs droits fonciers s’en trouvent consolidés. Dans les régions où la plantation d’arbres donne des droits sur la terre, cela peut à son tour devenir un obstacle. C’est ainsi que pendant les années quarante, les chefs Basotho du Lesotho ont découragé la plantation d’arbres pour limiter la propriété privée et cet interdit s’est perpétué jusqu’à nos jours (Fortmann, 1984).

Les droits de pacage peuvent entrer en conflit avec les exigences du boisement quel que soit le régime foncier. Dans nombre de pays, la terre est utilisée par des gens différents selon les saisons; il est d’usage de laisser les animaux paître librement sur les terres agricoles après les récoltes. Ce mode d’utilisation alternée des terres rend extrêmement difficile la protection des arbres plantés par des particuliers car ceux qui cherchent à les protéger doivent enfreindre les “droits” d’autres membres de la collectivité (Raintree, 1985).

Que deviendra ce terrain déboisé pour le pâturage?

2.6 Contraintes locales à l’utilisation des arbres

Même si le droit sur la terre est assure, il faut encore savoir qui a le droit de disposer des ressources forestières, soit à qui revient le droit de propriété sur les arbres. Le régime de propriété sur les arbres peut être très complexe, mais il implique généralement le droit de posséder ou d’hériter des arbres, le droit de les planter, le droit de les utiliser et le droit d’en disposer (Fortmann, 1984).

A Haiti, les populations rurales ont été averties que tous les arbres appartiennent au gouvernement et que quiconque abattrait un arbre serait puni. Cette mesure visait à protéger les arbres, mais elle a souvent eu un effet contraire: les habitants se sont sentis menacés car ils ont supposé que l’intérêt du gouvernement pour les arbres aboutirait en fin de compte a l’expropriation de toutes les terres plantées d’arbres.

Fins producteurs de résine: propriété de l’Etat

En Inde et au Népal, jusqu’à une époque récente, les arbres ayant une valeur commerciale appartenaient au gouvernement, quel que fut le propriétaire de la terre sur laquelle ils poussaient. Cette règle s’appliquait à des essences comme le khair (Acacia catechu) qui produit des substances tannantes, et les pins (Pinus roxburghii) qui produisent de la résine. Les paysans devaient attendre que le département des forêts récolte les produits, ou encore ils pouvaient acheter les arbres et obtenir un permis pour les abattre.

Une loi pour la protection des arbres (“Tree Conservation Act”) a récemment été promulguée en Inde: elle comprend une liste de nombreuses essences qui ne peuvent pas être coupées sans permis. Ces règles de protection contribuent sans doute à empêcher les abattages illégaux dans les forêts; mais elles font hésiter les petits exploitants à planter des arbres. Pour que le boisement leur rapporte quelque chose, il leur faut en effet entreprendre des démarches laborieuses et souvent coûteuses afin d’obtenir un permis de coupe. C’est la aussi, bien souvent, un aspect de la législation forestière au Sahel (Thomson, 1979).

2.7 Utilisations concurrentielles de la terre, de la main-d’oeuvre et du capital

La plantation d’arbres est souvent, aux yeux des cultivateurs, une possibilité d’utilisation des sols parmi plusieurs autres; il faut dans ces cas comparer les avantages et les inconvénients de chacune. Ainsi, l’utilisation de terres agricoles pour des plantations commerciales d’arbres a suscité de nombreuses critiques car elle se faisait au détriment de cultures vivrières. Dans les zones riches en terres agricoles, on peut avancer le même argument à propos de presque toutes les cultures de rente. Toutefois, l’affectation de terres agricoles au boisement en massifs peut poser un problème particulièrement grave là ou le manque de terre limite déjà la production agricole. Dans ces cas, une intervention officielle pour décourager la plantation d’arbres en faveur d’autres culture? de première nécessité peut se justifier.

