CHAPITRE 1 MODES TRADITIONNELS DE GESTION ET DE CULTURE DES ARBRES
CHAPITRE 2 PRESSIONS SUR LES PRATIQUES TRADITIONNELLES DE GESTION DES ARBRES EN MILIEU RURAL ET SUR LES RESSOURCES LIGNEUSES ET FORESTIÈRES
CHAPITRE 3 INTRODUCTION DINNOVATIONS DANS LES BOISEMENTS EN MILIEU RURAL
1.1 Limportance des arbres
1.2 Les produits des arbres
1.3 Rôle de la gestion et de la culture des arbres
1.4 Moyens traditionnels de protection et daménagement des arbres
1.5 Coupe en taillis et coupe en têtard
1.6 Traditions de plantation et de culture des arbres
1.7 Systèmes traditionnels dintégration des arbres dans les cultures
1.8 Pratiques de gestion - perspectives
Souvent dans les régions rurales, hommes et femmes se préoccupent depuis longtemps de protéger et de cultiver des arbres sur les terres agricoles et les espaces boisés. Jusquà ces derniers temps, on avait tendance à donner peu dimportance à ces activités traditionnelles. Laction forestière était axée sur la gestion des arbres aux fins de protection de lenvironnement et de production industrielle de bois doeuvre. Limportance nouvelle accordée aux boisements entrepris avec la participation des populations locales marque donc un tournant décisif par rapport aux anciennes conceptions, politiques et pratiques.
Il est important de situer les efforts actuels de foresterie communautaire, quils soient conçus sur une base collective ou privée, dans le contexte des activités forestières locales spontanées. Il faut pour cela passer en revue un certain nombre de techniques locales de gestion et de conservation des arbres. Les relations entre les habitants et les arbres qui les entourent sont généralement complexes. Les méthodes employées sont souvent le fruit de siècles dexpérience. Souvent elles sont apparues pour répondre aux pressions croissantes, mais parfois subtiles, qui sexercent sur le milieu en question. Elles avaient pour objectif fondamental de permettre aux populations rurales de continuer a disposer dessences prisées localement.
Limportance que donnent les populations à la culture et à la gestion des arbres varie selon les zones non industrialisées du monde. Elle dépend en grande partie des conditions écologiques, des systèmes dutilisation des terres agricoles, des traditions culturelles, de la demande locale de bois et de produits dérivés, des régimes fonciers et des pressions économiques.
Dans certaines sociétés, la culture et lexploitation des arbres sont un trait dominant du mode de vie; dans dautres, elles ne jouent quun rôle accessoire, voire négligeable. Selon lintensité de la méthode dexploitation, certaines stratégies permettent mieux que dautres de faire face aux pressions sur le milieu. La dégradation de lenvironnement et lépuisement du couvert forestier dénotent souvent labsence dun système traditionnel dexploitation des arbres et du milieu. Dans bien des cas, ils sont dus à la désorganisation des systèmes traditionnels sous leffet de pressions intenses se répercutant les unes sur les autres.
Il peut savérer nécessaire dintroduire des innovations la où de solides traditions locales font défaut. Dans les zones riches en forêts, comme dans les régions du monde où dautres formules dutilisation des ressources ont été appliquées, il se peut que les techniques de conservation et de régénération des arbres aient été pratiquement négligées. De même, les pressions exercées par la pauvreté, la croissance démographique et linsécurité des droits fonciers - entre autres facteurs - ont parfois empêché le développement ou le maintien de stratégies locales.
Dans tous les cas, les programmes de plantation en milieu rural doivent se fonder dabord sur la connaissance des systèmes de culture ou daménagement forestiers traditionnels ou actuels quils viennent compléter, ainsi que sur la connaissance des raisons qui ont rendu nécessaire lintroduction de nouvelles méthodes daménagement.
Sans aucun doute, les forêts jouent un rôle vital dans la défense des milieux naturel et humain. Ce sont elles qui protègent les bassins versants, qui fournissent un habitat à la faune et qui favorisent la stabilisation des écosystèmes qui sans elles seraient vulnérables. Elles procurent aux paysans et aux citadins de nombreux produits indispensables. Elles jouent également un rôle économique en permettant lextraction commerciale de bois doeuvre et de pâte, source importante de recettes publiques et de devises dans plusieurs pays.
Les arbres offrent des habitats à la faune
La forêt offre en outre asile et moyens dexistence à des populations nombreuses soit quelles y habitent depuis toujours soit quelles y trouvent des emplois dans lextraction et la récolte de ses produits. Elle joue aussi un rôle essentiel dans la production agricole. La culture itinérante est certes une des causes de la détérioration dune grande partie des terres boisées. Cependant, quand elle est pratiquée sur des bases écologiques rationnelles, le processus naturel de recru et de régénération de la forêt restaure la fertilité des terres en jachère.
Les arbres à lextérieur des forêts et des réserves boisées sont aussi extrêmement utiles, mais les données dont on dispose a ce sujet sont encore incomplètes. Les statistiques officielles sur les terres forestières comprennent rarement des arbres qui poussent ça et là dans le paysage rural, autour des maisons, a la lisière des champs, le long des routes et sur les pâturages communaux. Or, pour la majorité des paysans qui ne vivent pas aux alentours immédiats des terres forestières, ces arbres ont plus dimportance encore que les forêts elles-mêmes. Cest pourquoi les politiques et programmes visant à améliorer laccès aux ressources ligneuses et aux autres produits dérivés doivent avant tout reconnaître que les arbres qui serviront le mieux les besoins des paysans ne seront pas ceux qui poussent dans les forêts mais plutôt dans la cour des fermes, sur les lopins prives et sur les terrains collectifs.
Des arbres utiles dans la cours de la ferme
Sur les terres agricoles et les pâturages les arbres jouent aussi un rôle écologique très important. Ils servent à couper le vent et à en abriter les cultures ainsi quà protéger le sol contre lérosion. Leur ombre fait baisser la température du sol et leur humus freine le ruissellement des eaux de pluie, préservant ainsi le sol et accroîssant linfiltration de leau, ce qui permet aux réserves deau souterraine de se recharger. Ils redistribuent également les éléments nutritifs en exportant les minéraux essentiels du sous-sol et en les mettant à la portée dautres végétaux par lintermédiaire de leurs feuilles qui tombent. Dans beaucoup de pays on ramasse de grandes quantités de cet humus pour en faire du compost et du terreau qui entretiendront la fertilité du sol.
Les arbres ont une fonction sociale non négligeable. Ils donnent de lombre aux hommes et aux animaux dans les pays chauds et sont parfois le centre de réunions et dactivités familiales et villageoises. Souvent on les cultive et on les protège pour, leur ombre et leur beauté, et parfois pour leur caractère sacré.
Le bois est le combustible domestique le plus communément utilisé dans les zones non industrialisées du monde. En effet, la plus grande portion de la demande de bois est destinée à la production dénergie et dépasse de loin la portion utilisée comme bois doeuvre commercial. Le bois est de loin la source dénergie la plus importante dans beaucoup de pays, représentant jusquà 90 pour cent du combustible total consommé dans certains des pays les plus pauvres. Dans nombre de pays, pratiquement toutes les familles rurales lutilisent pour une partie au moins de la cuisson et de la préparation des aliments, et pour se chauffer. Dans beaucoup de villes, le charbon de bois et le bois restent les combustibles les plus utilisés pour la cuisine. Quelques procédés industriels comme le séchage du tabac et du thé, la cuisson des briques et le brassage de la bière dépendent souvent exclusivement du bois comme source de chaleur. A ces demandes sajoutent celles des restaurants, des maisons de thé, des boulangeries et autres entreprises commerciales.
Méthode de cuisine traditionnelle
Il ne faudrait pas, toutefois, que la part prédominante du bois dans lapprovisionnement des campagnes en énergie fasse oublier que dautres combustibles traditionnels ont souvent aussi leur importance. Lutilisation des résidus agricoles et des excréments danimaux est extrêmement répandue, mais son rôle est mal compris et on ne lui accorde pas toute lattention quelle mérite. Aussi est-il arrive que la justification de programmes de production de bois de feu ait été surévaluée parce quon avait sous-estime la contribution des autres combustibles traditionnels.
La demande de bois de feu est tellement grandes par rapport a celle des autres produits ligneux, quelle tend à éclipser limportance vitale quont ces derniers pour les populations rurales. Le fourrage en est peut-être lexemple le plus frappant, particulièrement à certaines périodes de lannée ou lherbe et les autres sources dalimentation animale viennent à manquer. Dans les zones arides, les arbres fournissent souvent une production régulière de fourrage sous la forme de gousses et de feuilles comestibles. Pendant les périodes de sécheresse, ces produits deviennent une source particulièrement importante dalimentation animale.
Les arbres donnent souvent du fourrage
Les arbres et les espaces boisés offrent aussi une grande variété daliments pour les hommes. Certains de ces aliments sont extrêmement importants pour maintenir léquilibre nutritionnel des régimes alimentaires traditionnels. Ils comprennent des feuilles et des gousses comestibles, des racines, des fruits, des noix, du miel, des insectes et du gibier. Les arbres peuvent donner des condiments, tels que les épices, tandis que la sève de certains dentre-eux sert à fabriquer du vin. Les champignons et autres mycètes des bois sont aussi cueillis pour préparer certains plats.
