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2.2.3 La conduite des arbres et des arbustes

Nous savons à quelles fins les éleveurs utilisent les arbres et les arbustes, mais nous ne disposons que de très peu de détails sur leurs techniques de récolte, de régénération et de protection. On croit communément que les éleveurs sont négligents, ou qu'ils détruisent les arbres et les arbustes délibérément. Pourtant, des études récentes -et d'autres moins récentes-indiquent le contraire.

2.2.3.1 La "récolte" des arbres et des arbustes. Les éleveurs utilisent les espèces ligneuses à des fins multiples: pâture aérienne, bois de feu, matériaux de construction pour abris et clôtures, et à des fins "secondaires" telles que l'alimentation, les produits médicinaux, l'ombrage, etc. On a montré que dans certains cas, l'élagage pour obtenir du fourrage peut entrainer la destruction des arbres ou arbustes; mais il existe beaucoup d'autres exemples où des règles formelles et informelles sont adoptées pour les protéger contre les abus (voir en CADRE 2.28).

Pour obtenir du bois de feu ou de construction, l'arbre ou arbuste est généralement abattu. En fait, les éleveurs préfèrent normalement ramasser les branches mortes et sèches pour leur bois de feu (sauf en période de pénurie), et abattre des arbres pour les poteaux de construction (voir en CADRE 2.29). Il semble donc que la coupe des arbres destinés à ces usages soit bien plus destructrice que l'élagage à des fins fourragères. Cependant, dans les périodes de pénurie, la nécessité de pourvoir aux besoins en bois et en fourrage devient primordiale et l'emporte sur toutes les connaissances et les considérations relatives à la conservation. Ce comportement a été notamment remarqué chez les Mbeere du Kenya.201

CADRE 2.29

Chez les Pokot et les Turkana, seules les branches mortes et sèches sont ramassées pour le bois de feu. Les arbres jouent un rôle important dans leur culture: ainsi, les personnes portent des noms d'arbres, les arbres font partie de presque tous les rites, et les assemblées se tiennent sous les arbres; c'est pourquoi ils ne les abattent pas volontiers.197 A Gopeshwar (dans la région himalayenne de Uttar Pradesh, en Inde), un seul membre de chaque ménage est autorisé à ramasser le bois de feu un jour par semaine afin de protéger les réserves communes198; mais nous n'avons trouvé aucune trace d'un système aussi formel parmi les éleveurs africains.

Chez les Gabra, la tradition ("aada") interdit l'usage comme bois de feu de Salvadora persica, pourtant utilisée à d'autres fins; selon cette tradition, il est également interdit de couper un arbre vivant pour l'utiliser comme combustible. Les Gabra sont économes dans leur utilisation du bois de feu; ils ne laissent jamais un feu allumé sans raison et conservent les morceaux de bois à moitié brûlés. Le bois provenant d'arbres vivants est le seul utilisé pour la construction d'habitations et de clôtures; certains bâtiments ne peuvent être construits qu'avec une essence particulière; le bois destiné à la construction des maisons ne peut être coupé que pendant certaines périodes de l'année associées à des rites particuliers199; on ne sait cependant pas si ces périodes correspondent ou non aux phases phénologiques des arbres.

Chez les Turkana du sud, dans le nord du Kenya, la consommation de bois de feu est estimée à 1,14 kg par habitant par jour, sous forme de bois mort. Cependant, ils construisent des abris et des clôtures chaque fois qu'ils changent de camp et utilisent pour cela 2,76 kg de bois par habitant par jour. Pour la construction, ils utilisent du bois vivant, mais il s'agit le plus souvent d'arbres jeunes et d'essences abondantes; ils ne font parfois qu'émonder, mais il arrive aussi qu'ils abattent des arbres entiers. Cette région n'a pas beaucoup d'habitants, ce qui permet encore aux éleveurs d'adopter comme principale stratégie la dispersion et les changements fréquents de camps. Ainsi, l'utilisation de bois de feu et de bois de construction est localisée et de courte durée, avec de longues périodes de repousse à chaque endroit. Les approvisionnements régionaux en bois ne semblent pas en avoir souffert.200