Les risques qu’implique le boisement varient selon les propriétaires fonciers. Les petits propriétaires devront probablement changer leur mode d’utilisation déjà intensif des terres. Si leur production vivrière diminue, le risque qu’ils prennent en plantant des arbres s’accroît en proportion. Même s’ils plantent des essences à croissance rapide, ils ne pourront tirer de bénéfices de leur investissement qu’au bout de quatre ou cinq ans. Entre temps, ils devront financer leurs besoins quotidiens qui, autrement, auraient été satisfaits grâce aux revenus agricoles, si maigres qu’ils soient.

Les propriétaires des grandes exploitations échappent à ces contraintes: il leur restera suffisamment de terre pour les cultures vivrières, et la plantation d’arbres n’entraînera pour eux aucune modification des risques à court terme. Elle les obligera parfois a financer d’autres besoins en attendant que les arbres produisent, mais ils n’auront pas les mêmes difficultés à obtenir les crédits nécessaires car ils peuvent offrir leurs terres comme garantie.

Le manque de main-d’oeuvre peut aussi constituer un obstacle au boisement. En effet, on plante les arbres au moment même ou les travaux agricoles battent leur plein. Dans les zones arides, où il faut traverser les couches du sol durcies après les premières pluies pour permettre aux jeunes plants de bien s’enraciner, et dans d’autres zones où la saison de plantation est courte, la demande de main-d’oeuvre peut être particulièrement forte pendant la période de plantation. Les migrations saisonnières peuvent aussi réduire le nombre de personnes actives demeurées sur l’exploitation agricole après la récolte des cultures annuelles, alors que les arbres ont encore besoin d’entretien et de protection. Dans les sociétés d’agriculteurs de subsistance, le recours à la main-d’oeuvre supplémentaire salariée, même si elle est disponible, est parfois inconcevable.

Parallèlement, la sylviculture peut parfois entraîner un excédent de main-d’oeuvre. Les cultures annuelles, qui imposent chaque année un cycle régulier de travaux - plantation, entretien et récolte - se traduisent par des besoins de main-d’oeuvre différents de ceux des cultures d’arbres. Les travaux de plantation, d’éclaircie et de récolte des arbres et les besoins correspondants de main-d’oeuvre sont répartis sur plusieurs années et exigent au total beaucoup moins de main-d’oeuvre.

L’investissement de ressources dans la plantation d’arbres paraît aussi beaucoup moins justifié quand il n’existe pas de débouchés commerciaux accessibles pour écouler les produits excédentaires après satisfaction des besoins de subsistance. De même, les collectivités peuvent renoncer à boiser des terrains collectifs parce qu’il est trop difficile de gérer des ressources a usage collectif et qu’il n’existe pas d’institutions rurales compétentes pour se charger de cette tâche.

2.8 Contraintes sociales et culturelles

Même lorsque la population rurale dispose de terres, de main-d’oeuvre et de capital pour cultiver des arbres, d’autres obstacles peuvent intervenir. Il s’agit parfois de contraintes liées aux traditions culturelles. Ainsi, certains arbres sont associés à des esprits malveillants et à des tabous. En Casamance, au Sénégal, le service forestier encourageait la plantation d’anacardiers mais les paysans brûlaient les arbres pour chasser les démons que ces arbres sont censés abriter.

Dans certaines parties de l’Inde, les tamariniers ont la même réputation. Il se peut que la plantation d’essences exotiques importées ait l’avantage de ne pas susciter pour les populations locales les mêmes associations défavorables que certaines essences indigènes. En fait, la forêt est souvent liée aux idées de vol, de meurtre et à la peur des animaux sauvages. Dans beaucoup d’anciennes colonies, particulièrement en Afrique occidentale, les gens âgés associent aussi la plantation d’arbres aux travaux forcés et à la peur d’être punis si les arbres venaient à mourir.