Les champignons peuvent pousser sur les arbres
Les arbres fournissent aussi de très nombreux produits forestiers dits mineurs, dont il ne faut pas sous-estimer lintérêt, car ils sont souvent des plus utiles aux besoins et aux modes de vie des populations rurales.
De nombreuses collectivités tirent des arbres les fibres dont elles ont besoin pour fabriquer des cordes, des nattes, des paniers, des nasses, des toitures, des articles tissés, voire des cordes dinstruments de musique. Les arbres sont une source importante de remèdes et de médicaments, de tanins et de teintures extraits de lécorce et des gousses et utilisés pour traiter le cuir et teindre les tissus. Lhuile des graines de certaines essences peut remplacer la paraffine dans les lampes-tempête; les feuilles et les brindilles dautres arbres éloignent les insectes, étourdissent les poissons et servent de vermifuge naturel pour le bétail. Certaines résines peuvent servir de colle.
Les outils agricoles, les chars à boeufs et les embarcations sont souvent fabriqués en bois et certaines essences ont des qualités très prisées pour la fabrication doutils. Les troncs de certains arbres, creusés, font des réservoirs deau. Les cloches des chameaux sont faites en bois.
Les arbres produisent aussi toute une série de matériaux de construction commerciaux. Les poteaux de construction, par exemple, sont très demandés pour une infinité dusages. Dans les campagnes, ils servent darmature à un grand nombre dhabitations traditionnelles; dans les villes, ils sont utilisés pour la construction de logements bon marché; les plus grands sont employés partout pour les échafaudages et comme étais dans les chantiers de construction.
La vannerie, une entreprise familiale
Une embarcation fabriquée en bois
La récolte et la distribution de ces produits ligneux sont souvent une source importante de revenus. La production de charbon de bois et la vente de bois de feu, par exemple, apportent des revenus indispensables à beaucoup de foyers ruraux pauvres. Le sciage de long, les scieries, le travail du bois, la sylviculture ainsi que la récolte et la vente des fruits, du bois doeuvre, des résines, des gommes et autres produits forestiers aux industries artisanales et aux grandes entreprises commerciales assurent encore dautres emplois. Limportance des petites entreprises rurales qui transforment les produits de la forêt commence à être de plus en plus souvent reconnue. Une enquête menée récemment par la FAO a montré que ces entreprises représentent souvent lune des principales sources demplois et de revenus en dehors des exploitations agricoles. Dautres études sont en cours pour déterminer les caractéristiques fondamentales de ces entreprises et trouver des moyens den rehausser la contribution économique (FAO, 1985a).
Les arbres jouent donc dans la vie rurale un rôle qui est à la fois complexe et variable. Ce serait une grave erreur que de sintéresser uniquement à un de ses aspects, même au plus important quest le bois de feu, au détriment des autres. La trame de la vie rurale, au foyer comme sur les champs, en dépend tellement que tout diagnostic des problèmes poses par lépuisement du couvert forestier qui ne tiendrait pas compte de la complexité de cette dépendance risque fort dêtre faussé.
Presque partout, les collectivités agricoles reconnaissent la nécessité de maintenir un certain stock sur pied de différents types darbres, soit en les cultivant délibérément soit en les laissant pousser naturellement. Même dans les sociétés pastorales nomades, les arbres ont depuis toujours toutes sortes de fonctions essentielles. Les pasteurs en ont peut-être rarement planté, mais leur mode de vie traditionnel est tel quen général il ne nuit pas aux arbres qui poussent sur les terrains quils parcourent avec leurs troupeaux. En fait, les animaux en paissant contribuent à conserver le stock darbres en en dispersant les graines.
Les nombreux produits et avantages que les populations rurales tirent des arbres témoignent de la parfaite connaissance quont ces populations de leur environnement immédiat. Lhypothèse selon laquelle les collectivités traditionnelles nont pas conscience de ces avantages et doivent donc être mises en garde contre les conséquences immédiates de la disparition du couvert forestier est rarement vraie.
Localement, les conséquences sont évidentes: perte de fourrage, dombre, de fruits et dautres avantages. Les populations rurales appréhendent peut-être mal les conséquences à long terme du déboisement - notamment en aval - mais leur aptitude à nommer et a distinguer un grand nombre dessences et à en décrire les caractéristiques montre bien quelles sintéressent aux arbres et quelles savent la place quils occupent dans leur vie.
Dans certains cas, les systèmes sylvicoles ruraux traduisent une sophistication remarquable et mettent en jeu la plantation dun très grand nombre darbres ainsi que le recours à des techniques perfectionnées pour les gérer et les exploiter. Dans dautres cas, les méthodes de gestion sont plus passives et reposent essentiellement sur la conservation et la régénération naturelle. La stabilité du système tient à ce que les pressions démographiques sont faibles et à ce que la capacité de régénération de la forêt est assez grande pour compenser tout dommage dû aux pratiques dutilisation des habitants.
Quand les sociétés traditionnelles sont restées stables, elles ont généralement pu maintenir la productivité des ressources forestières dont elles sont tributaires. Les techniques traditionnelles daménagement forestier, tout en ralentissant voire en arrêtant les processus de détérioration de lenvironnement, sont avant tout axées sur la valeur utilitaire des arbres pour le foyer ou la communauté. Certaines sont même devenues des systèmes dagroforesterie complexes, comme le jardinage familial, et ont incorporé des essences indigènes dans des systèmes de production soutenue. Dautres ont eu une portée et des effets plus modestes et nont visé quà conserver au moins quelques arbres intéressants dans des endroits commodes, proches de la maison.
Les individus, les ménages et les groupes familiaux qui désirent affirmer leur droit exclusif sur certains arbres, le font parfois en en limitant laccès. Cest ainsi que dans le sud du Niger lutilisation du baobab est régie par des traditions très anciennes qui spécifient avec rigueur les droits de propriété. Au Soudan, les palmiers sont assujettis à un régime complexe de propriété fractionnée obéissant au droit traditionnel de succession. Au Sumatra occidental, cest à la famille élargie quappartient la décision de couper un arbre précieux (Fortmann, 1984).
Baobab - protège par la tradition
Certaines collectivités protègent depuis longtemps tels ou tels arbres parce quils leur servent de point de ralliement ou parce quils revêtent un caractère sacré. Au Népal, au cours des siècles, des systèmes officiels de gestion ont été mis au point qui définissent des droits spécifiques dutilisation des produits de valeur fournis par les arbres poussant sur les terrains collectifs. Ces systèmes ont pris forme pour faire face aux impératifs de distribution ainsi quaux pénuries croissantes. Avec leffondrement des anciens systèmes, la destruction des forêts sest accélérée de façon sensible ces dernières années et certaines collectivités ont été amenées à concevoir de nouveaux systèmes (Campbell et Bhattarai, 1983).
Dautres groupes ayant le même intérêt à préserver les ressources forestières ont également réagi devant la menace de pénuries croissantes. Ainsi, sur les hauts plateaux du Guatemala, les professionnels du bois ont apporté une contribution importante aux efforts de conservation des arbres. Dans la région himalayenne de lInde, le mouvement Chipko, dirigé par des femmes dynamiques, est un mouvement daction collective qui sappuie sur la technique de la non-violence préconisée par Gandhi pour lutter contre la destruction des arbres par les sociétés commerciales du bois (Agarwal et Anand, 1982).
Le peuple Karen de la Thaïlande sefforce depuis toujours dempêcher le brûlis de parcelles destinées à la culture itinérante (Kunstadter, et al., 1982). Chez certaines tribus du Kenya, ceux qui recueillent le miel ont lobligation déviter que les ruches quils enfument ne prennent feu (Leakey, 1977). Dans certaines parties de lInde, lacte de couper un arbre peut être considéré contraire à la morale, surtout si larbre fournissait des produits utiles à la collectivité. Les Indiens Bora de lAmazonie péruvienne ont conscience du fait que leur système de culture itinérante doit être pratiqué de façon à réduire lérosion du sol et à favoriser certains arbres dans la végétation secondaire (Deneven, et al., 1984).
Outre des mesures énergiques de conservation des arbres, quelques stratégies locales daménagement des terres visent spécialement à harmoniser lutilisation des terres avec leur capacité de charge. Dans ces régions, on a parfaitement conscience de ce que le surpâturage nuit à lenvironnement et cest pourquoi on veille à maintenir la taille des troupeaux et les régimes de pâturage dans des limites raisonnables sur le plan écologique.
Dautres stratégies consistent à protéger et à cultiver les plants qui germent spontanément. Les agriculteurs épargnent à dessein certains jeunes plants au moment du sarclage; ils élèvent même des barrières autour deux pour les protéger du bétail. Dans certaines parties du sud du Mexique, les exploitants tolèrent et préservent des légumineuses indigènes, comme Prosopis, qui procurent des gousses comestibles et de lombre, et augmentent la fertilité du sol (Wilken, 1978). Les cultivateurs du Nigeria méridional reconnaissent la supériorité de certaines essences pour restaurer la fertilité des terres laissées en jachère et font en sorte que ces essences prédominent dans la brousse (Getahun et al., 1982).