Les documents que nous avons pu consulter fournissent très peu de renseignements sur les méthodes de récolte ou collecte d'autres produits des arbres et des arbustes. Il arrive que ces techniques causent des dégâts aux végétaux. Par exemple, les Foulani du nord du Sénégal utilisent souvent le feu pour stimuler la production de gomme arabique et en faciliter la récolte.202 Dans d'autres cas, les techniques de récolte ne semblent avoir aucun effet sur la communauté végétale. Citons par exemple la récolte des fruits de l'arbre à beurre (Butyrospermum parkii) par les femmes du village de Basomé au Burkina Faso. En moyenne, chaque femme récolte 130 kg de fruits de karité par an; il n'existe aucun contrôle, officiel ou autre, sur la récolte des fruits, bien que le territoire du village ait de vagues limites. On estime, cependant, que 25 à 50 pour cent des fruits ne sont pas cueillis parce qu'ils sont inaccessibles, sous des arbustes épineux ou dans des crevasses, ou bien invisibles sous les débris. Il est donc peu probable que la récolte des fruits puisse nuire à la régénération des plantes.203

2.2.3.2 La régénération des arbres et des arbustes. La régénération des arbres et des arbustes à partir de semences ou par des coupes de régénération n'est mentionnée que très rarement dans les études sur les éleveurs. Le plus souvent, quand ces pratiques sont mentionnées, c'est pour noter que les éleveurs ne les ont pas adoptées. Lorsqu'elles existent, il peut s'agir de techniques passives de protection des jeunes plants, mais aussi de techniques actives telles que la germination et la propagation (voir en CADRE 2.30).

CADRE 2.30

Certains groupes, tels que les Turkana, ne semblent voir aucun rapport entre la plantation d'arbres et leur utilisation. Habituellement, ils ne plantent pas d'arbres et ne protègent même pas les jeunes plants.204 Il est possible, cependant, que cette conclusion soit liée à la technique de l'enquêteur lors des interviews. Les déplacements fréquents des éleveurs ont pour conséquence un taux de germination plus élevé sur les emplacements des camps, grâce à la scarification des graines par leur passage à travers le système digestif du bétail et à la présence d'engrais biologiques en abondance205; arrivés à maturité ces arbres sont protégés par les occupants successifs du camp qui les apprécient pour leur ombre et parce qu'ils servent de support central pour leurs huttes. Beaucoup de groupes, surtout parmi les populations agro-pastorales, protègent les jeunes plants issus d'une germination spontanée dans leurs champs; ainsi, les populations de l'Afrique de l'Ouest, et notamment les habitants du nord du Burkina Faso, protègent souvent Acacia albida,206 et les Mbeere du Kenya protègent Melia volkensii.207 Cependant, ce genre de technique passive de régénération disparaît rapidement dès que les ressources naturelles se rarifient.

La plupart des groupes connaissent très bien les conditions nécessaires à la germination des différentes essences et, si nécessaire, ils savent comment faire germer les semences.208 Mais nous n'avons trouvé aucune mention d'éleveurs pratiquant la régénération des arbres et des arbustes à partir des semences. On a cependant noté des cas de propagation à l'aide de boutures chez les Cabra et les Boran du nord du Kenya: ces éleveurs obtiennent des haies vives avec un taux de survie de 50 pour cent, en plaçant du fumier frais dans les trous avec les boutures d'arbres ou d'arbustes.209 On a également noté chez les Lozi du Zimbawe le repiquage de jeunes plants germés spontanément dans la brousse environnante sur les tombes des rois et autres personnes de haut rang (bosquets sacrés).210