D’autres considérations plus pratiques peuvent décourager de planter des arbres. Dans quelques pays africains, la méthode habituelle d’enrayer l’invasion de la mouche tsé-tsé consiste a couper les arbres qui abritent les insectes. Cette pratique a été renforcée par de longues années d’instruction et de vulgarisation et aujourd’hui, les arbres sont considérés comme un danger pour le bien-être des populations rurales. Ailleurs, les agriculteurs s’opposent à la plantation d’arbres près de leurs champs parce qu’ils servent de refuge aux oiseaux qui mangent les graines. Les arbres peuvent aussi priver les cultures adjacentes d’eau, de lumière et d’éléments nutritifs. Ces réactions sont, dans bien des cas, tout à fait sensées, mais elles compromettent évidemment les projets de boisement si ces projets ne s’accompagnent pas de mesures complémentaires propres à assurer dans l’ensemble un accroissement des avantages.

Enfin, il est parfois difficile d’intervenir utilement pour satisfaire un besoin donné car on se heurte à des traditions qui peuvent paraître irrationnelles en dehors de leur contexte. Dans le sud du Niger, le baobab est très prisé à cause des usages et des produits multiples qu’il procure; les droits de propriété et d’exploitation en sont généralement précis et bien définis. Il était donc logique de penser que, puisque ces arbres sont appréciés, il serait relativement facile de persuader les habitants à en planter davantage. Cela s’est pourtant révélé presqu’impossible, surtout parce que le baobab est considéré comme un don des dieux. Un agriculteur qui en planterait courrait le risque d’altérer l’ordre divin.

2.9 Obstacles ou atouts?

Certaines évolutions qui ont contribué à l’abandon de systèmes d’aménagement forestier ont aussi conduit à la plantation d’arbres, notamment: la tendance à la privatisation des terres; le désir croissant des populations rurales d’augmenter leur productivité et leurs revenus; les réactions positives aux incitations commerciales; l’engagement croissant des pouvoirs publics dans l’aménagement des ressources et le développement rural; et la création de débouchés commerciaux pour le bois.

Les difficultés éprouvées à orienter correctement les interventions visant à promouvoir les boisements par les populations rurales tiennent peut-être principalement à la nécessité de bien comprendre avant tout la diversité des comportements humains. Ces comportements sont-ils des obstacles, ou offrent-ils au contraire des possibilités - une base sur laquelle construire des interventions efficaces? Souvent les planificateurs lancent l’action qui leur semble la meilleure et sont ensuite surpris de voir leurs idées rejetées et leurs efforts échouer. Il ne leur reste alors qu’à qualifier les “groupes-cibles” de “peu évolués” ou “prisonniers des traditions”.

Il s’agit, essentiellement, d’identifier les vrais obstacles et de trouver des moyens efficaces pour les surmonter. Il ne faut jamais penser que les innovations viendront remplacer des systèmes traditionnels d’aménagement et de conservation des arbres; elles doivent plutôt servir d’instruments pour la construction de nouveaux systèmes qui auront pour base les forces et les compétences locales. Les innovations en matière de foresterie ne peuvent être conçues et introduites de manière efficace que si ces interventions rentrent bien dans la gamme des réactions spontanées des populations face aux pénuries. La réussite ne viendra que du dialogue direct entre planificateurs et populations et de leur collaboration pour trouver les meilleurs moyens d’introduire les innovations les mieux adaptées.

CHAPITRE 3 INTRODUCTION D’INNOVATIONS DANS LES BOISEMENTS EN MILIEU RURAL


3.1 Initiatives prises pendant la période coloniale
3.2 Rôle des innovations dans le domaine du boisement en milieu rural

Il y a au moins deux mille ans que des programmes sont lancés par les pouvoirs publics pour encourager l’aménagement et la culture des arbres. Les premiers dirigeants chinois encourageaient le peuple à planter des arbres pour en tirer des aliments et du bois de charpente. A une certaine époque, le gouvernement a même accordé des terres publiques aux paysans disposés à les reboiser. Au 16ème siècle, des chefs du Sri Lanka ont réservé des terres aux paysans pratiquant la culture itinérante et ont interdit le défrichement d’autres espaces boisés protégés pour une période de trente ans (Seth, 1981).