Une technique de gestion apparue récemment consiste à limiter laccès des habitants aux arbres qui étaient auparavant à leur disposition. Cette méthode est généralement associée à des modifications des régimes fonciers; elle correspond parfois à une aggravation des pénuries de bois. Dans la région centrale du Kenya, la récolte de bois et dautres produits tirés darbres qui se trouvent sur des terres privées est de plus en plus assujettie à lautorisation du propriétaire; il y a à peine quelques années les arbres et leurs produits étaient à la libre disposition de tous (Brokensha et Riley, 1978).
Ce sont là deux techniques daménagement qui peuvent être employées pour certains types darbres. La première consiste à couper larbre au ras de la souche et à le laisser repousser; larbre produit alors normalement plusieurs rejets a la place de lunique tige originelle. La deuxième technique consiste à couper la cime de larbre; les nouvelles branches surgissent alors du reste de la tige coupée. Lavantage de cette dernière méthode est que les nouveaux rejets viennent en hauteur et sont ainsi mieux à labri des animaux et du feu. Lélagage vertical consiste à couper les branches au ras du tronc. La repousse qui suit ces opérations est vigoureuse car le système radiculaire de larbre est déjà bien établi.
Différentes techniques de coupe en taillis, de coupe en têtard et délagage se pratiquent de par le monde et, en particulier, au Bangladesh, au Burkina Faso, aux Philippines et au Rajasthan, Inde (Douglas, 1981; Wiersum et Veer, 1983; Ben Salem et Tran van Nao, 1981).
Coupe en têtard: technique rationnelle daménagement forestier
Sur les hauts plateaux du Kenya les cultivateurs pratiquent souvent la coupe en têtard des Grevilla qui poussent sur les terres agricoles. Ces arbres subissent parfois un étêtage intensif 15 à 20 fois en 50 ans. Le tronc continue de sélargir et la tige de croître en hauteur à moins quun élagage délibéré au sommet ne len empêche.- Quand lexploitant décide que larbre a atteint une taille suffisante, ou lorsquil a besoin dargent, il labat et en vend le tronc comme bois doeuvre (Poulsen, 1983).
Toutes ces techniques ont un avantage commun en ce sens quelles permettent dobtenir un rendement soutenu de bois ou de fourrage sur une longue période. Un arbre ainsi traité produit au total beaucoup plus quil ne le ferait si on se contentait de le laisser pousser tel quel puis de labattre une fois arrivé à maturité.
On oublie souvent que la coupe en taillis et la coupe en têtard sont pratiques courantes chez les agriculteurs. Il est pourtant évident que, dans certains endroits ces techniques permettent de tirer des arbres qui se trouvent sur les terres agricoles le gros du bois de feu et du bois doeuvre nécessaires aux ménages et cela sur une base soutenue. Cest la une constatation qui a son importance pour la conception des programmes destinés à accroître les approvisionnements en bois de feu.
Dans de nombreux pays, les paysans ont toujours plante des arbres pour une infinité dusages domestiques. Au Bangladesh, un des pays les plus peuples du monde, on sest aperçu en 1983 que en moyenne, chaque ménage avait planté ou régénéré naturellement 68 arbres, dont 16 avaient été établis lannée précédente (Byron, 1984). Dans la zone de Fatick, au Sénégal, on a découvert que pratiquement tous les ménages avaient planté des arbres.
Au Panama, presque toutes les petites exploitations agricoles possèdent des arbres fruitiers (Jones, 1982b). Près de la moitié des exploitants interrogés dans la région de la vallée occidentale du Costa-Rica ont déclaré avoir planté des arbres en guise de brise-vent (Gewald et Ugalde, 1981). Au Pérou, le boisement sur initiative privée spontanée représente environ 30 pour cent de tous les arbres plantés, bien que le gouvernement finance exclusivement les reboisements à grande échelle. Selon une enquête menée sur les collines du Népal, chaque ménage possède en moyenne 28 arbres, dont un tiers ont été plantés et cultivés (Campbell et Bhattarai, 1983). Près de 40 pour cent des ménages ruraux du District de Kakamega au Kenya, entretiennent de petites pépinières et près de 80 pour cent ont planté des arbres sur leurs terres (van Gelder et Kerkhof, 1984).
Chose peut-être surprenante, rares sont les cas de paysans qui ont deux-mêmes planté des arbres dans le but précis dobtenir du bois de feu, sauf dans lintention de le vendre. Au Kenya, par exemple, on a constaté que les gens plantent des arbres pour leurs fruits, leur ombre, ou leur aspect décoratif, pour élever des coupe-vent ou démarquer des limites (Brokensha, et al., 1983).
Au Malawi, beaucoup dexploitants plantent des arbres, surtout pour en tirer des poteaux à lusage de la famille. Seulement 15 pour cent des personnes interrogées lors dune étude sur le boisement en avaient planté en vue dobtenir du bois de feu (Energy Studies Unit, 1983). Malgré leurs grands besoins dénergie, les indiens qui vivent sur le plateau du lac Titicaca en Bolivie trouvent que les arbres sont trop précieux pour être brûlés et ils les emploient surtout comme poteaux pour construire leurs maisons et pour fabriquer des objets utilitaires (Barre, 1948).
Si les boisements dans les régions rurales ont rarement pour but la production de bois de feu, les habitants se rendent bien compte que les arbres plantés dans dautres buts fourniront aussi une certaine quantité de bois de feu. Ainsi, les arbres plantés pour obtenir du bois doeuvre ou des poteaux de construction seront élagués pour que leurs troncs poussent bien droit; les arbres fruitiers seront aussi élagués de temps en temps pour que les fruits soient de meilleure qualité. Et les résidus de coupe serviront de combustible, tout comme les poteaux de construction qui ont fait leur temps et sont à remplacer.
Dans quelques régions cependant, les habitants plantent depuis longtemps des arbres dans lintention de produire du bois de feu destiné à la vente. Autour de la ville indienne de Madras, on a établi les premières plantations de Casuarina à la fin du dix-neuvième siècle pour alimenter en bois les locomotives; lorsque celles-ci ont été converties au charbon minéral, le bois a servi a satisfaire les besoins domestiques dénergie. Pendant la deuxième guerre mondiale, quand le manque de bois de feu sest fait cruellement sentir, les exploitants locaux se sont mis à cultiver des arbres pour approvisionner le marché urbain en bois de feu. Cest ce quils font encore aujourdhui et on trouve des plantations analogues aux environs dautres villes du sud de lInde. Dans plusieurs parties de Java, les agriculteurs ont réagi à la demande croissante de bois de feu en plantant des Calliandra sur de vastes étendues (National Research Council, 1983).
Certains arbres sont cultivés pour approvisionner en toutes sortes de produits dautres marches spécifiques. La gomme arabique, le caoutchouc, la noix de coco, les dattes, lhuile de palme, le café et le thé sont des produits dimportance capitale pour les économies de beaucoup de pays en développement. Ces arbres ne sont pas uniquement cultivés dans de grandes plantations. Ils procurent aussi des revenus et un moyen de subsistance à un grand nombre de petits exploitants et a des agriculteurs aux ressources limitées.
Hévéas destinés à un marché bien spécifique
Les agriculteurs cultivent aussi des essences commerciales de bois doeuvre. Pendant de nombreuses années, lindustrie des allumettes dans le sud de lInde a été alimentée en grande partie par la production ligneuse de petits exploitants. Certaines sociétés distribuent gratuitement de jeunes plants pour sassurer, a lavenir, une provision régulière de bois. Les arbres sont considérés parfois comme une assurance à long terme. Dans certaines parties de lAmérique latine, les agriculteurs plantent souvent quelques arbres autour de leurs habitations pour pouvoir les couper et les vendre comme bois doeuvre quand ils ont besoin dargent. En Turquie, la tradition veut que lon plante des arbres pour célébrer la naissance dune fille et préparer ainsi la dot de son mariage.
Bien souvent, les paysans mènent de pair la foresterie et toute une série dactivités agricoles et pastorales sur la même parcelle de terre (Combe et Budowski, 1979; Lundgren, 1982; Nair, 1984; Weber et Hoskins, 1983). Le principal avantage de ce genre dassociation systématique est que les arbres enrichissent le sol.
La protection du sol contre lérosion est un autre bénéfice. La productivité totale de la terre sen trouve accrue, car ces systèmes permettent lutilisation supplémentaire ou complémentaire de différentes couches du sol et de lespace exposé au soleil, au-dessus de la surface (Arnold, 1983).
Les méthodes appliquées et leurs rendements à la production sont très variés. Les cultivateurs des zones arides du Rajasthan en Inde associent les cultures fourragères et céréalières avec Prosopis cineraria. Si les premières rendent mal Prosopis devient la principale source de fourrage; les feuilles et les gousses sont stockées pour le bétail, en prévision des périodes maigres, tandis que le bois sert de combustible ainsi quà la fabrication de charbon de bois et doutils agricoles (Paroda et Muthana, 1981).
