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PREMIERE PARTIE - NATURE ET AMPLEUR DU PROBLEME


Introduction
Dépendance de la population rurale à l’égard des produits de la forêt
Contraintes et conditions

Introduction

Le secteur du développement économique a été ces trente dernières années le théâtre d’une intense activité. Gouvernements et institutions internationales et bilatérales ont beaucoup investi dans la poursuite de la croissance économique. Les institutions internationales se sont agrandies, leurs effectifs ont connu une augmentation quasi exponentielle tandis qu’elles ont envoyé mission sur mission d’experts d’une sorte ou de l’autre dans le Tiers monde pour en aider les pays à développer leurs économies.

Pourtant, pour beaucoup de ces pays, la faiblesse du développement reste alarmante. Ils sont encore trop en proie à la pauvreté, au sous-emploi, au chômage, et à la malnutrition. A la campagne comme à la ville, le lot des pauvres s’est généralement aggravé, tandis que les quelques gains en matière de croissance économique se sont injustement répartis et que l’écart entre riches et pauvres s’est creusé dans bien des pays du Tiers monde, comme entre pays développés et en développement.

Compte tenu des politiques et programmes actuels, le sort des pauvres est peut-être plus tragique, plus pernicieux, plus désespéré à la campagne qu’à la ville. Les villes posent en effet des problèmes concentrés et aigus dont ont conscience à tous instants les hommes politiques et les administrateurs qui y vivent. Des solutions de fortune peuvent y être apportées sous forme d’usines, d’hôpitaux, d’écoles, ainsi de suite, et il est toujours possible d’investir des grosses sommes d’argent dans une zone circonscrite, facile à inspecter et à contrôler. En revanche, les problèmes que pose la campagne sont diffus et chroniques et souvent perçus du seul expert. Pour remédier à la situation en milieu rural, il faut souvent étaler les investissements sur de vastes zones, ce qui rend malaisé la conception, l’exécution et l’évaluation de programmes. Il se produit en outre un phénomène de “trop-plein” en vertu duquel l’excès de pauvreté à la campagne se déverse sur la ville par le truchement des migrations. C’est pourquoi les gouvernements tendent à investir essentiellement dans le développement urbain.

D’une manière générale, le problème de la pauvreté rurale tient essentiellement à la croissance de la population et à celle de ses aspirations. Tant que les populations restaient longtemps stables, le mode de vie qui s’instaurait pour en assurer la subsistance permettait de produire suffisamment pour satisfaire les exigences perçues. Néanmoins, la plupart des pays ayant connu assez récemment une période de croissance démographique rapide, il est devenu impossible de tirer des terres disponibles une production suffisante à l’aide des méthodes traditionnelles. Dans le même temps, la diffusion de l’information a amené les gens de la campagne à exiger plus et à réclamer les avantages dont profitent, ils le savent maintenant, beaucoup de citadins.

Dans les régions très peuplées, beaucoup de ruraux ont sacrifié leurs forêts, le bois étant moins indispensable que la nourriture (encore qu’à la longue la disparition des terres boisées risque de nuire à la production agricole). Cette pratique a souvent mené à l’érosion et acculé l’agriculture à de mauvaises terres. C’est ainsi qu’on a paré temporairement aux pénuries alimentaires en effritant le capital biologique des arbres et des sols et en ne laissant plus qu’un maigre héritage pour la production future quelle qu’elle soit.

A l’autre extrême on trouve des collectivités humaines dispersées dans les forêts tropicales. Les effectifs de ces populations ont bien souvent diminué sous l’effet de maladies importées, tandis que leurs méthodes traditionnelles de production, c’est-à-dire la chasse et la cueillette ou l’agriculture itinérante, sont de plus en plus limitées par les activités de sociétés voisines et le recul du couvert forestier. Bien que ces collectivités habitent des régions richement dotées en capital biologique, elles n’en tirent pas tous les avantages qu’elles pourraient. Il faut donc concevoir de nouveaux systèmes d’aménagement forestier si l’on veut que ces collectivités se développent.

Les cas intermédiaires entre ces deux extrêmes sont nombreux. Au premier rang viennent les terres arides consacrées essentiellement au pâturage. Si les populations rurales qui les occupent restent peu à peu près constamment à un niveau faible, l’effectif animal y augmente pour répondre à la demande croissante des villes voisines. Sous l’effet combiné du pâturage, des feux et de la surexploitation, les forêts naturelles ont été réduites à l’état de vestiges pitoyables. Le capital biologique des sols et de la végétation demeure proche de son niveau minimum. Le remède évident, c’est-à-dire le reboisement de ces régions, est particulièrement difficile à appliquer et dépend surtout, pour ne pas dire entièrement, de la volonté de la collectivité de restreindre le pâturage.

La croissance démographique n’est pas la seule cause profonde de la pauvreté rurale. Bien que, en effet, dans maintes parties du Tiers monde, les pressions de la population sur les ressources en terres soient assez faibles, de vastes secteurs de la population rurale n’en restent pas moins pauvres car ils demeurent en marge du courant du développement. Ceci tient aux contraintes politiques et à la vétusté des structures du pouvoir et des institutions qui sont la cause fondamentale de l’échec au développement affectant les couches rurales pauvres.

