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2.4 Analyse

Nous avons examiné les connaissances descriptives, les techniques de gestion, et l'organisation de la gestion dans cet ordre pour faciliter l'analyse des systèmes locaux de connaissances et de gestion à ces trois niveaux. Grâce à leurs observations détaillées et à la connaissance intime du milieu physique qui les entoure, les éleveurs ont développé des techniques pour la gestion des ressources naturelles (la récolte, l'amélioration, la protection, la régénération, etc.). Les normes et les règles enracinées dans les "traditions" sociales assurent la coordination des activités des membres, et partant, le bon fonctionnement du système. Les lois qui intéressent principalement les ressources naturelles sont celles qui régissent les droits de propriété, le contrôle des systèmes de pâturage, la protection et la mise en réserve de ressources importantes. Certains chercheurs prétendent que l'éleveur ne s'intéresse ni à la gestion ni à l'aménagement des parcours; qu'il exploite les parcours en prédateur mais arrive à maintenir un certain équilibre en évitant les pressions excessives sur les ressources et en pratiquant la mobilité et la dispersion du bétail.233 Nous avons montré dans ce chapitre que l'éleveur est en réalité bien plus actif dans la gestion de son milieu, la mobilité et la dispersion n'étant que deux exemples de ses nombreuses stratégies, délibérées plutôt qu'involontaires, contrairement à ce que ces chercheurs supposaient.

Dans chaque groupe, les techniques et les règles appliquées dépendent aussi bien de considérations socio-politiques que des exigences écologiques. Les objectifs visés sont d'assurer la survie du groupe et de maintenir la productivité de son système naturel aussi longtemps que possible. Souvent, les activités se sont développées et adaptées de façon à assurer une production et productivité soutenue des ressources naturelles. La remarque suivante s'adressait à l'Inde, mais peut aussi bien s'appliquer aux éleveurs africains: "... chaque ressource particulière dans une région donnée a été utilisée pendant des générations par un petit groupe homogène qui a vécu dans la conviction que ces mêmes ressources allaient suffire aux générations suivantes. Ces conditions étaient particulièrement favorables à l'évolution d'une base culturelle pouvant assurer l'utilisation des ressources naturelles à long terme de manière à en préserver la productivité."234

Peut on parler d'efforts délibérément entrepris pour assurer la "conservation" des ressources naturelles? L'éleveur est-il "conservationiste" de par sa nature même? Les opinions diffèrent et ne sont souvent pas très claires. Cela est sans doute dû au fait que nous n'avons pas de définition précise du mot "conservation". Pour certains, ce mot évoque le désir qu'éprouve l'expert européen en environnement de conserver les ressources à l'état "naturel" ou original. La plupart de ces auteurs prétendent que l'éleveur ne peut pas être un "conservationiste" car ses activités ne sont pas des efforts délibérés visant à protéger les ressources et en empêcher l'utilisation. Sur une longue période, il se peut que leurs activités aient comme résultat une bonne gestion et permettent donc la pérénité du système, mais cela ne représente pas à leurs yeux un effort de "conservation".235

Pour d'autres, il s'agit simplement de la protection des ressources sur une base temporaire pour permettre leur mise en valeur au moment où elles sont le plus nécessaires. Ces chercheurs parlent par exemple de la necessité de "conserver" le fourrage pendant la saison des pluies pour en disposer pendant la saison sèche. Ou encore, ils préfèrent les puits de plus grand diamètre car l'effort nécessaire pour puiser l'eau réduit la charge sur les pâturage environnants et permet de conserver les ressources pendant une plus grande partie de la saison sèche.236 D'autres encore prétendent que les faibles besoins nutritifs de l'éleveur, ainsi que ses simples exigences matérielles, ont pour conséquence une stratégie de production qui "conserve" le milieu naturel.237 Enfin, dans certains documents, ce que les auteurs entendent par conservation n'est pas clair du tout.238

L'analyse de l'organisation de la gestion et des moyens de faire respecter les lois nous porte à conclure tout naturellement que la structure sociale définit la base de pouvoir sur laquelle sont fondées les mesures d'application des lois. Comme on l'a noté pour les Masaï, la viabilité de l'organisation dépend d'un système d'entraide, d'un réseau d'information, de mécanismes de pouvoir, du système de prime et de pénalités, de la coopération qui vise à éliminer la concurrence et à conserver l'énergie.239 Elle définit en outre la manière dont les techniques et les règles de gestion des ressources réagissent aux forces externes et la manière dont la société s'adapte aux nouvelles techniques et stratégies de gestion proposées par les agents de développement. Il ne faut donc pas étudier les technologies pastorales comme si elles étaient indépendantes de leur cadre social.