Dans les basses terres humides de lAmérique tropicale, on emploie Cordia alliodora comme ombrage pour les caféiers et les cacaotiers. Sa prédominance est telle quon le considère, dans certaines zones, comme venant au troisième rang des arbres les plus cultivés, bien quil napparaisse dans aucune statistique sur les plantations darbres (Budowski, 1983). Dans une grande partie du Sahel, on laisse pousser dans les champs les essences dAcacia albida à germination naturelle pour améliorer les sols (Weber et Hoskins, 1983).
Lorsque la densité de la population est faible et les terres abondent, les périodes de jachère sont parfois assez longues pour permettre aux cultivateurs itinérants dappliquer un système efficace dagroforesterie. En préservant quelques arbres sur les parcelles vouées à la culture itinérante et en favorisant la croissance dessences et de végétaux bénéfiques pour le sol, ces agriculteurs ont contribué directement au maintien du couvert forestier local et à laccélération du processus de régénération. Sur les parcelles exploitées par les cultivateurs Lua de Thaïlande, on a trouvé 84 variétés de végétaux et dessences, dont 70 donnaient des aliments et 13 des produits utilisés à des fins médicinales (Kunstadter, 1983). A Sumatra les cultivateurs itinérants épargnent les espèces fruitières et les arbres à essaims pour les abeilles (Pelzer, 1948). On a observé en Amazonie péruvienne que les agriculteurs itinérants protégeaient, sur les parcelles en jachère, certaines essences de bois doeuvre commercialement intéressantes (en particulier lacajou) en prévision des sommes importantes que pourront en tirer leurs enfants (Deneven et al.; 1984).
Parmi les systèmes indigènes les plus complexes dintégration des arbres dans les cultures, on trouve les jardins familiaux de lAsie du sud-est, de lAmérique latine et de lAfrique. Ces jardins présentent en général un mélange à plusieurs étages despèces végétales productrices daliments, de fourrage et de bois, cultivées en étroite association. Celles-ci sont le plus souvent plantées sur de petites parcelles proches des habitations et sont soigneusement entretenues. Ces jardins comportent aussi parfois des élevages de volaille et de petit bétail. Ils imitent ou reproduisent, en fait, la structure étagée et la diversité despèces des forêts qui permet dassocier simultanément cultures pérennes et annuelles sur un espace restreint.
Agroforesterie traditionnelle: le jardin familial
La diversité des espèces ainsi cultivées donne un large éventail de produits. Les végétaux ayant des cycles biologiques différents il en est toujours un que la famille peut récolter quotidiennement, ne serait-ce quen petite quantité. En Amérique centrale, on a compté sur des parcelles dà peine un dixième dhectare, plus de 25 variétés de plantes et darbres vivriers, notamment des cocotiers, des papayers, des bananiers et des caféiers (Wilken, 1978). Une étude des jardins familiaux en Indonésie, qui couvrent environ 20 pour cent des terres cultivables de lîle de Java, a relevé 37 essences fruitières, 11 espèces végétales alimentaires, 12 espèces médicinales, 21 espèces herbacées, 18 sortes de légumes, 45 espèces de plantes ornementales et 47 essences pourvoyeuses de bois de feu et de bois de construction, tout cela sur un seul emplacement (Wiersum, 1984; Atmosoedaryo et Wijayaku-sumah, 1979).
Plusieurs systèmes de culture sur marécage et terre humide qui comprennent des arbres ont beaucoup daspects communs avec les jardins familiaux. Le système des chinampas se pratique depuis des siècles dans certaines parties du Mexique. Il consiste à aménager des terrasses surélevées et à se servir de sédiments provenant du fond des marais ou de réservoirs spécialement construits pour cultiver une grande variété de plantes annuelles et pérennes. Des arbres fruitiers ou des autres essences qui donnent de lombre, qui servent de support à des plantes grimpantes ou qui fournissent dautres produits, sont plantés en bordure des terrasses, ou intercalés avec les végétaux cultivés sur les terrasses elles-mêmes (Gliessman, et al., 1981). On trouve des pratiques analogues dans les plaines deltaïques du Bangladesh où les villages sont perchés sur des tertres pour se protéger des inondations saisonnières. Sur ces sols alluviaux fertiles, on cultive un mélange à plusieurs étages darbustes, bambous, palmiers et autres arbres (Douglas, 1981).
Sur le cours inférieur du Tana au Kenya, les agriculteurs pratiquent différentes cultures annuelles et pérennes sur plusieurs parcelles pour se prémunir contre les risques naturels. Même si, une année, quelques parcelles ne rendent pas, les conditions agro-écologiques sur chacune delles et les exigences des cultures étant différentes, il est peu probable que la récolte soit entièrement mauvaise. Certaines parcelles sont généralement affectées à des produits particuliers: fruits, bois de feu ou matériaux utilisés localement pour la construction.
Ce genre de système a souvent été adopté dans les zones à forte concentration démographique pour compenser le manque de terres. Dès linstant, toutefois, ou les parcelles deviennent trop exiguës du fait des pressions démographiques, économiques ou politiques, le système peut atteindre ses limites; à ce moment-là il faut chercher des solutions à court terme. Il arrive alors quon déracine les arbres cultivés en association complémentaire avec dautres végétaux pour faire place aux cultures vivrières. On a observé que dans les zones ou la taille moyenne des exploitations avait beaucoup diminué, les agriculteurs revenaient souvent à la production de quelques cultures vivrières de base comme le manioc (Wiersum, 1984).
Les stratégies traditionnelles de gestion forestière sont dynamiques, car elles ont évolué en réponse à des situations particulières, et traduisent tout un ensemble de facteurs culturels, sociaux, économiques, politiques, écologiques et démographiques. Celles qui ont réussi à survivre, ont souvent dû sadapter a lintroduction de nouvelles cultures, à la croissance démographique, à lexpansion et à la contraction des marchés de certaines denrées agricoles, ainsi quà dautres phénomènes.
Mais ce nest pas parce que, dans le passé, les paysans ont pu gérer efficacement leurs ressources forestières quils pourront continuer à le faire. Dans maints endroits, les contraintes économiques, démographiques et sociales devenant plus pressantes contribuent à la faillite des pratiques traditionnelles de gestion. Les systèmes les plus passifs, qui reposent essentiellement sur la capacité de régénération naturelle des forêts et des bois sont particulièrement vulnérables; ils sont parfois complètement débordés.
Pour bien connaître le contexte dans lequel les innovations en matière de foresterie rurale ont des chances de réussir, il faut comprendre tout dabord pourquoi les paysans ont du mal à planter et a entretenir un nombre suffisant darbres. Il est tout aussi important de comprendre pourquoi les forêts naturelles et les arbres poussant sur les exploitations agricoles et aux alentours, qui, autrefois, rendaient aux habitants les divers services dont ils avaient besoin, ne sont plus à même de le faire.
Tableau 1: Principaux systèmes dagroforesterie en application dans les pays en développement (Suite)
Systèmes |
Asie du Sud-Est |
Asie du Sud |
Méditerranée et Moyen Orient |
Afrique orientale centrale et occidentale
humide |
Afrique occidentale aride et semi-aride |
Amérique tropicale |
Agro-sylviculture |
1. Essences commerciales intercalées dans les
cultures |
1. Taungya |
1. Oliviers + céréales (sur terrasses,
banquettes) cuvettes etc... |
1. Taungya |
1. Recours aux arbres pour protéger les terres
agricoles (coupe-vent, fixation des dunes) |
1. Arbres dans des cultures pérennes de rente
(café, cacao, thé) |
Sylvopastoralisme |
1. Pâturages en plantations forestières |
1. Pâturages sous les arbres |
1. Forêt de chênes + pâturages |
1. Gomme arabique + élevage |
1. Nomades/semi-nomades/transhumants |
1. Arbres sur pâturages |
Agro-sylvopastoralisme |
1. Cultures + pâturages dans les plantations |
1. Cultures de plantation + cultures de plein champ +
élevage |
Aménagement des parcours |
1. Cocotiers/autres cultures de plantation + cultures
vivrières + pâturages |
1. Sylviculture dominante (terres
forestières) |
1. Cultures de plantation (cocotiers, hévéas,
fruitiers) avec cultures et pâturages |
Jardins familiaux |
Diverses associations dessences multiples |
1. Voûtes végétales étagées
en régions humides |
Principalement dans les grandes villes |
Diverses formes |
Diverses formes |
Diverses formes |
Divers |
1. Sylviculture en forêts à mangrove |
1. Cultures pérennes mélangées |
1. Nouveau système au Maroc (plantation dessences
à épices pour lutter contre lérosion) |
1. Systèmes pastoraux avec exploitation en corral
(systèmes daction réciproque hautes terres/basses terres) 2.
Cultures pérennes mélangées. |
1. Oasis |
Cultures pérennes mélangées |
Source: P.R. Nair, Soil Productivity aspects of agroforestry, ICRAF, Species for Energy Production, National Academy of Sciences Washington, D.C. 1984.
