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2. Les connaissances locales et les systèmes de gestion des ressources naturelles


2.1 Connaissances permettant de décrire et de prévoir
Notes de fin de chapitre
2.2 Pratiques de gestion
Notes de fin de chapitre
2.3 Organisation de la gestion
2.4 Analyse
Notes de fin de chapitre


Ce chapitre présente un éventail aussi complet que possible des différents types de SLCG identifiés chez les peuples des régions arides et semi-arides de l'Afrique. La première partie est consacrée aux connaissances descriptives: comment sont utilisées les ressources naturelles, comment sont-elles nommées et classées, et quels sont, d'après les habitants, les rapports entre les différentes ressources.

Dans la deuxième partie, nous verrons de plus près comment ces populations gèrent leurs ressources naturelles au jour le jour, et donc comment se font la récolte, la transformation, le stockage, etc. Nous examinerons aussi l'effet que ces pratiques ont sur les ressources naturelles. Nous parlerons en outre des méthodes traditionnelles de conduite de l'élevage et de gestion des parcours, ainsi que de la gestion des arbres et des buissons, de l'eau, du foin, du fourrage et des autres ressources, y compris la faune et les plantes sauvages.

Dans la dernière partie du chapitre, nous examinerons l'organisation sociale, économique et politique, ainsi que le contrôle des ressources naturelles. Pour terminer, nous présenterons un exposé rapide sur les systèmes et les stratégies de production, les régimes de propriété des ressources naturelles, l'existence ou la fréquence de réserves et de zones protégées, ainsi que les moyens par lesquels on fait respecter ces règlements.

2.1 Connaissances permettant de décrire et de prévoir


2.1.1 Utilisation des ressources naturelles
2.1.2 Connaissances descriptives
2.1.3 Ecologie et biogéographie
2.1.4 Analyse


L'étude des connaissances descriptives d'un groupe, c'est-à-dire de la manière dont les membres d'un groupe décrivent leur milieu physique, permet de mieux comprendre comment ils perçoivent leur milieu, comment ils l'organisent en catégories et quels sont pour eux les éléments importants ou pratiques. De cette façon, nous comprenons mieux dans quelle mesure les habitants pensent exercer un contrôle sur les éléments et quels sont les facteurs à la base de leurs prévisions et de leurs attentes. Dans cette partie du document, nous examinerons rapidement comment sont utilisées les ressources naturelles, comment sont nommés, classés et décrits certains éléments physiques et comment les habitants perçoivent les rapports écologiques.

2.1.1 Utilisation des ressources naturelles

Toutes les ressources naturelles dans les zones d'élevage sont utilisées aussi bien à des fins de production qu'à d'autres fins. L'eau est sans doute l'élément le plus important dans un lieu aride. Elle sert de boisson aux animaux et aux hommes qui l'utilisent aussi pour se laver et se rafraîchir, pour la pêche et pour certaines cérémonies. La terre est utilisée pour la poterie, la fabrication des briques (dans les sociétés agro-pastorales sédentaires ou semi-sédentaires) et l'extraction du fer et du cuivre par des associations artisanales spécialisées. Elle fournit en outre le sel nécessaire au bétail sous forme de pierres à lécher. Les ressources végétales, et dans une certaine mesure la faune sauvage, sont utilisées à des fins bien plus diversifiées.

Les plantes fournissent aliments, combustible, fourrage, bois et fibres pour la fabrication des outils et la construction des maisons et des clôtures, matières premières pour l'artisanat, les matières colorantes, les instruments de musique, les armes, les ustensiles, les médicaments et les autres produits nécessaires à différentes cérémonies. En outre, elles donnent de l'ombre, servent de points de repère pour s'orienter dans l'espace, fournissent sels minéraux et huile, elles permettent d'allumer des feux dont la fumée éloigne les insectes, produisent des poisons, du sucre, des boissons alcooliques et constituent une source d'eau potable. (voir en CADRE 2.1).

L'utilisation des plantes par les populations pastorales a fait l'objet de nombreuses études.1 Nous savons ainsi que la cueillette des plantes est généralisée, du nord du Sahara jusqu'aux régions les plus humides.2 Les populations qui vivent de la chasse et de la cueillette sont tributaires des plantes sauvages comme source permanente d'alimentation plus que ne le sont les populations pastorales.3 Celles-ci s'en servent soit exceptionnellement, en cas de sécheresse ou de famine, soit en temps normal comme aliment d'appoint, sous forme de sauces ou repas légers. Cependant, les autres usages non alimentaires font partie intégrante de leur vie quotidienne. C'est le cas, par exemple, chez les Tonga de la Zambie4 et les Mbeere du Kenya.5