Notes de fin de chapitre

1. Delgado 1979, p.i.
2. Wilson 1986, p.25.
3. Brandstrom et al 1979, p.26.
4. Spencer 1965, p.291.
5. Swift 1982, p.165.
6. Hjort 1976a, p.45.
7. Quam 1978, p.50.
8. Clyburn 1978, p.108.
9. Quam 1978, p.55; Schlee 1981, p.9.
10. Western & Finch 1986, p.88.
11. Scott & Gormley 1980, p.99.
12. Spencer 1965, pp. 11 & 292.
13. Jacobs 1980, p. 278.
14. Gallais 1972, pp.353-356.
15. Swift 1982, p.162; Barrow 1988, p.6.
16. Scott & Gormley 1980, p.98.
17. Swift 1982, p.162.
18. Gallais 1972, pp.355-356.
19. Stenning 1959, p.102.
20. Niamir 1982; McDermott & Ngor 1983.
21. Western 1982, p. 198.
22. Stenning 1959, p.102.
23. Scott & Gormley 1980, p.101.
24. Barrow 1988, p.3.
25. Hjort 1976b, p.72.
26. Gallais 1972, pp.355-356.
27. de Carvalho 1974, p.205.
28. Gluckman 1951, p.13; Scoones 1987, p. 19.
29. Spencer 1965, p.28.
30. Brandstrom et al 1979, p. 16.
31. Bredemeier 1978, p.90.
32. Maliki et al 1984, p.269.
33. Winter 1984, pp. 569-575.
34. Hjort 1976b, p.77.
35. Scott & Gormley 1980, p.101.
36. Sweet 1965b, p.1147.
37. Benoit 1979, p.157.
38. Clauson 1953, p.1.
39. Ciriacy-wintrup & Bishop 1975, pp.713-727; Runge 1986, p.626.
40. Noronha & Lethem 1983, p.12.
41. Barral & Benoit 1977, p.103.
42. FAO 1972, p.21.
43. Novikoff 1976, p.57.
44. Ahmed 1976, p.58.
45. Gilg 1963, p.502.
46. Hjort 1976a, p.49.
47. Gluckman 1969, pp.252-265; Gluckman 1951, p.62.
48. Allan et al 1948, p.63.
49. Sweet 1965a, p.134.
50. Talbot 1961, p.302.
51. Holleman 1951, p.370.
52. McDermott & Ngor 1983, p.10; Ahmed 1976, p.58.
53. McCabe 1983, p.115.
54. Evans-Pritchard 1940, p.275.
55. Evans-Pritchard 1940a, p.204.
56. Artz et al 1986.
57. Spencer 1965, p.5.
58. Spencer 1965, p.283.
59. Bourgeot 1975, p.267; Swift 1975, p.448.
60. Lewis 1961, p.47; Putman 1984, p.168.
61. Tubiana & Tubiana 1977, p.46.
62. Baxter & Butt 1953, p.117.
63. Noronha & Lethem 1983, p.14.
64. Middleton & Kershaw 1972, pp.25 & 51.
65. Brokensha & Castro 1987, p.14.
66. FAO 1972, p.14.
67. Devitt 1982, p.19.
68. Allan 1965, p.296.
69. Barrow 1988, p.3.
70. Jacobs 1980, p. 284.
71. Artz 1984, p.11.
72. Noronha & Lethem 1983, p.14.
73. Verdier 1965, p.345.
74. Devitt 1982, p.18.
75. Schapera 1940, pp. 59 & 78.
76. Barrow 1988, p.4.
77. de Carvalho 1974, pp. 212-213.
78. Middleton & Kershaw 1972, p.77-78.
79. Frechou 1965, p.468.
80. Frantz 1975, p.343.
81. Morton 1988, p.6.
82. Cashdan 1984, p.453.
83. Middleton & Kershaw 1972, p.49.
84. Barnes 1951,p.214.
85. Colson 1951, p.109.
86. Noronha & Lethem 1983, p.14.
87. Marchal 1983, pp. 295 & 539.
88. Scott 1984, p.60.
89. Horowitz & Badi 1981, p.19.
90. Swift 1988a, p.8.
91. Barral 1967, p.28.
92. Artz 1984, p.15.
93. Artz et al 1986.
94. Weinstock & Vergara 1987, p.312.
95. Holleman 1951, p.370.
96. Barrow 1988, p.4; Storas 1987, p.5.
97. Gallais 1975, p.71.
98. Holleman 1951, p.367.
99. Artz et al 1986.
100. Gallais 1975, p.71.
101. Gallais 1975, p.72.
102. Gilg 1963, p.503.
103. Spencer 1965, p.283.
104. Diop 1987, p.76.
105. Gulliver 1970, p.37.
106. Helland 1982, p.249.
107. Boutrais 1974, p.162.
108. Jacobs 1980, p. 284.
109. Tubiana & Tubiana 1977, p.46.
110. Helland 1982, p.250.
111. Helland 1978, p.80.
112. Gulliver 1970, p.37.
113. Barral 1967, p.28.
114. Sutter 1978, p.29.
115. Spencer 1965, p.6.
116. McCabe 1983, p.115.
117. Barrow 1988, p.4.
118. McCabe 1983, p.116.
119. Lewis 1961, p.169; Putman 1984, pp.34-53.
120. Toulmin 1983, pp.10-12.
121. Barral 1968, p.39.
122. Spencer 1965, p.283.
123. Brokensha & Riley 1988.
124. Tubiana 1969, p.61.