2.1 Le ramassage de bois de feu et le déboisement
2.2 Le besoin de terres agricoles
2.3 Modification des régimes de propriété et de contrôle fonciers et apparition de débouchés commerciaux
2.4 Contraintes locales aux boisements
2.5 Contraintes locales à lutilisation des terres
2.6 Contraintes locales à lutilisation des arbres
2.7 Utilisations concurrentielles de la terre, de la main-doeuvre et du capital
2.8 Contraintes sociales et culturelles
2.9 Obstacles ou atouts?
Si les arbres se font de plus en plus rares, cest là le résultat dun mélange de phénomènes anciens et récents. Dans certains endroits, les pressions sont apparues progressivement et presque imperceptiblement, laissant parfois aux populations le temps et la possibilité de remanier et dadapter les systèmes daménagement. Dans ces cas-là, des signes dappauvrissement étaient peut-être présents depuis des décennies et le déboisement grave a pu être évité grâce à des stratégies dadaptation telles que la protection des essences prisées, la protection des plants a germination spontanée, et des éclaircies sélectives. Ailleurs, la perte du couvert forestier tend à saccélérer.
Effet du déboisement su lagriculture
Le problème, déjà complexe, le devient plus encore en raison des aspirations et espérances nouvelles suscitées par le développement économique. La croissance démographique est souvent considérée comme la cause principale du déboisement, mais elle nest certainement pas la seule. Beaucoup de facteurs y contribuent, dont le développement agricole, la commercialisation, les politiques gouvernementales, les modes de colonisation des terres, les changements technologiques, les systèmes passés dexploitation des forêts et des ressources et lévolution des structures socio-économiques en milieu rural.
Là surexploitation des arbres et, partant, leur raréfaction sont en général symptômatiques de problèmes plus vastes qui accompagnent le processus du développement et qui sont souvent mal compris et simplifiés à lexcès. Quelquefois les populations ont tout simplement cessé leurs pratiques de conservation des arbres parce que celles-ci ne correspondaient plus à lidée quelles se faisaient de léconomie agricole rurale. Il faut donc comprendre pourquoi certaines techniques adaptatives, actives et passives, daménagement des arbres ont été abandonnées avant de pouvoir prendre des mesures correctives efficaces.
On attribue quelquefois au ramassage de bois de feu la principale responsabilité de lépuisement des ressources ligneuses. Il en est rarement ainsi. Dautres facteurs bien plus nocifs interviennent généralement. Il nen est pas moins vrai que le besoin de bois de feu contribue puissamment à la faillite des systèmes traditionnels daménagement des ressources ligneuses dans certaines zones et que là ou ce besoin excède la capacité de régénération naturelle, il sen suit presque automatiquement des coupes excessives.
On va chercher le bois de feu de plus en plus loin
Cest surtout aux environs des grandes villes et a la périphérie des zones à forte demande de bois que risque de se produire ce déséquilibre. Ainsi, on a abattu presque tous les arbres des terrains collectifs ou non protégés, sur un rayon de 40 kilomètres autour de Ouagadougou au Burkina Faso, pour répondre à la demande de bois de feu et le périmètre de terres déboisées ne cesse de sagrandir (National Academy of Sciences, 1980; Chauvin, 1981). Selon une étude récente de la FAO, on enregistre déjà de graves pénuries de bois de feu dans 18 pays africains, trois pays asiatiques et six pays dAmérique latine, pénuries qui touchent environ 112 millions de personnes (de Montalembert et Clément, 1983). Les pénuries de bois de feu dans les villes nont, en fait rien de nouveau. Au cours de ses voyages au Niger, en 1795, lexplorateur Mungo Park notait que dans un rayon de 3,5 kilomètres autour de la ville de Kaarta, tous les arbres avaient été détruits pour satisfaire limportante demande de bois de feu et de construction.
Le plus souvent, lorsquon abat des arbres, cest pour faire place à lagriculture et à lélevage. (Bajracharya, 1983; Allan, 1965). Dans léconomie agricole, la méthode la moins coûteuse et la plus aisée daccroître la production consiste sans doute à étendre la superficie des terres cultivées. Toutefois, les terres ne sont pas toujours déboisées pour être mises en culture. Ainsi, au Costa-Rica, de vastes forêts de basse altitude ont été défrichées pour offrir des pâturages au bétail délevage commercial (DeWalt, 1982). Beaucoup de pays dAmérique latine et de lAsie du sud-est ont adopté des mesures officielles pour encourager la colonisation des zones forestières aux fins de la production agricole et de lélevage.
Le surpâturage, qui empêche la régénération naturelle, est lune des principales causes de la disparition des arbres. Lhistoire du Moyen-Orient et dautres régions montre bien quil ne sagit pas là dun problème nouveau, mais les dangers se sont terriblement aggravés au cours de ces dernières décennies. La pression se fait sentir le plus durement dans les zones arides et semi-arides où, jusquà une époque récente, les forêts naturelles parvenaient à résister aux effets du pâturage. Les éleveurs et leurs troupeaux de bovins et dautres animaux, se sont maintenant sédentarisés dans des zones autrefois soumises à lélevage nomade. Cest ainsi que les anciennes méthodes de pacage et dapprovisionnement en fourrage qui assuraient un rendement soutenu ont rapidement été abandonnées - au détriment à la fois des forêts et des hommes qui en vivaient.
Dautres modifications des structures de production agricole ont également nui aux arbres. A Puebla, au Mexique, les agriculteurs, ayant adopté un système très intensif dagriculture motorisée, ne gardent plus dans leurs champs les arbres dessences fixatrices dazote parce que les engrais commerciaux assurent de plus forts rendements à court terme et que les arbres gênent la marche des tracteurs (Wilken, 1978). Lintroduction de méthodes plus intensives dagriculture et délevage dans les zones semi-arides du Rajasthan, en Inde, a fait négliger des mesures de conservation telles que la rotation des cultures, les longues périodes de jachère et la migration saisonnière des troupeaux. Dans certains endroits, comme dans le bassin arachidier du Sénégal, ces stratégies à court terme de production intensive sont remises en question car les habitants saperçoivent quils ne peuvent maintenir longtemps une production élevée que sils laccompagnent de mesures de conservation des ressources de base.
Dans les zones rurales, quand il ny a pas assez de terres pour faire vivre une population agricole de plus en plus nombreuse, les pressions qui sexercent sur les terres déjà cultivées deviennent encore plus intenses. A la suite des héritages, du morcellement des propriétés entre membres dune même famille et des ventes de terrains, la taille moyenne dune exploitation agricole diminue. A mesure que les ressources du ménage faiblissent, les arbres sont parfois sacrifiés pour faire face à des besoins plus urgents.
Au Soudan, les arbres dAcacia senegal qui produisent de la gomme arabique sont abattus à mesure que le système de jachère est abandonné en raison du manque de terre (Horowitz et Badi, 1981). Il arrive aussi que les arbres gênent lagriculteur parce quils font concurrence aux cultures pour leau et les éléments nutritifs du sol et que leur ombre ralentit la croissance des plantes cultivées. Dans certaines régions du Kenya, des paysans ont été obligés de couper des arbres car leurs voisins se plaignaient de lombre qui nuisait aux cultures (Castro, 1984).
A mesure que la pression sur les terres sest aggravée, les régimes fonciers traditionnels et les coutumes qui régissaient la jouissance des terres se sont beaucoup affaiblis. Les petits propriétaires qui cessent davoir accès aux ressources ligneuses des terres limitrophes par suite de modifications des droits fonciers traditionnels sont parfois obligés dexploiter plus intensivement les arbres de leur propre domaine. Ailleurs, là où il était habituel de prêter des terres mais où les pressions ont augmenté a cause dune colonisation intense, il arrive que les propriétaires découragent les fermiers de planter des arbres de peur que ceux-ci ne sen servent comme prétexte pour revendiquer un droit personnel sur la terre.
Quand les exploitants nont pas de garantie dutilisation ou de maîtrise durable de la terre quils cultivent, ils sont peu enclins a investir à long terme pour améliorer cette terre, en plantant des arbres par exemple. Au Honduras, où 80 pour cent de la population rurale ne possède pas de terre, on a remarqué que très peu dagriculteurs plantaient des arbres ou des haies vives, en partie faute de sécurité de tenure (Jones, 1982a).
Les programmes gouvernementaux ont parfois aussi contribué à la destruction du couvert forestier. Par exemple, le mode traditionnel de gestion du couvert forestier que pratiquent les Karens des hautes terres de la Thaïlande est perturbé dans une certaine mesure par les projets de reboisement des zones de culture itinérante qui réduisent la superficie des terres dont ils peuvent disposer (Kunstadter, 1983).
La nationalisation des terres forestières décidée au Népal (Bajracharya, 1983) et au Honduras (Jones, 1982a) à des fins de protection a eu leffet imprévu de décourager les initiatives locales de protection des arbres. En Amérique latine, la construction de routes pour les entreprises dexploitation forestière a ouvert aux colons des zones inhabitées auparavant. Une fois les arbres abattus et débités, des agriculteurs occupent les terres et la forêt ne se régénère pas.
Lexploitation commerciale de produits ligneux, comme le bois de feu, qui autrefois étaient gratuitement disponibles à tous peut aussi aggraver les pressions sur les ressources en bois. Ce phénomène est surtout frappant près des centres urbains ou la demande commerciale est souvent particulièrement importante. Au Nigeria, les paysans qui enlèvent les arbres de leurs champs les vendent généralement comme combustible (Morgan, et al. 1980). Quand les arbres sont plantés à des fins commerciales, pour produire des piquets par exemple, les habitants locaux les plus pauvres ne peuvent plus se procurer gratuitement les perches ou le combustible qui sont maintenant destinés aux marchés.