CADRE 2.1

Les exemples suivants ont été tirés des nombreuses études sur l'utilisation des plantes par les éleveurs. Chez les Mossi et les Basi, populations agro-pastorales du sud-est du Burkina Faso, les jeunes garçons coupent le foin pour les veaux; envoyés par leurs pères, ils vont chercher des plantes médicinales et des plantes dont la fumée éloigne les insectes du corral.6 Dans le nord-ouest de l'Ouganda, les Lugbara récoltent une certaine plante dont ils obtiennent du sel.7 Les Tonga de la Zambie récoltent Dactyloctenium aegyptium, Brachiaria spp, Panicum spp, Echinochloa spp, Rottboellia spp, Urochloa spp, et le sorgho naturel qu'ils utilisent comme céréale pendant les périodes de disette. En outre, ils utilisent comme aliments complémentaires des condiments préparés avec des feuilles. Leur alimentation est ainsi enrichie de vitamines, de minéraux, de protéines et de graisses. Certaines plantes sont utilisées comme outils, comme matériaux de construction, comme sources de fibres, de sel, de médicaments, de poisons, etc.8 Pendant la sécheresse de 1972, les Touareg du Niger mangeaient des feuilles et des graines sauvages, et allaient chercher des graines dans les colonies de termites et de fourmis.9 Les Dinka dans le sud du Soudan utilisent les graines des nénuphars dans la préparation de la bière.10

Les Boschiman du Kalahari mangent les noix de mangetti qui contiennent 5 fois plus de calories et 10 fois plus de protéines que la plupart des céréales. Ces noix représentent les deux tiers de la consommation totale de végétaux des Boschiman akung. Pendant de longues périodes de la saison sèche, les Boschiman Gwi n'ont pas accès à l'eau potable; ils en tirent du melon tsama et du rumen des animaux.11 Les Zaghawa du Tchad et du Soudan coupent de nombreuses herbes annuelles pour l'alimentation et pour la production de la bière (D. aegyptium, Echinochloa colona, Panicum laetum, Eragrostis pilosa, Oryza breviligulata). Les graines de Cenchrus biflorus et de Tribulus terrestris ainsi que les feuilles de ce dernier, ne sont utilisées que pendant les famines. Les pasteurs mangent les fruits sauvages cueillis sur place pendant leurs heures de travail. Les plantes fournissent aussi du sucre, de la farine, des noix et des médicaments.12

Bien que chez les populations pastorales, les plantes sauvages soient souvent destinées à l'autoconsommation, dans chaque groupe, un certain nombre de familles se spécialisent dans la récolte et la vente de ces plantes. Ainsi, une famille des Foulani Wodaabe du Niger se spécialise dans la cueillette et la vente des plantes médicinales au début de la saison sèche, lors de leur transhumance vers le Mali, la Côte-d'Ivoire et la Guinée.13

Presque toutes les espèces végétales sont utilisées d'une façon ou d'une autre. C'est pourquoi il est difficile de dire que certaines plantes sont "peu importantes" ou "indésirables"; c'est pourtant ce qu'on essaie de faire dans la plupart des programmes de plantation ou d'enrichissement de la végétation naturelle. Par exemple, 93% des 222 espèces étudiées chez les Tonga de la Zambie avaient une fonction particulière.14 Le nombre de plantes différentes utilisées pour l'alimentation et la médecine est parfois énorme. Ainsi, chez les Pokot du Kenya, 20% des 307 espèces de plantes identifiées par les botanistes sont utilisées dans l'alimentation et 39% dans la préparation de médicaments.15

Les animaux et les insectes sont également importants: comme aliments, comme outils et comme indicateurs des dynamiques écologiques. Cependant, leur consommation alimentaire parmi les éleveurs est souvent accompagnée de tabous qui ne permettent qu'à certains groupes de les tuer ou de les consommer. Ainsi, chez les Turkana certains animaux ne peuvent pas être mangés à cause de pouvoirs surnaturels ou de tabous traditionnels.16 Chez les Zaghawa, tous les membres du groupe mangent les insectes, les sauterelles, les chenilles, les oeufs et le miel; cependant, seuls les enfants non circoncis et les membres de la caste des forgerons peuvent manger les lapins et les petits oiseaux17 (voir 2.2.5 ci-dessous pour plus de détails sur les tabous).

On note moins de diversité dans l'utilisation alimentaire des animaux que dans celle des plantes, mais elle peut cependant varier considérablement d'un groupe à l'autre, même entre groupes voisins. Ainsi, chez les Turkana, sur les 148 espèces présentes 103 espèces d'oiseaux et de mammifères sont utilisées dans l'alimentation; par contre, les Rendille ne consomment que 6 espèces, toutes ongulées.18


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