2.2.3.3 La protection des arbres et des arbustes. Chez les éleveurs, la protection spécifique des arbres et des arbustes, peut revêtir deux formes: l'interdiction ou la restriction de l'utilisation de certaines espèces considérées particulièrement précieuses; la protection de tous les arbres et arbustes se trouvant dans des bosquets sacrés. En Afrique de l'ouest, plus de 40 essences d'arbres sont préservées sur les exploitations agricoles (avec une densité de moins de 40 arbres par hectare), aussi bien par des populations agro-pastorales que par des cultivateurs. On trouve quatre espèces principales: le baobab (Adansonia digitata), le karité, Parkia biglobosa, et Acacia albida.211 En Afrique de l'est, les Gabra et les Borana protègent les arbres des bosquets sacrés, et interdisent la coupe des spécimens mûrs d'essences considérées précieuses, telles que Acacia tortilis.212 Les Turkana protègent les arbres importants, comme par exemple A. tortilis, Hyphaena coriaca, Cordia sinensis, Ziziphus mauritania, Dobera glabra, et A. albida.213 Dans tous les cas connus, les arbres, les arbustes et autres plantes se trouvant dans les bosquets sacrés sont protégés et aucune récolte n'est permise (voir 2.3.3.). Cependant, chez les Kikuyu au sud du Mont Kenya, il est permis de prélever des boutures des arbres sacrés pour propager l'essence.214

Il ne faut pas confondre la protection des arbres et des arbustes par les peuples pasteurs avec l'éthique de "conservation" des spécialistes de l'environnement du monde occidental.

Les éleveurs ne s'intéressent pas à la "phase culminante" de la succession végétale, mais veulent uniquement protéger les ressources pour les utiliser à l'avenir et maintenir une productivité maximale sur une longue période.

2.2.4 La production de foin et de fourrage

Les cultures fourragères, destinées uniquement et spécifiquement au fourrage, ne se pratiquent pas parmi les pasteurs. Les résidus de nombreuses autres récoltes sont souvent utilisés comme aliments, mais ils ne nous intéressent pas ici. Deux grands obstacles s'opposent à la culture de plantes fourragères: 1) il est difficile de trouver dans les zones arides des espèces appropriées ayant un rendement suffisant pour alimenter le troupeau entier ou une partie du troupeau pour que l'effort soit justifiable en terme de rentabilité; et 2) le travail doit se faire pendant la saison des pluies, période marquée généralement par une pénurie de main-d'oeuvre.215 Les éleveurs estiment par conséquent que le fourrage disponible sur les parcours représente dans l'ensemble, malgré la faible qualité de biomasse produite pendant la saison sèche, une meilleure solution que les cultures fourragères.

Par ailleurs, les exemples de ramassage de foin et de feuilles coupées ne manquent pas; les éleveurs coupent les plantes herbacées sur pied ainsi que les fruits et les feuilles des arbres et des arbustes. Mais il s'agit là d'activités de petite envergure, étant donné que la pénurie de main-d'oeuvre et la densité relativement faible des plantes obligent les collecteurs à couvrir une région assez vaste pour obtenir une récolte à peine suffisante.. Généralement, la récolte suffit pour alimenter les veaux qui restent au camp principal, les boeufs de trait, certaines vaches, les chevaux et les animaux destinés à l'engraissement et à l'abattage. On coupe le foin soit à la fin de la saison des pluies, soit n'importe quand au cours de la saison sèche. Certains groupes ramassent le fourrage tous les jours en petites quantités consommées immédiatement. D'autres le ramassent en grandes quantités, stockées et utilisées à une date ultérieure. Le plus souvent, le foin est coupé sur des parcours communautaires. Certains groupes réservent des territoires à l'usage individuel ou collectif et le foin y est coupé à des périodes fixes de l'année (voir en CADRE 2.31).

Etant donné que les quantités de foin coupées ne sont généralement pas importantes, l'effet de ces pratiques sur les parcours est vraisemblablement négligeable, surtout si on le compare aux effets du pâturage. Cependant, à mesure que les ressources viennent à manquer, il est probable que les éleveurs auront davantage recours à la fenaison et clôtureront les parcours collectifs. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit au Kenya, et cette tendance s'affirme lentement au Soudan, au Nigéria et en Somalie.