Chine: 2000 ans de sylviculture

L’Ethiopie offre un exemple historique de campagne officielle de plantation d’arbres entreprise pour promouvoir la production de bois de feu pour les zones urbaines. Vers la fin du siècle dernier, l’Empereur Ménélik fit promulguer une loi exonérant d’impôts les terres plantées d’arbres et organisa la distribution à très bas prix de jeunes plants d’eucalyptus importés. Il cherchait ainsi à remédier à l’extrême pénurie de bois qui sévissait autour de la nouvelle capitale d’Addis Abéba fondée en 1890. Le programme de plantation fut lent à démarrer mais en 1920, on racontait que “les rues et les chemins d’Addis Abéba commençaient à ressembler à une vaste forêt ininterrompue” (National Academy of Sciences, 1980). En 1964, les forêts d’eucalyptus entourant la ville couvraient 13 500 hectares.

D’autres programmes de plantation d’arbres lancés par des dirigeants locaux ont donné des résultats intéressants. En 1932, dans la région d’Amarasi à Timor, Indonésie, les autorités locales ont adopté des dispositions obligeant les cultivateurs itinérants a planter des rangées de Leucaena le long des courbes de niveau dé leurs parcelles avant de les abandonner. D’autres normes réservaient certaines zones au pacage et à d’autres types d’exploitation agricole et encourageaient la plantation d’arbres fruitiers. Cette région, qui avait été gravement dégradée par la culture trop intensive, a fini par devenir exportatrice de produits alimentaires (Metzner, 1983).

Dans la région de Muquiyauyo, dans les Andes péruviennes, un prêtre catholique introduisit les eucalyptus à la fin des années 1870 parce que la zone manquait d’arbres. Un comité local fut chargé d’acheter encore des arbres et les habitants s’organisèrent localement pour en planter dans l’agglomération et le long des routes. Cette activité se répandit car les habitants avaient découvert beaucoup d’avantages au bois d’eucalyptus: ils l’utilisaient pour construire les maisons, pour fabriquer des outils et des meubles et comme combustible. Vers la fin du siècle, l’industrie minière fournit un débouché intéressant aux poteaux qui servaient d’étais. Le bois d’eucalyptus n’était pas considéré comme le meilleur bois de construction; cependant, il était utilisé partout, car les arbres poussaient vite et ne coûtaient pas cher. En outre, les habitants des centres urbains les prisaient pour leurs qualités esthétiques (Adams, 1959). Les travaux de plantation ainsi organisés se poursuivirent au moins jusqu’à la fin des années 1930; une partie des jeunes plants étaient obtenus sur place et le reste provenait d’autres centres.

Les eucalyptus, essences exotiques souvent appréciées

La diffusion des neems (Azadirachta indica) en Afrique occidentale et au Sahel est un autre exemple frappant - et plus récent - de l’introduction réussie d’une nouvelle essence. Cet arbre a été introduit au Sénégal en 1944 et au Mali en 1953. Dans d’autres zones de l’Afrique occidentale, les services forestiers l’utilisaient souvent le long des routes. Très prisé pour sa croissance rapide et pour sa production de bois d’oeuvre et autres produits a usages multiples, c’est l’un des arbres le plus fréquemment plantés dans la région et la demande de jeunes plants demeure élevée (Taylor et Soumare, 1984).

3.1 Initiatives prises pendant la période coloniale

Pendant la longue période d’expansion coloniale au dix-neuvième et au vingtième siècles, nombreuses tentatives ont été faites pour introduire des systèmes de culture et d’aménagement des arbres. Ces tentatives visaient surtout la protection et la mise en réserve des forêts.