La surexploitation locale des arbres à des fins commerciales doit être vue dans le contexte à la fois des besoins urgents des zones urbaines et du manque dactivités rémunératrices dans les zones rurales. Le ramassage du bois de feu et la production de charbon de bois peuvent représenter des sources de revenu pour des populations qui nont guère dautres possibilités; même conscientes des dégâts que provoque leur activité, elles nont pas dautre moyen de subsister. En fait, un des arguments soulevés contre le développement de plantations péri-urbaines darbres à bois de feu au Kenya a été quelles affecteraient ceux qui tirent leur revenu de la vente du bois de feu et de charbon de bois.
Les populations rurales refusent parfois les boisements, même si leur région en est particulièrement dépourvue. Il est peu probable que ce refus sexplique par lignorance de lutilité des arbres ou des techniques de sylviculture: il existe sans doute dautres obstacles réels et sérieux.
Selon certains chercheurs (cf. Burley, 1982), les conditions suivantes doivent exister pour que les populations rurales plantent des arbres:
-- conditions économiques: il faut que les ressources en terres, en capitaux et en main-doeuvre soient suffisantes pour permettre la culture darbres et pour couvrir les dépenses relatives aux opérations de plantation, de culture, de récolte et de commercialisation des arbres et de leurs produits. Les bénéfices économiques et financiers de la culture et de lexploitation des arbres doivent dépasser les coûts de production. Ils doivent aussi être supérieurs aux bénéfices nets que lon pourrait tirer dautres spéculations agricoles ou de gestion des ressources.-- conditions sociales et culturelles: les modifications des rapports de production et des régimes de propriété des ressources que peut entraîner la culture darbres doivent se produire dans le cadre de systèmes de distribution des ressources qui soient acceptables aux populations locales. La valeur sociale accordée aux arbres, ou à certaines essences particulières, doit coïncider avec la valeur qui pourrait éventuellement résulter des méthodes adaptives ou des interventions daménagement. Dautre part, il faut disposer de techniciens compétents et conscients de la nécessité de tenir compte des réalités culturelles.
-- conditions écologiques: il faut que des interventions ou les stratégies adaptives soient conçues en fonction des ressources hydriques, des régimes thermiques, des types de sol et des autres caractéristiques du milieu.
Les techniciens doivent tenir compte des réalités culturelles
Il faut aussi reconnaître que beaucoup dagriculteurs ne voient aucune raison de planter des arbres. Il est possible quils ne connaissent pas encore de pénurie de produits forestiers car ils peuvent sen procurer, légalement ou non, sur les terrains collectifs ou dans les réserves forestières proches. Le fait que la surexploitation puisse un jour mener à lépuisement total des ressources ligneuses peut leur sembler un phénomène qui ne dépend pas deux ou, du moins, qui appartient à un avenir trop éloigné pour quils puissent en tenir compte dans leurs projets.
Pour que les agriculteurs consacrent une partie de leurs ressources au boisement, il faut quune pénurie de bois se fasse sentir localement. Elle peut se manifester par une augmentation du temps quil faut pour ramasser le bois de feu, par la nécessité déconomiser le combustible, ou même par la nécessité de cuisiner moins souvent. En outre, il faut que la plantation darbres soit, a leurs yeux, le moyen le meilleur de faire face à ces contraintes. Quand la vie est marquée par une pénurie générale et immédiate de biens de première nécessité, la plantation darbres à utiliser dans un avenir lointain peut ne pas sembler une activité particulièrement opportune.
Le milieu économique le plus favorable au boisement est celui ou il est certain que les arbres en question seront utilisés par ceux qui les ont plantes ou par leurs enfants. Par contre, labsence de sécurité en matière de tenure ou de contrôle sur lutilisation des terres fait souvent obstacle au boisement.
Souvent, les habitants des régions rurales nont pas de droits bien définis sur les terres quils exploitent. Certains régimes fonciers sont difficiles à démêler du fait que de nouvelles pratiques se sont superposées aux traditions séculaires qui définissaient les droits des utilisateurs collectifs ou individuels. Les paysans, et surtout les plus pauvres, nont aucun titre officiel de propriété sur les terres quils occupent et ils vivent constamment dans la crainte dêtre expulsés. Même le cultivateur à bail ne plante pas volontiers darbres tant quil na pas la certitude de ne pas être renvoyé. Ce manque de sécurité est souvent particulièrement grave pour les femmes.
La sécurité de jouissance de la terre ne suffit pas, cependant, en elle-même, à faire si que les habitants plantent des arbres. Les exploitants capables de satisfaire leurs propres besoins grâce aux arbres qui poussent déjà sur leurs terres ignorent facilement les paysans sans terre qui nont que trop conscience de la pénurie de bois mais qui nont aucun moyen dy remédier (Bruce, et al., 1984).
Dans certains pays dAmérique latine, les lois foncières, loin dencourager la plantation darbres, incitent au contraire à les supprimer. Les habitants peuvent obtenir des droits sur la terre sils sinstallent dans des zones forestières, déboisent et mettent la terre en culture: plus ils lexploitent longtemps et avec succès, plus leurs droits fonciers sen trouvent consolidés. Dans les régions où la plantation darbres donne des droits sur la terre, cela peut à son tour devenir un obstacle. Cest ainsi que pendant les années quarante, les chefs Basotho du Lesotho ont découragé la plantation darbres pour limiter la propriété privée et cet interdit sest perpétué jusquà nos jours (Fortmann, 1984).
Les droits de pacage peuvent entrer en conflit avec les exigences du boisement quel que soit le régime foncier. Dans nombre de pays, la terre est utilisée par des gens différents selon les saisons; il est dusage de laisser les animaux paître librement sur les terres agricoles après les récoltes. Ce mode dutilisation alternée des terres rend extrêmement difficile la protection des arbres plantés par des particuliers car ceux qui cherchent à les protéger doivent enfreindre les droits dautres membres de la collectivité (Raintree, 1985).
Que deviendra ce terrain déboisé pour le pâturage?
Même si le droit sur la terre est assure, il faut encore savoir qui a le droit de disposer des ressources forestières, soit à qui revient le droit de propriété sur les arbres. Le régime de propriété sur les arbres peut être très complexe, mais il implique généralement le droit de posséder ou dhériter des arbres, le droit de les planter, le droit de les utiliser et le droit den disposer (Fortmann, 1984).
A Haiti, les populations rurales ont été averties que tous les arbres appartiennent au gouvernement et que quiconque abattrait un arbre serait puni. Cette mesure visait à protéger les arbres, mais elle a souvent eu un effet contraire: les habitants se sont sentis menacés car ils ont supposé que lintérêt du gouvernement pour les arbres aboutirait en fin de compte a lexpropriation de toutes les terres plantées darbres.
Fins producteurs de résine: propriété de lEtat
En Inde et au Népal, jusquà une époque récente, les arbres ayant une valeur commerciale appartenaient au gouvernement, quel que fut le propriétaire de la terre sur laquelle ils poussaient. Cette règle sappliquait à des essences comme le khair (Acacia catechu) qui produit des substances tannantes, et les pins (Pinus roxburghii) qui produisent de la résine. Les paysans devaient attendre que le département des forêts récolte les produits, ou encore ils pouvaient acheter les arbres et obtenir un permis pour les abattre.
Une loi pour la protection des arbres (Tree Conservation Act) a récemment été promulguée en Inde: elle comprend une liste de nombreuses essences qui ne peuvent pas être coupées sans permis. Ces règles de protection contribuent sans doute à empêcher les abattages illégaux dans les forêts; mais elles font hésiter les petits exploitants à planter des arbres. Pour que le boisement leur rapporte quelque chose, il leur faut en effet entreprendre des démarches laborieuses et souvent coûteuses afin dobtenir un permis de coupe. Cest la aussi, bien souvent, un aspect de la législation forestière au Sahel (Thomson, 1979).
La plantation darbres est souvent, aux yeux des cultivateurs, une possibilité dutilisation des sols parmi plusieurs autres; il faut dans ces cas comparer les avantages et les inconvénients de chacune. Ainsi, lutilisation de terres agricoles pour des plantations commerciales darbres a suscité de nombreuses critiques car elle se faisait au détriment de cultures vivrières. Dans les zones riches en terres agricoles, on peut avancer le même argument à propos de presque toutes les cultures de rente. Toutefois, laffectation de terres agricoles au boisement en massifs peut poser un problème particulièrement grave là ou le manque de terre limite déjà la production agricole. Dans ces cas, une intervention officielle pour décourager la plantation darbres en faveur dautres culture? de première nécessité peut se justifier.
Les risques quimplique le boisement varient selon les propriétaires fonciers. Les petits propriétaires devront probablement changer leur mode dutilisation déjà intensif des terres. Si leur production vivrière diminue, le risque quils prennent en plantant des arbres saccroît en proportion. Même sils plantent des essences à croissance rapide, ils ne pourront tirer de bénéfices de leur investissement quau bout de quatre ou cinq ans. Entre temps, ils devront financer leurs besoins quotidiens qui, autrement, auraient été satisfaits grâce aux revenus agricoles, si maigres quils soient.