2.2.5 Aménagement/gestion des ressources hydriques

Dans le monde entier, la disponibilité en eau pour la consommation humaine et celle des troupeaux suscite constamment des inquiétudes chez les éleveurs. En général, les éleveurs africains utilisent des mares naturelles pendant la saison des pluies, passant ensuite aux puits peu profonds à mesure que les mares se dessèchent, et aux puits profonds permanents vers la fin de la saison sèche. La gestion des ressources en eau, qu'il s'agisse d'eau souterraine ou d'eau de surface, comprend: l'utilisation et le creusement des mares naturelles, la construction de barrages, le forage de puits, l'exploitation des sources naturelles, la consommation au moment opportun de plantes riches en eau, et le développement des installations de stokage de l'eau. Ce sont là, bien souvent, les premiers travaux d'aménagement que les éleveurs entreprennent sur les parcours.

La distribution des points d'eau et le rythme d'approvisionnement ont un impact direct sur les conditions et la productivité de la végétation des parcours. Dans diverses régions d'Afrique, de vastes parcours sont très peu utilisés faute d'eau, tandis que les zones autour des points d'eau sont souvent surpâturées. Nous n'avons trouvé aucun exemple d'un système d'élevage imposant de manière formelle une distance minimale entre les points d'eau (notamment lorsqu'il s'agit de creuser de nouveaux puits). Cependant, chez les Somali, chaque clan ou famille élargie s'efforce de distribuer les puits qui lui appartiennent sur l'intégralité du parcours, afin de couvrir une aire aussi vaste et diversifiée que possible.229

CADRE 2.31

Les éleveurs ne récoltent habituellement le foin et les feuilles qu'en petites quantités pour alimenter certains animaux, notamment les vaches qui viennent de mettre bas, les boeufs de trait et les veaux. C'est ce que font par exemple les Foulani du Nigéria216 et les Foulani Wodaabe.217 Chez les populations agropastorales, comme par exemple chez les habitants du sud-est du Burkina Faso, les enfants sont souvent chargés de ramasser le foin pour les veaux.218 Les villageois Zaghawa coupent parfois du foin qu'ils stockent dans des arbres.219 Dans le nord du Nigéria, les Hausa coupent le foin dans les petits marais et les dépressions pendant la saison des pluies pour alimenter les animaux attachés.220 Les Somali cueillent les fruits d'un arbre (Dobera spp.) pour nourrir à la main certains animaux particuliers.221

Les fruits et les feuilles des arbres et des arbustes ont une grande valeur nutritionnelle aux yeux des éleveurs, et ils ne sont souvent ramassés que pour les animaux destinés à l'abattage. Ainsi, les femmes Toucouleur de la région de Bakel récoltent les fruits de Pterocarpus lucens pour les béliers réservés pour la fête de Tabaski.222 Les femmes Foulani Macina engraissent les "njarniri", c'est-à-dire les animaux mâles destinés à l'abattage, en les attachant individuellement à des poteaux et en leur fournissant une alimentation complémentaire contenant des feuilles de Ipomea spp, Khaya senegalensis, P. lucens et de neuf autres essences, additionnées de sel, de résidus agricoles et de produits secondaires.223