Le système taungya était très répandu et avait pour but de favoriser le reboisement. Ce système a été lancé vers le milieu du 19ème siècle en Birmanie pour contrôler les agriculteurs itinérants et produire du bois de teck à grande échelle. Suivant ce système, les paysans établissaient des plantations en même temps que les cultures vivrières sur des parcelles défrichées. Au bout de quelques années pendant lesquelles les agriculteurs avaient désherbé et soigné les jeunes plants comme les autres cultures, l’ombre des arbres devenait un obstacle à la culture, et les paysans allaient s’installer dans une autre partie de la forêt où le cycle se répétait. Le système taungya qui s’est vite répandu en Inde, en Afrique orientale et ailleurs a été encouragé par les forestiers car c’est un moyen relativement économique de planter et de désherber et qu’il permet l’utilisation à des fins multiples de terres forestières.

Système taungya (autre type)

Toutefois, la culture de plantes vivrières en combinaison avec celle d’arbres requiert fréquemment plus de travail après la première année que les systèmes traditionnels d’agriculture itinérante que le taungya a remplacés. C’est pourquoi les plantations taungya donnent souvent de meilleurs résultats dans les régions caractérisées par le sous-emploi, par un niveau de vie très bas et par l’insuffisance de terres cultivables (King, 1968). Dans ces conditions, le système sert à faire économiser les fonds publics destinés à l’établissement et à l’entretien des plantations tout en donnant temporairement à des paysans sans terre l’occasion de trouver un emploi et de récolter leurs propres produits agricoles.

Un des inconvénients du taungya est qu’il apparaît parfois comme une exploitation des pauvres sans terre (Seth, 1981). Lorsque ce système utilise leur main-d’oeuvre sans leur garantir l’accès à long terme à la terre, il ne contribue guère à stabiliser des régimes de tenure déjà incertains. En fait, la crainte que les travailleurs taungya ne se mobilisent politiquement pour obtenir des droits permanents sur la production agricole empêche quelquefois une plus grande diffusion de ce système (Bail et Umeh, 1982). L’échec de certains projets a parfois été imputé au sabotage commis par des paysans sans terre qui endommageaient les jeunes plants craignant d’être expulsés quand les arbres auraient poussé.

Parmi toutes les interventions des puissances coloniales en faveur du boisement, c’est sans doute l’introduction de nouvelles essences, accompagnée de débouchés internationaux pour leurs produits, qui a eu les plus grandes répercussions. Les services agricoles coloniaux préféraient produire le thé, l’hévéas, le cacao, le café et autres essences sur les grandes plantations. Mais les petits exploitants ont vite adopté eux aussi, ces cultures rémunératrices, souvent en dépit du pessimisme des milieux officiels qui ne les croyaient pas capables d’intégrer ces cultures dans leurs systèmes de production agricole.

L’introduction des hévéas a été favorisée par les forces du marché

En Indonésie, les services officiels avaient cru au début qu’on ne pouvait correctement cultiver l’hévéa que sur de grands domaines. Néanmoins, les cultivateurs itinérants ont rapidement incorporé des hévéas dans leur système, en partie à cause des cours élevés du caoutchouc sur le marché, mais aussi parce que les commerçants chinois les encourageaient et leur fournissaient des semences. Des études récentes ont montré que certaines techniques de culture de l’hévéa, pratiquées sur de petites parcelles par des cultivateurs itinérants en Indonésie, étaient supérieures aux méthodes de gestion appliquées sur les plantations (Pelzer, 1983). Aujourd’hui le gouvernement s’emploie activement à encourager les petites exploitations.

D’autres activités forestières coloniales lancées au niveau des collectivités pour remédier à la pénurie croissante d’arbres ont donné des résultats moins intéressants. Au milieu des années 1920, le service colonial des forêts a introduit au Malawi un programme forestier villageois pour la protection des forêts locales. Des forêts collectives ont été établies et placées sous l’autorité de chefs de village. Le fait que les collectivités réservaient et protégeaient traditionnellement des zones de brousse laissait espérer que ce plan réussirait, mais il a été accueilli avec suspicion par les villageois qui craignaient de perdre leurs terres.