Les propriétaires des grandes exploitations échappent à ces contraintes: il leur restera suffisamment de terre pour les cultures vivrières, et la plantation darbres nentraînera pour eux aucune modification des risques à court terme. Elle les obligera parfois a financer dautres besoins en attendant que les arbres produisent, mais ils nauront pas les mêmes difficultés à obtenir les crédits nécessaires car ils peuvent offrir leurs terres comme garantie.
Le manque de main-doeuvre peut aussi constituer un obstacle au boisement. En effet, on plante les arbres au moment même ou les travaux agricoles battent leur plein. Dans les zones arides, où il faut traverser les couches du sol durcies après les premières pluies pour permettre aux jeunes plants de bien senraciner, et dans dautres zones où la saison de plantation est courte, la demande de main-doeuvre peut être particulièrement forte pendant la période de plantation. Les migrations saisonnières peuvent aussi réduire le nombre de personnes actives demeurées sur lexploitation agricole après la récolte des cultures annuelles, alors que les arbres ont encore besoin dentretien et de protection. Dans les sociétés dagriculteurs de subsistance, le recours à la main-doeuvre supplémentaire salariée, même si elle est disponible, est parfois inconcevable.
Parallèlement, la sylviculture peut parfois entraîner un excédent de main-doeuvre. Les cultures annuelles, qui imposent chaque année un cycle régulier de travaux - plantation, entretien et récolte - se traduisent par des besoins de main-doeuvre différents de ceux des cultures darbres. Les travaux de plantation, déclaircie et de récolte des arbres et les besoins correspondants de main-doeuvre sont répartis sur plusieurs années et exigent au total beaucoup moins de main-doeuvre.
Linvestissement de ressources dans la plantation darbres paraît aussi beaucoup moins justifié quand il nexiste pas de débouchés commerciaux accessibles pour écouler les produits excédentaires après satisfaction des besoins de subsistance. De même, les collectivités peuvent renoncer à boiser des terrains collectifs parce quil est trop difficile de gérer des ressources a usage collectif et quil nexiste pas dinstitutions rurales compétentes pour se charger de cette tâche.
Même lorsque la population rurale dispose de terres, de main-doeuvre et de capital pour cultiver des arbres, dautres obstacles peuvent intervenir. Il sagit parfois de contraintes liées aux traditions culturelles. Ainsi, certains arbres sont associés à des esprits malveillants et à des tabous. En Casamance, au Sénégal, le service forestier encourageait la plantation danacardiers mais les paysans brûlaient les arbres pour chasser les démons que ces arbres sont censés abriter.
Dans certaines parties de lInde, les tamariniers ont la même réputation. Il se peut que la plantation dessences exotiques importées ait lavantage de ne pas susciter pour les populations locales les mêmes associations défavorables que certaines essences indigènes. En fait, la forêt est souvent liée aux idées de vol, de meurtre et à la peur des animaux sauvages. Dans beaucoup danciennes colonies, particulièrement en Afrique occidentale, les gens âgés associent aussi la plantation darbres aux travaux forcés et à la peur dêtre punis si les arbres venaient à mourir.
Dautres considérations plus pratiques peuvent décourager de planter des arbres. Dans quelques pays africains, la méthode habituelle denrayer linvasion de la mouche tsé-tsé consiste a couper les arbres qui abritent les insectes. Cette pratique a été renforcée par de longues années dinstruction et de vulgarisation et aujourdhui, les arbres sont considérés comme un danger pour le bien-être des populations rurales. Ailleurs, les agriculteurs sopposent à la plantation darbres près de leurs champs parce quils servent de refuge aux oiseaux qui mangent les graines. Les arbres peuvent aussi priver les cultures adjacentes deau, de lumière et déléments nutritifs. Ces réactions sont, dans bien des cas, tout à fait sensées, mais elles compromettent évidemment les projets de boisement si ces projets ne saccompagnent pas de mesures complémentaires propres à assurer dans lensemble un accroissement des avantages.
Enfin, il est parfois difficile dintervenir utilement pour satisfaire un besoin donné car on se heurte à des traditions qui peuvent paraître irrationnelles en dehors de leur contexte. Dans le sud du Niger, le baobab est très prisé à cause des usages et des produits multiples quil procure; les droits de propriété et dexploitation en sont généralement précis et bien définis. Il était donc logique de penser que, puisque ces arbres sont appréciés, il serait relativement facile de persuader les habitants à en planter davantage. Cela sest pourtant révélé presquimpossible, surtout parce que le baobab est considéré comme un don des dieux. Un agriculteur qui en planterait courrait le risque daltérer lordre divin.
Certaines évolutions qui ont contribué à labandon de systèmes daménagement forestier ont aussi conduit à la plantation darbres, notamment: la tendance à la privatisation des terres; le désir croissant des populations rurales daugmenter leur productivité et leurs revenus; les réactions positives aux incitations commerciales; lengagement croissant des pouvoirs publics dans laménagement des ressources et le développement rural; et la création de débouchés commerciaux pour le bois.
Les difficultés éprouvées à orienter correctement les interventions visant à promouvoir les boisements par les populations rurales tiennent peut-être principalement à la nécessité de bien comprendre avant tout la diversité des comportements humains. Ces comportements sont-ils des obstacles, ou offrent-ils au contraire des possibilités - une base sur laquelle construire des interventions efficaces? Souvent les planificateurs lancent laction qui leur semble la meilleure et sont ensuite surpris de voir leurs idées rejetées et leurs efforts échouer. Il ne leur reste alors quà qualifier les groupes-cibles de peu évolués ou prisonniers des traditions.
Il sagit, essentiellement, didentifier les vrais obstacles et de trouver des moyens efficaces pour les surmonter. Il ne faut jamais penser que les innovations viendront remplacer des systèmes traditionnels daménagement et de conservation des arbres; elles doivent plutôt servir dinstruments pour la construction de nouveaux systèmes qui auront pour base les forces et les compétences locales. Les innovations en matière de foresterie ne peuvent être conçues et introduites de manière efficace que si ces interventions rentrent bien dans la gamme des réactions spontanées des populations face aux pénuries. La réussite ne viendra que du dialogue direct entre planificateurs et populations et de leur collaboration pour trouver les meilleurs moyens dintroduire les innovations les mieux adaptées.
3.1 Initiatives prises pendant la période coloniale
3.2 Rôle des innovations dans le domaine du boisement en milieu rural
Il y a au moins deux mille ans que des programmes sont lancés par les pouvoirs publics pour encourager laménagement et la culture des arbres. Les premiers dirigeants chinois encourageaient le peuple à planter des arbres pour en tirer des aliments et du bois de charpente. A une certaine époque, le gouvernement a même accordé des terres publiques aux paysans disposés à les reboiser. Au 16ème siècle, des chefs du Sri Lanka ont réservé des terres aux paysans pratiquant la culture itinérante et ont interdit le défrichement dautres espaces boisés protégés pour une période de trente ans (Seth, 1981).
Chine: 2000 ans de sylviculture
LEthiopie offre un exemple historique de campagne officielle de plantation darbres entreprise pour promouvoir la production de bois de feu pour les zones urbaines. Vers la fin du siècle dernier, lEmpereur Ménélik fit promulguer une loi exonérant dimpôts les terres plantées darbres et organisa la distribution à très bas prix de jeunes plants deucalyptus importés. Il cherchait ainsi à remédier à lextrême pénurie de bois qui sévissait autour de la nouvelle capitale dAddis Abéba fondée en 1890. Le programme de plantation fut lent à démarrer mais en 1920, on racontait que les rues et les chemins dAddis Abéba commençaient à ressembler à une vaste forêt ininterrompue (National Academy of Sciences, 1980). En 1964, les forêts deucalyptus entourant la ville couvraient 13 500 hectares.
Dautres programmes de plantation darbres lancés par des dirigeants locaux ont donné des résultats intéressants. En 1932, dans la région dAmarasi à Timor, Indonésie, les autorités locales ont adopté des dispositions obligeant les cultivateurs itinérants a planter des rangées de Leucaena le long des courbes de niveau dé leurs parcelles avant de les abandonner. Dautres normes réservaient certaines zones au pacage et à dautres types dexploitation agricole et encourageaient la plantation darbres fruitiers. Cette région, qui avait été gravement dégradée par la culture trop intensive, a fini par devenir exportatrice de produits alimentaires (Metzner, 1983).
Dans la région de Muquiyauyo, dans les Andes péruviennes, un prêtre catholique introduisit les eucalyptus à la fin des années 1870 parce que la zone manquait darbres. Un comité local fut chargé dacheter encore des arbres et les habitants sorganisèrent localement pour en planter dans lagglomération et le long des routes. Cette activité se répandit car les habitants avaient découvert beaucoup davantages au bois deucalyptus: ils lutilisaient pour construire les maisons, pour fabriquer des outils et des meubles et comme combustible. Vers la fin du siècle, lindustrie minière fournit un débouché intéressant aux poteaux qui servaient détais. Le bois deucalyptus nétait pas considéré comme le meilleur bois de construction; cependant, il était utilisé partout, car les arbres poussaient vite et ne coûtaient pas cher. En outre, les habitants des centres urbains les prisaient pour leurs qualités esthétiques (Adams, 1959). Les travaux de plantation ainsi organisés se poursuivirent au moins jusquà la fin des années 1930; une partie des jeunes plants étaient obtenus sur place et le reste provenait dautres centres.