Les éleveurs d'Afrique du nord coupent plus de foin que ceux des autres régions africaines. Par exemple, les éleveurs Jeffara du sud de la Tunisie (au bord du Sahara) récoltent le foin (en plus grandes quantités en période de sécheresse que pendant les années normales) dans des pâturages spécialement choisis ("khortan") à l'intention des ovins et des caprins.224 Dans la même région, les habitants récoltent au printemps les plantes herbacées fourragères pour compléter le régime alimentaire des ovins et des caprins à la fin de l'été.225 Depuis peu, le foin et les feuilles sont parfois récoltés sur des parcours privés clôturés. Certaines populations agro-pastorales Foulani, vivant au bord de la région du delta du Niger au Mali, créent des enclos privés sur des herbages de "bourgou" qu'ils coupent à intervales réguliers pour alimenter les boeufs de trait et autres animaux particuliers.226 Quelques éleveurs sédentaires Baggara du sud de Darfur créent de petits enclos privés (ce qui est interdit par la loi) sur les parcours, où ils récoltent le fourrage pour certains animaux, comme les vaches allaitantes, les ânes et les chevaux. D'habitude, la famille élargie dispose d'un droit de fenaison.227 Chez les Somali de la région de Bay, on a noté un autre système: les éleveurs qui n'ont que de petits troupeaux nourrissent quelques-uns de leurs animaux avec une "mauvaise herbe" qui pousse dans les champs de culture et dont le nom scientifique n'est pas connu; en fauchant cette herbe matin et soir, un adulte peut en obtenir une quantité suffisante pour nourrir quatre animaux adultes.228

Le rythme d'utilisation des points d'eau est fonction de la saison et des besoins de chaque type de troupeau. Certaines techniques d'abreuvement du bétail n'ont aucune incidence sur les ressources des parcours (par exemple, les Wodaabe abreuvent toujours les veaux d'abord,230 et les Zaghawa ne permettent pas aux animaux malades de s'approcher des puits).231 D'autres techniques peuvent cependant avoir un effet positif sur les parcours. Par exemple, pendant la saison sèche, les Zaghawa abreuvent les chameaux une fois par semaine, les moutons tous les trois jours et les bovins un jour sur deux.232 Par rapport à l'abreuvement quotidien, ce système présente l'avantage d'augmenter la surface de parcours utilisable et de réduire le surpâturage autour des points d'eau. Les Masaï n'abreuvent les bovins qu'un jour sur deux pendant la saison des pluies pour les habituer à ce rythme qui devient nécessaire pendant la saison sèche.233 Ce système permet d'augmenter la mobilité et la dispersion pendant la saison des pluies, ce qui est généralement bénéfique à la végétation des parcours.

2.2.5.1 L'aménagement des mares naturelles. L'eau qui se déverse dans des dépressions plus ou moins larges peut former des mares qui varient par leurs dimensions, leurs caractéristiques d'envasement, le degré d'imperméabilité du fond, la qualité de l'eau, le couvert végétal ligneux, qui influe sur l'évaporation de l'eau, et les caractéristiques du bassin de captage des eaux, qui ont un effet sur les taux de ruissellement et d'écoulement. Sauf dans le cas de dépressions très vastes, telles que le Sudd et certaines parties du lac Tchad, et de certains fleuves qui se dessèchent peu à peu pour former une chaîne de mares, la plupart des mares naturelles dans les zones arides et semi-arides ne sont pas permanentes. Cependant, quelques groupes d'éleveurs augmentent la capacité des mares en creusant la vase. Ainsi, en Ethiopie, les Borana enlèvent la vase et entourent l'étang d'une haie d'épines pour en protéger les bords.234 Les Dinka de Kongor creusent des mares naturelles dans le lit des fleuves, les entourent de haies et couvrent les plus petites avec des nattes de jonc.235

La qualité des mares naturelles baisse souvent rapidement vers la fin de leur cycle, notamment lorsque elles ont été piétinées par les troupeaux. Il arrive qu'un groupe réserve à la consommation humaine quelques petites mares pas très éloignées; c'est ce que font les Foulani du nord du Sénégal.236 Les éleveurs connaissent en outre des techniques pour purifier l'eau. Par exemple, les Touaregs creusent des petits trous dans les mares naturelles et y introduisent de la terre provenant des colonies de termites pour précipiter les impuretés.237 Les Foulani du Sénégal du nord ajoutent à l'eau des étangs destinés à la consommation humaine un mélange d'écorce de Boscia senegalensis, de terre provenant d'une colonie de termites, de lait caillé acidifié et de sel.238