Au Kénya, le gouvernement avait lancé plusieurs campagnes de conservation des sols et de plantation d’arbres. Cependant, vers la fin des années 1940, les mesures de conservation des sols étaient très mal vues car elles représentaient un élément essentiel de la politique foncière du gouvernement colonial. La révolte des Mau-Mau a interrompu les plantations d’arbres et il a fallu des années pour retrouver l’ancien rythme de plantations.

Certains des problèmes auxquels se sont heurtés dans le passé les efforts qui visaient à promouvoir le boisement, étaient particuliers à la situation coloniale: les populations locales voyaient de mauvais oeil les initiatives étrangères; elles se méfiaient des motivations officielles, et craignaient de nouvelles aliénations de terres. Des méthodes coercitives étaient trop souvent employées pour mettre en oeuvre des projets. De nos jours encore, la promotion du boisement en milieu rural n’est jamais une tâche facile ni simple, surtout dans les zones où elle est le plus nécessaire. Les gens abattent des arbres là ou ils vivent, pour des raisons importantes et valables. La nécessité de planter des arbres peut sembler impérieuse au niveau national, mais les individus ne prendront part aux activités que si, de leur point de vue, celles-ci sont à la fois réalisables et intéressantes.

3.2 Rôle des innovations dans le domaine du boisement en milieu rural

Quand la sylviculture est une option qui semble réalisable et intéressante aux yeux des habitants, il n’y a pas toujours lieu d’introduire des pratiques nouvelles. Il arrive que les populations, hommes et femmes, plantent et entretiennent les arbres selon des méthodes qui répondent encore à leurs besoins en dépit des pressions démographiques et économiques. L’attitude la plus utile peut alors consister simplement à “affiner” le système existant, et encore faut-il que les planificateurs se demandent d’abord si des techniques d’aménagement plus complexes représenteraient réellement une amélioration par rapport aux méthodes utilisées.

On part trop souvent de l’idée qu’une intervention est essentielle. Une évaluation récente d’un projet de plantation dans les petites exploitations de la province d’Ilocos aux Philippines a montré que la non participation des agriculteurs était liée aux défauts de conception du projet; on a critiqué la publicité, la vulgarisation et la commercialisation du programme, qui ne répondaient pas réellement aux besoins des agriculteurs (Hyman, 1983a).

Or, un examen plus attentif a montré que les défauts étaient plus profonds. Le projet visait à produire du bois de feu pour le séchage du tabac, mais la demande réelle de ce bois n’avait fait l’objet d’aucune évaluation préalable. En fait, les paysans avaient déjà planté un grand nombre de parcelles boisées sur leurs petites propriétés pour satisfaire ce besoin et hésitaient à modifier des techniques de gestion qui donnaient de bons résultats. L’existence de ces parcelles boisées, pourtant très productives, était pour ainsi dire passée inaperçue. Elles sont généralement composées de peuplements mélangés où dominent les Gliricidia sepium qui, plantés sur des sols profonds et recépés chaque année, peuvent fournir jusqu’à 40 mètres cubes de bois par hectare et par an (Wiersum, 1983).

Cet exemple montre que des interventions propres à pallier des pénuries apparentes de bois ou de produits forestiers ne peuvent être entreprises qu’après une étude approfondie du contexte local. Au lieu de supposer dès le début qu’il faut intervenir ou innover il sera plus utile d’évaluer les pratiques de sylviculture existantes afin d’identifier les innovations à apporter dans ce contexte rural particulier. Le cadre de cette analyse pourrait s’inspirer de celui de la figure 3.1.

Il faut souligner que l’introduction de nouvelles stratégies de culture et de gestion n’est qu’une solution moyen parmi d’autres pour faire face à la pénurie des ressources ligneuses. L’éventail des solutions possibles va de la non-intervention à l’introduction de pratiques de boisement radicalement nouvelles. Entre ces deux extrêmes on trouve de nombreuses possibilités de concevoir des stratégies propres à accroître l’efficacité des systèmes existants de gestion et de production de bois en milieu rural.

Figure 3 Analyse de la nécessité d’introduire des innovations en matière de gestion des arbres


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