Les eucalyptus, essences exotiques souvent appréciées
La diffusion des neems (Azadirachta indica) en Afrique occidentale et au Sahel est un autre exemple frappant - et plus récent - de lintroduction réussie dune nouvelle essence. Cet arbre a été introduit au Sénégal en 1944 et au Mali en 1953. Dans dautres zones de lAfrique occidentale, les services forestiers lutilisaient souvent le long des routes. Très prisé pour sa croissance rapide et pour sa production de bois doeuvre et autres produits a usages multiples, cest lun des arbres le plus fréquemment plantés dans la région et la demande de jeunes plants demeure élevée (Taylor et Soumare, 1984).
Pendant la longue période dexpansion coloniale au dix-neuvième et au vingtième siècles, nombreuses tentatives ont été faites pour introduire des systèmes de culture et daménagement des arbres. Ces tentatives visaient surtout la protection et la mise en réserve des forêts.
Le système taungya était très répandu et avait pour but de favoriser le reboisement. Ce système a été lancé vers le milieu du 19ème siècle en Birmanie pour contrôler les agriculteurs itinérants et produire du bois de teck à grande échelle. Suivant ce système, les paysans établissaient des plantations en même temps que les cultures vivrières sur des parcelles défrichées. Au bout de quelques années pendant lesquelles les agriculteurs avaient désherbé et soigné les jeunes plants comme les autres cultures, lombre des arbres devenait un obstacle à la culture, et les paysans allaient sinstaller dans une autre partie de la forêt où le cycle se répétait. Le système taungya qui sest vite répandu en Inde, en Afrique orientale et ailleurs a été encouragé par les forestiers car cest un moyen relativement économique de planter et de désherber et quil permet lutilisation à des fins multiples de terres forestières.
Toutefois, la culture de plantes vivrières en combinaison avec celle darbres requiert fréquemment plus de travail après la première année que les systèmes traditionnels dagriculture itinérante que le taungya a remplacés. Cest pourquoi les plantations taungya donnent souvent de meilleurs résultats dans les régions caractérisées par le sous-emploi, par un niveau de vie très bas et par linsuffisance de terres cultivables (King, 1968). Dans ces conditions, le système sert à faire économiser les fonds publics destinés à létablissement et à lentretien des plantations tout en donnant temporairement à des paysans sans terre loccasion de trouver un emploi et de récolter leurs propres produits agricoles.
Un des inconvénients du taungya est quil apparaît parfois comme une exploitation des pauvres sans terre (Seth, 1981). Lorsque ce système utilise leur main-doeuvre sans leur garantir laccès à long terme à la terre, il ne contribue guère à stabiliser des régimes de tenure déjà incertains. En fait, la crainte que les travailleurs taungya ne se mobilisent politiquement pour obtenir des droits permanents sur la production agricole empêche quelquefois une plus grande diffusion de ce système (Bail et Umeh, 1982). Léchec de certains projets a parfois été imputé au sabotage commis par des paysans sans terre qui endommageaient les jeunes plants craignant dêtre expulsés quand les arbres auraient poussé.
Parmi toutes les interventions des puissances coloniales en faveur du boisement, cest sans doute lintroduction de nouvelles essences, accompagnée de débouchés internationaux pour leurs produits, qui a eu les plus grandes répercussions. Les services agricoles coloniaux préféraient produire le thé, lhévéas, le cacao, le café et autres essences sur les grandes plantations. Mais les petits exploitants ont vite adopté eux aussi, ces cultures rémunératrices, souvent en dépit du pessimisme des milieux officiels qui ne les croyaient pas capables dintégrer ces cultures dans leurs systèmes de production agricole.
Lintroduction des hévéas a été favorisée par les forces du marché
En Indonésie, les services officiels avaient cru au début quon ne pouvait correctement cultiver lhévéa que sur de grands domaines. Néanmoins, les cultivateurs itinérants ont rapidement incorporé des hévéas dans leur système, en partie à cause des cours élevés du caoutchouc sur le marché, mais aussi parce que les commerçants chinois les encourageaient et leur fournissaient des semences. Des études récentes ont montré que certaines techniques de culture de lhévéa, pratiquées sur de petites parcelles par des cultivateurs itinérants en Indonésie, étaient supérieures aux méthodes de gestion appliquées sur les plantations (Pelzer, 1983). Aujourdhui le gouvernement semploie activement à encourager les petites exploitations.
Dautres activités forestières coloniales lancées au niveau des collectivités pour remédier à la pénurie croissante darbres ont donné des résultats moins intéressants. Au milieu des années 1920, le service colonial des forêts a introduit au Malawi un programme forestier villageois pour la protection des forêts locales. Des forêts collectives ont été établies et placées sous lautorité de chefs de village. Le fait que les collectivités réservaient et protégeaient traditionnellement des zones de brousse laissait espérer que ce plan réussirait, mais il a été accueilli avec suspicion par les villageois qui craignaient de perdre leurs terres.
Au Kénya, le gouvernement avait lancé plusieurs campagnes de conservation des sols et de plantation darbres. Cependant, vers la fin des années 1940, les mesures de conservation des sols étaient très mal vues car elles représentaient un élément essentiel de la politique foncière du gouvernement colonial. La révolte des Mau-Mau a interrompu les plantations darbres et il a fallu des années pour retrouver lancien rythme de plantations.
Certains des problèmes auxquels se sont heurtés dans le passé les efforts qui visaient à promouvoir le boisement, étaient particuliers à la situation coloniale: les populations locales voyaient de mauvais oeil les initiatives étrangères; elles se méfiaient des motivations officielles, et craignaient de nouvelles aliénations de terres. Des méthodes coercitives étaient trop souvent employées pour mettre en oeuvre des projets. De nos jours encore, la promotion du boisement en milieu rural nest jamais une tâche facile ni simple, surtout dans les zones où elle est le plus nécessaire. Les gens abattent des arbres là ou ils vivent, pour des raisons importantes et valables. La nécessité de planter des arbres peut sembler impérieuse au niveau national, mais les individus ne prendront part aux activités que si, de leur point de vue, celles-ci sont à la fois réalisables et intéressantes.
Quand la sylviculture est une option qui semble réalisable et intéressante aux yeux des habitants, il ny a pas toujours lieu dintroduire des pratiques nouvelles. Il arrive que les populations, hommes et femmes, plantent et entretiennent les arbres selon des méthodes qui répondent encore à leurs besoins en dépit des pressions démographiques et économiques. Lattitude la plus utile peut alors consister simplement à affiner le système existant, et encore faut-il que les planificateurs se demandent dabord si des techniques daménagement plus complexes représenteraient réellement une amélioration par rapport aux méthodes utilisées.
On part trop souvent de lidée quune intervention est essentielle. Une évaluation récente dun projet de plantation dans les petites exploitations de la province dIlocos aux Philippines a montré que la non participation des agriculteurs était liée aux défauts de conception du projet; on a critiqué la publicité, la vulgarisation et la commercialisation du programme, qui ne répondaient pas réellement aux besoins des agriculteurs (Hyman, 1983a).
Or, un examen plus attentif a montré que les défauts étaient plus profonds. Le projet visait à produire du bois de feu pour le séchage du tabac, mais la demande réelle de ce bois navait fait lobjet daucune évaluation préalable. En fait, les paysans avaient déjà planté un grand nombre de parcelles boisées sur leurs petites propriétés pour satisfaire ce besoin et hésitaient à modifier des techniques de gestion qui donnaient de bons résultats. Lexistence de ces parcelles boisées, pourtant très productives, était pour ainsi dire passée inaperçue. Elles sont généralement composées de peuplements mélangés où dominent les Gliricidia sepium qui, plantés sur des sols profonds et recépés chaque année, peuvent fournir jusquà 40 mètres cubes de bois par hectare et par an (Wiersum, 1983).
Cet exemple montre que des interventions propres à pallier des pénuries apparentes de bois ou de produits forestiers ne peuvent être entreprises quaprès une étude approfondie du contexte local. Au lieu de supposer dès le début quil faut intervenir ou innover il sera plus utile dévaluer les pratiques de sylviculture existantes afin didentifier les innovations à apporter dans ce contexte rural particulier. Le cadre de cette analyse pourrait sinspirer de celui de la figure 3.1.
Il faut souligner que lintroduction de nouvelles stratégies de culture et de gestion nest quune solution moyen parmi dautres pour faire face à la pénurie des ressources ligneuses. Léventail des solutions possibles va de la non-intervention à lintroduction de pratiques de boisement radicalement nouvelles. Entre ces deux extrêmes on trouve de nombreuses possibilités de concevoir des stratégies propres à accroître lefficacité des systèmes existants de gestion et de production de bois en milieu rural.
Figure 3 Analyse de la nécessité dintroduire des innovations en matière de gestion des arbres