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4. Viabilité des connaissances et des systèmes locaux


4.1 Les forces de l'évolution
4.2 La viabilité des systèmes
4.3 Analyse
Notes de fin de chapitre


Les SLCG, les méthodes de gestion, les structures, et la formation traditionnelle, décrits dans les chapitres précédents, ont presque tous subi des transformations, tantôt importantes, tantôt insignifiantes, à la suite des événements intervenus récemment dans la vie des éleveurs. Dans les pages qui suivent, nous allons examiner tout d'abord les différentes forces qui ont entraîné ces changements. Nous discuterons ensuite de la viabilité actuelle de ces systèmes, en examinant dans quelle mesure ils ont été détruits, modifiés ou adaptés.

4.1 Les forces de l'évolution


4.1.1 La période coloniale
4.1.2 La période post-coloniale


Une série de pressions et d'événements extérieurs sont intervenus et ont modifié l'ensemble des SLCG et des systèmes et structures de l'élevage. Il est difficile d'indiquer avec précision les causes et la chronologie de ces changements, étant donné qu'il s'agit d'une évolution produite par le jeu de plusieurs facteurs agissant les uns sur les autres et exerçant en même temps une pression sur le système. Nous présentons ci-dessous une liste de facteurs ayant influé plus ou moins directement sur la gestion des ressources naturelles par les éleveurs.

4.1.1 La période coloniale

Certains processus et facteurs d'évolution existaient déjà et exerçaient leur influence bien avant l'arrivée du colonialisme: la sécheresse, par exemple, et dans certains cas la sédentarisation. Ce n'est qu'au début de la période coloniale qu'une vaste gamme de politiques, allant de la taxation à la pacification, a été mise en oeuvre, et a eu d'importantes répercussions sur les systèmes d'élevage traditionnels. Les politiques de sédentarisation, de soins vétérinaires et d'émancipation des esclaves avaient pour objet le bien-être des populations, mais elles ont entraîné une augmentation du bétail et une plus grande concentration autour des points d'eau, et donc le surpâturage. En outre, les politiques de ralentissement de l'économie et de quarantaine, officiellement conçues pour éviter les épidémies, ont eu pour résultat d'augmenter le nombre de têtes de bétail sur les parcours, car moins de ventes étaient autorisées. Toutes les nouvelles politiques n'ont cependant pas abouti à un déséquilibre entre les pâturages disponibles et le cheptel. La politique de pacification a même ouvert au pâturage certains territoires qui jusqu'alors étaient inutilisables pour des raisons de sécurité. Néanmoins, ces nouveaux pâturages étaient généralement insuffisants ou mal localisés, pour répondre à un taux de concentration très élevé du bétail (voir en CADRE 4.1).

Une autre politique ayant eu pour résultat d'augmenter le déséquilibre entre le cheptel et les territoires pastoraux est celle qui visait à encourager la mise en culture -surtout sur les exploitations individuelles- et le développement de ranchs intensifs, souvent gérés par les Européens, plutôt que celui du pastoralisme. Souvent, les terres les plus riches ont été incorporées aux fermes et aux ranchs privés; en échange, les peuples pastoraux et ceux qui vivaient de la chasse et de la cueillette ont reçu des "terres tribales" situées dans les régions les plus arides et les moins fertiles. Deux politiques en particulier, la taxation et la nationalisation des terres, ont entraîné l'effondrement du système traditionnel de régulation sociale sur les parcours. Dans le cas de la taxation, le processus de collecte des impôts exigeait que les éleveurs demeurent au même endroit pendant toute une saison, ce qui était contraire à leurs techniques traditionnelles de conduite. Quant à la nationalisation des terres, elle a eu pour résultat de déstructurer complètement l'ensemble du regime foncier. Enfin, certaines mesures visaient délibérément la destruction de coutumes, pratiques et moeurs traditionnelles; elles ont eu pour effet d'affaiblir l'ensemble de la base culturelle (voir en CADRE 4.2).

CADRE 4.1

En règle générale, les politiques coloniales de sédentarisation n'étaient pas coercitives, et appliquaient le plus souvent un système de primes. C'est ainsi qu'au Nigéria, les autorités coloniales britanniques ont encouragé la création de villages sédentaires de Foulani Wodaabe avec, à la tête de chaque village, un chef traditionnel chargé de la collecte des impôts. Pour recruter le plus possible de transhumants Foulani, les chefs construisaient leurs villages au milieu des meilleurs pâturages, d'où le surpâturage des terres en question et une pression excessive sur les ressources en eau. En outre, ces villages attiraient des cultivateurs non Foulani qui augmentaient encore la pression sur les parcours. Les Foulani disent qu'un chef qui accepte la vie sédentaire "est comme un cheval entravé - mais le cheval n'est-il pas symbole de prestige?"1

Les actions vétérinaires avaient déjà commencé vers 1920, mais elles n'ont pris de l'importance qu'au fur et à mesure de la disponibilité des ressources financières et du personnel nécessaire. D'une manière générale, ces activités ont entraîné l'accroissement du cheptel. C'est ainsi qu'au Soudan, le nombre de têtes de bétail a augmenté à la suite de la mise en oeuvre d'un programme, d'abord dans le nord du pays et, après 1947, dans le sud.2 La libération des esclaves, surtout chez les Touaregs et les Foulani de l'Afrique de l'Ouest, a également conduit à une augmentation du cheptel, car les esclaves affranchis sont devenus à leur tour éleveurs.3

C'est au Kenya, où l'administration coloniale a voulu protéger la position concurrentielle des ranchs européens et éviter la propagation des maladies, que le ralentissement de l'économie a été mis en application avec le plus de rigueur. C'est ainsi qu'en 1906 les autorités coloniales interdirent aux Maasai d'acheter ou de vendre du bétail pour permettre aux Européens de vendre le leur à des prix élevés. En outre, les Masaï n'avaient pas le droit d'élever des moutons Mérinos, de peur qu'ils ne volent ceux des Européens.4 Des quarantaines furent en outre imposées aux troupeaux des tribus pour éviter la propagation de maladies, entraînant ainsi une concentration du bétail et une diminution des ventes.5

Il ne faut pas croire cependant que toutes les politiques coloniales ont eu des conséquences négatives. La politique de pacification, empêchant les raids et les guerres entre groupes d'éleveurs, a facilité la mobilité et permis l'accès à des territoires pastoraux qui avaient été très peu utilisés. En supprimant par exemple l'ancien Empire Bornu et les cultivateurs intransigeants des collines, l'administration coloniale du Nigéria a permis aux Foulani Wodaabe d'utiliser librement des pâturages qu'ils avaient jusqu'alors évités.6 Dans l'ensemble, la pacification a eu pour conséquence une augmentation du cheptel, comme cela a été noté parmi les Foulani du nord-ouest du Burkina Faso.7


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