2.2.5.2 Techniques de récupération de l'eau. On a observé que certains groupes d'éleveurs construisent des petits barrages. Les "hafirs", petits barrages en pierre, sont fréquents dans le nord du Soudan, en Somalie et parmi les Zaghawa du Tchad.239 Malheureusement, on ne sait pas grand chose sur leur gestion (organisation du travail de construction et d'administration, conception, choix de l'emplacement, etc). Le recours au captage des eaux superficielles semble plus fréquent en Afrique du nord qu'au sud du Sahara. En Tunisie, par exemple, les habitants utilisent de nombreux systèmes divers de récupération de l'eau pour irriguer les cultures et les plantes fourragères, pour reconstituer les nappes souterraines et pour créer des mares de réserve et des réservoirs.240 Par tradition, les Bédouins de la péninsule arabe construisaient des barrages en pierre, en forme de fer à cheval et pas très élevés, de façon à retenir l'eau au maximum tout en réduisant au minimum l'évaporation et la turbidité.241 Au Pakistan existait un système d'irrigation des cultures comprenant une série de barrages peu élevés construits en zig-zag. Des barrages citernes en maçonnerie ont été construits en l'an 800 sur la route qui mène de la Mecque à Bagdad à l'intention des pélerins, mais il serait économiquement impossible de reproduire ce système de nos jours.242

2.2.5.3 La gestion des puits. Les types de puits varient en fonction de la profondeur de la nappe phréatique et des couches géologiques. Les puits peu profonds sont creusés dans le lit sableux d'un fleuve; à mesure que la saison sèche avance, il faut augmenter la profondeur du puits. Chaque année, l'eau du fleuve détruit ces puits, et les habitants doivent les creuser à nouveau dès le début de la saison sèche. Les connaissances relatives au choix de l'emplacement des puits (examinées section 2.1.2), permettent de s'assurer que l'eau souterraine est bonne et abondante. Ainsi, les Turkana ne creusent des puits que dans les régions où la ligne de plus grande pente contient un segment sableux aquifère; ils classent les lignes de plus grande pente selon leur longueur et celle des segments sableux.246 Les Boran du Kenya creusent généralement des puits à côté d'un arbre aux racines profondes, sans abîmer l'arbre. Ainsi les racines de l'arbre sont un élément stabilisateur pour les parois du puits, l'arbre est une source d'ombre pour les travailleurs, et les hommes, sans le vouloir, arrosent l'arbre chaque fois qu'ils laissent tomber de l'eau.247

CADRE 2.32

Chez les Wodaabe du Niger, chaque puits appartient à une branche d'une famille, mais les autres peuvent l'utiliser en appliquant des règles très précises ("buto"). En outre, pendant la saison sèche, les camps sont dispersés sur des distances qui pouvant atteindre 70 km; ils changent de place tous les 20 à 30 jours autour des puits, pour éviter le sur pâturage.243 Chez les Somali du nord, la gestion des puits collectifs est confiée à un comité élu, comprenant entre 3 et 20 personnes et appelé "guddiya warta". Les membres du comité sont responsables de la gestion de l'eau, "sagaale"; ils sont chargés de: distribuer l'eau aux membres de la communauté et aux invités; garder les puits; instituer les règles d'utilisation et en surveiller la mise en application; percevoir un droit, le cas échéant, et entretenir les puits.244 Les Borana du sud de l'Ethiopie élisent un ancien du clan, "abba ela", qui surveille l'utilisation des puits en application des lois Borana. Un conseil des anciens veille sur le Abba ela et nomme un gardien intérimaire si le Abba ela doit s'absenter momentanément. Les usagers du puits forment aussi un conseil, "cora ela", en qui réside l'autorité suprême. Le Cora ela choisit un "père de l'ordre d'accès à l'eau"; il régit l'utilisation quotidienne du puits. Pour cela, il choisit à son tour deux hommes qui surveillent le bétail; un homme qui nettoie et balaie le fumier; un homme pour coordonner le travail de la file d'hommes et de femmes (eux aussi choisis par le père de l'ordre) qui puisent l'eau dans des récipients et les font passer de main en main jusqu'à un bassin. Cette file comprend parfois 15 à 20 personnes. Les bassins sont recouverts d'argile tous les matins et les travaux d'entretien des puits ont lieu à la fin de chaque saison des pluies.245