125. Tubiana & Tubiana 1977, p.18.
126. Gallais 1975, p.51.
127. Colson 1951, p.120.
128. Bohannan 1954, p.41.
129. Fortes 1940, p.258.
130. Jacobs 1980, p. 284.
131. McDermott & Ngor 1983, p.10.
132. Middleton & Kershaw 1972, p.78.
133. Gallais 1975, p.51.
134. Biesele 1971, p.65.
135. Gilles 1988, pp. 1161-1162.
136. Sandford 1984, p.6.
137. Noronha & Lethem 1983, p.16.
138. Barrow 1988, p.4.
139. Behnke 1985, p.13.
140. McDermott & Ngor 1983, p.10.
141. Hervouet 1977, p.72.
142. Bernus 1981, p.25.
143. Morton 1988, p.3.
144. Allan et al 1948, pp. 61-63.
145. Goody 1956, p.37.
146. Ahmed 1976, p.58.
147. Spencer 1965, p.5.
148. Cashdan 1984, p.452.
149. FAO 1972, p.14.
150. McCabe 1983, p.115.
151. Swift 1975, p.448.
152. Jacobs 1980, p. 284.
153. McDermott & Ngor 1983, p.10.
154. Perevolotsky 1987, p.156.
155. Biesele 1971, p.63.
156. Thomas 1959 cité dans Allan 1965, p.296.
157. Talbot 1961, p.302.
158. Swift 1988a, p.8.
159. Lewis 1961, p.53.
160. Helland 1982, p.253.
161. Tubiana & Tubiana 1977, p.46.
162. Colson 1951, p.120.
163. Gallais 1967.
164. Seif el Din 1986, p.3.
165. Allan et al 1948, p.94.
166. Schapera 1943, p.132 cité dans Sandford 1984.
167. Middleton & Kershaw 1972, p.50.
168. Coldham 1978, p.93.
169. Brandstrom et al 1979, p.35.
170. Barrow 1988, p.3.
171. Swift 1975, p.448.
172. Little 1984, p.206.
173. Artz et al 1986.
174. Cerulli 1959 cité dans Swift 1977, p.284.
175. Barrow 1988, p.2.
176. Schneider 1959 cité dans Ware 1977, p. 187.
177. Homewood & Hurst 1986, p.13.
178. Little & Brokensha 1987, p.199.
179. Middleton & Kershaw 1972, p.52.
180. Odell 1982, p.7; Devitt 1971, p.54.
181. Devitt 1982, pp. 15-16.
182. Lusigi 1984, p.345.
183. Scott & Gormley 1980, p.101.
184. Gallais 1972, p.358.
185. Ware 1977, p.186.
186. Artz et al 1986.
187. Schlee 1987, p.3.
188. Wilson 1986, p.34.
189. Hiernaux & Diarra 1984, p.204.
190. Marie 1977, p.128.
191. Little & Brokensha 1987, p.198.
192. Western & Dunne 1979, p.93.
193. Little & Brokensha 1987, p.198.
194. Bourgeot 1981, p.167.
195. Brokensha & Castro 1987, p.21.
196. Cerulli 1959 cité dans Swift 1977, p.284.
197. Schlee 1987, p.7.
198. Brokensha & Riley 1980a, p.126.
199. Silberfein 1984, p.104.
200. Marchal 1983, p.91.
201. Gulliver 1970, p.10.
202. Allan et al 1948, p.94.
203. Middleton & Kershaw 1972, p.52.
204. Elias 1951, p.96.
205. Wilson 1951, p.288.
206. Legesse 1984, p.482.
207. Goody 1956, p.93.
208. Brokensha & Castro 1987, p.19.
209. Little & Brokensha 1987, p.204.
210. Fortes 1945, p.80.
211. Colson 1951, p.159.
212. Storas 1987, p.6.
213. Benoit 1979, p.60.
214. Fortes & Evans-Pritchard 1940, pp.14 & 20.
215. Draz 1978, p.101.
216. Benoit 1979, p.24.
217. Jacobs 1980, p.287.
218. Clyburn 1978, p.109; Benoit 1979, p.60.
219. Brokensha & Castro 1987, p.21.
220. Cashdan 1984, p.454.
221. Spencer 1965, p.193.
222. Cashdan 1984, p.455.
223. Storas 1987, pp.3-4.
224. Artz et al 1986.
225. Southwold 1964; Hjort & Ostberg 1978, p.30.
226. Little & Brokensha 1987, p.200.
227. Artz et al 1986.
228. Cashdan 1984, p.456.
229. Goody 1956, p.93.
230. Lewis 1961, p.30.
231. Storas 1987, p.14.
232. Jacobs 1980, p. 284.
233. Bernus 1979, p.125.
234. Gadgil 1985, p.135.
235. Bernus 1979, p.125; Little & Brokensha 1987, p.204; Barrow 1988, p.1.
236. Bourgeot 1981, p.171; McCabe 1983, p.116.
237. Toupet 1975, p.461.
238. Cassanelli 1984, p.484; de Souza & de Leeuw 1984 cité dans Little Brokensha 1987, p.191.
239. Jacobs 1980, p. 288.


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