Dans les chapitres suivants, on s’efforce de poser des principes applicables à un large éventail des situations physiques et sociales et de donner des exemples de techniques appropriées. Il est évident qu’on ne saurait dans le cadre de cette étude tenter de prendre en considération tous les aspects des problèmes complexes évoqués ci-dessus et qui sont au coeur de la pauvreté rurale. Aussi se bornera-t-on à trouver des solutions techniques, (par exemple à choisir les essences qui conviennent) les moyens de mieux organiser les collectivités pour mener à bien les opérations forestières, comment améliorer la diffusion des connaissances, ainsi de suite. A signaler néanmoins que, pour ce faire, il est nécessaire d’admettre un concept fondamental du développement rural qui déborde très largement sa composante forestière.

Le développement rural a avant tout pour but d’aider les ruraux défavorisés à compter sur leurs propres efforts pour améliorer leur sort. Il n’a de chance de réussir qu’autant qu’il reflétera la manière dont la population elle-même interprète ses besoins, ses problèmes et ses aspirations. La foresterie au service du développement communautaire doit donc être une foresterie qui s’adresse à la population et l’associer à ses activités. Il doit s’agir d’une foresterie qui part de la base.

Dépendance de la population rurale à l’égard des produits de la forêt


Bois de feu et bois d’oeuvre
Alimentation et environnement
Revenu et emploi

Pour les populations rurales du Tiers monde, les forêts ainsi que leurs biens et leurs services présentent un triple intérêt. En effet, les arbres fournissent du combustible et autres matériaux indispensables aux besoins fondamentaux du ménage et de la collectivité rurale. Les forêts et terres forestières dispensent la nourriture et la stabilité de l’environnement nécessaire à une production vivrière continue. Les forêts et les produits forestiers peuvent être sources de revenu et d’emploi dans la collectivité rurale. Certains des avantages que la foresterie peut apporter à ces collectivités sont récapitulés au tableau 1 et examinés plus en détail dans les chapitres suivants.

Bois de feu et bois d’oeuvre

Le bois constitue le principal combustible pour les populations rurales des pays en développement et même pour beaucoup de pauvres des villes. Dans maintes régions du Tiers monde, il est aussi le principal matériau pour construire abris et maisons.

Plus de 1 500 millions de gens se servent quotidiennement de bois pour faire cuire leurs aliments et assurer à leur foyer la chaleur indispensable. C’est le combustible le plus prisé parce qu’on peut s’en servir et l’écouler sans matériel compliqué, et parce qu’il ne coûte pas cher, souvent guère plus que le prix de son ramassage. Bien souvent, les pauvres n’ont pour tout combustible que le bois ou autres matériaux organiques disponibles sur place. Même lorsqu’il en existe, les combustibles commerciaux demandent l’acquisition de fourneaux et autres accessoires que ne peuvent généralement pas s’acheter les pauvres des campagnes. La croissance des populations rurales se traduit donc entre autres par des pressions toujours plus sensibles sur les ressources forestières locales et autres sources de matières ligneuses. Peu à peu, on passe de la collecte de bois mort à l’ébranchement des arbres, à leur abattage, à la destruction totale du couvert forestier, à l’enlèvement de la matière organique dans le sol et à la longue au déracinement des souches et à l’élimination des arbustes. Puis on en vient à se servir comme combustibles des résidus agricoles et de la bouse animale, au détriment de la structure et de la fertilité du sol.

TABLEAU 1. AVANTAGES DE LA FORESTERIE POUR LES COLLECTIVITES RURALES

Produits

Avantages

Combustible

D’utilisation peu coûteuse
Peut être produit sur place à peu de frais
Peut remplacer des combustibles commerciaux coûteux
Empêche la destruction du couvert protecteur au sol
Evite de mobiliser la main-d’oeuvre familiale
Permet de cuire les aliments

Matériaux de construction

D’utilisation peu coûteuse
Peuvent être produits sur place à peu de frais
Peuvent remplacer des matériaux commerciaux coûteux
Permettent de construire des logements de bonne qualité ou de les améliorer

Nourriture, fourrage, pâturage

Protègent les terres agricoles contre l’érosion du vent et de l’eau
Sources complémentaires de nourriture et de fourrage (par exemple, en période sèche)
Environnement propice à une production vivrière supplémentaire (par exemple, miel)
Productivité accrue des terres agricoles marginales

Produits commercialisables

Accroissement des revenus de l’exploitant et (ou) de la collectivité
Diversification de l’économie de la collectivité
Emploi supplémentaire

Matières premières

Approvisionnement des entreprises artisanales et des petites industries locales (plus les avantages découlant des produits commercialisables)


La disparition progressive de bois aux alentours de la collectivité impose aussi à cette dernière des contraintes sociales toujours accrues. Peu à peu, en effet, les membres de la famille doivent consacrer plus de temps à la collecte de bois de feu. On estime que cette tâche demande maintenant 360 jours par an et par famille en Gambie et 250 à 300 jours/hommes en Tanzanie centrale. A mesure que la situation se dégrade, la famille est amenée à acheter son bois, ce qui grève lourdement son budget. Jusqu’à 15 pour cent du revenu familial serait consacre à l’achat de combustible dans les hautes terres de la République de Corée et jusqu’à 25 pour cent dans les parties les plus pauvres des Andes et de la zone sahélienne.