Quelques groupes ont institué des organisations formelles pour contrôler et gérer les puits collectifs. Le plus souvent, il s'agit d'un comité ou d'un conseil de surveillance avec un dirigeant principal chargé de nommer des suppléants, de distribuer des tâches (garde, entretien, creusement, etc.) à ceux qui utilisent les puits et de fixer les conditions d'accès des étrangers (voir en CADRE 2.32).

Certains groupes ont également des normes régissant la fréquence d'utilisation des puits. Par exemple, dans le district de Kitui au Kenya, les femmes, qui sont chargées d'aller chercher l'eau, utilisent des puits différents d'une saison sèche à l'autre pour que les réserves se reconstituent.248

L'introduction des forages mécaniques profonds a désorganisé les systèmes traditionnels de gestion des puits. Cependant, certains groupes font exception; ils préfèrent retourner à leurs puits traditionnels. Ainsi, les Rendille du Kenya préfèrent les puits larges parce qu'ils ne s'effondrent pas et que l'eau contient plus de minéraux que celle des puits forés.249 Une enquête menée parmi les Touaregs, les Foulani et les Arabes par le Service de l'Animation du Niger en 1972 a montré qu'ils aiment mieux les puits larges avec des parois en ciment que les trous de forage. Les principales raisons de cette préférence étaient les suivantes: les puits limitent la charge animale; ils sont plus faciles à construire et à entretenir; la perte de poids chez les animaux est moins importante (du fait que les parcours ne sont pas surpâturés).250

2.2.5.4 Les autres ressources hydriques Les éleveurs et ceux qui vivent de la chasse et de la cueillette ont d'autres moyens de gérer les ressources hydriques. Le stockage et le transport de l'eau leur permet de s'éloigner davantage des points d'eau, ce qui a pour résultat de distribuer la pression sur les pâturages et de permettre l'utilisation de zones plus éloignées. Par exemple, les Hamar de l'ouest du Soudan emmagasinent l'eau pendant la saison sèche dans les troncs creux des baobabs.251 Nous avons déjà mentionné le fait que les Turkana transportent jusqu'aux camps, à dos d'âne, l'eau destinée aux hommes et aux animaux. Récemment, les Somali ont commencé à transporter par camion vers des pâturages éloignés, l'eau en provenance de puits forés ou de hafirs adin d'augmenter l'aire de pâturage.252

Les populations qui vivent de la chasse et de la cueillette dépendent, plus que les éleveurs, des plantes porteuses d'eau. Par exemple, les Ghana du centre du Kalahari vivent de la cueillette, et utilisent l'eau d'un melon local pour eux-mêmes et pour leurs animaux. S'ils ne trouvent plus de melons avant la fin de la saison sèche, ils se rabattent sur d'autres espèces dont les racines sont profondes et contiennent de l'eau, ou se déplacent de plus de 100 kilomètres vers le nord pour trouver un grand fleuve.253

Les éleveurs réalisent rarement des travaux d'aménagement autour des sources naturelles. Cependant, les Foulani du nord du Cameroun facilitent l'accès à l'eau minérale de qualité supérieure en creusant des puits peu profonds, appelés "lahore", chaque fois qu'ils aperçoivent des bulles dans l'eau; ils puisent l'eau et la versent dans des abreuvoirs en bois. Etant donné que cette région souffre chaque année d'inondations, l'emplacement des meilleures sources varie d'année en année. Les autorités ont essayé récemment de construire des puits permanents et des abreuvoirs en ciment, mais les éleveurs n'apprécient pas ces innovations parce qu'il est impossible de les transporter chaque année à la meilleure source, et qu'elles ne permettent pas aux animaux de nager et de patauger dans la boue ce qui, de l'avis des Foulani,254 leur fait du bien.


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