A la longue, cette pénurie de bois de feu peut nuire à l’état nutritionnel de la population. C’est ainsi que dans certaines parties de l’Afrique de l’Ouest, les gens doivent se contenter d’un repas cuisiné par jour, que dans les hautes terres du Népal seuls sont cultivés les légumes qui peuvent se manger crus et que, en Haïti, l’obstacle majeur à l’introduction, dans les régions montagneuses pauvres en bois, de nouvelles cultures vivrières possédant une meilleure valeur nutritive tient à ce que ces dernières demanderaient plus de cuisson.

Alimentation et environnement

Aujourd’hui, près de 200 millions de personnes vivent dans les zones forestières tropicales où elles pratiquent la culture sur brûlis (agriculture itinérante) sur quelque 300 millions d’hectares de terres forestières pour assurer leur subsistance quotidienne. Dans certaines parties d’Asie du Sud et du Sud-Est, cette forme d’utilisation des terres s’étend sur environ 30 pour cent de la superficie forestière officiellement déclarée. Les systèmes traditionnels de l’agriculture itinérante qui prévoyaient une longue période de jachère sous forêt pour rétablir la fertilité des sols qui ne se prêtaient aux cultures que pendant un nombre limité d’années, ont quasiment disparu. Les pressions démographiques croissantes ainsi que la migration des gens sans terres vers les zones forestières ont entraîné un tel raccourcissement de la période de jachère qu’à l’heure actuelle elle ne suffit ni pour rétablir la fertilité du sol ni pour recréer une production forestière utile.

On constate des tendances analogues dans les savanes boisées plus claires des zones plus arides. Les problèmes auxquels se heurte la production de la gomme arabique au Soudan, problèmes évoqués en annexe 2, tiennent beaucoup aux pressions qui s’exercent pour mettre en culture davantage de terres au détriment de la période de jachère sous les Acacia. Dans l’intérêt futur des zones dont la productivité ne saurait être maintenue indéfiniment par l’agriculture, il convient de prévoir des systèmes de production alliant l’arboriculture à d’autres cultures.

Outre la production végétale, les collectivités rurales peuvent, par bien d’autres moyens, tirer de la nourriture des forêts dans n’importe quelle partie du monde. Le gibier de brousse et le miel constituent des sources d’alimentation supplémentaires, tout comme une grande variété de tubercules, de fruits et de feuilles. La production piscicole dans les forêts marécageuses ou de mangrove peut aussi être une importante source de protéines, ces forêts offrant un habitat des plus précieux pour la protection et la production de poisson.

Dans bien des régions, les arbres sont source de fourrage. Au Népal par exemple, les feuilles entrent pour 40 pour cent environ dans l’alimentation annuelle d’un buffle et pour 25 pour cent environ dans celle d’une vache. Dans les zones forestières sèches, le bétail ne peut souvent survivre sans pâturages forestiers. C’est ainsi qu’au Sahel, les bêtes se nourrissent surtout de feuilles pendant la saison sèche et que le broutage excessif des arbres pendant la longue sécheresse récente à beaucoup contribué à la destruction massive d’un couvert boisé capital.

A la pression que l’agriculture itinérante fait peser, de l’intérieur, sur la forêt s’ajoute celle qui s’exerce pour détourner des parcelles forestières au profit des populations rurales croissantes qui ont toujours plus besoin de terres pour y faire pousser de quoi manger. Dans la plupart des régions, les forêts demeurent le plus important réservoir de terres, le seul qui permette d’étendre sensiblement encore la superficie sous production agricole. On estime que la superficie actuelle de la foret dans le Tiers monde recule tous les ans de 5 à 10 millions d’hectares en Amérique latine, de 2 millions d’hectares en Afrique et de 4 millions d’hectares en Asie. Dans la mesure où ce processus libère, aux fins de production vivrière, des terres qui sont capables de supporter à long terme la pratique de l’agriculture, c’est là une chose logique qu’il faut planifier. Mais, sur de vastes superficies, les pressions de la croissance démographique contraignent les agriculteurs sans terres à cultiver des sols qui sont impropres à la production vivrière et des terrains en pente qui ne peuvent être exploites sans danger, du moins avec les techniques et les ressources dont disposent ces agriculteurs. Les conséquences de ces pratiques, à savoir l’érosion par le vent et le sol, l’envasement, l’inondation et la sécheresse, sont bien connues. Etant donné que 10 pour cent à peu près de la population mondiale vit dans des zones montagneuses et les 40 autres pour cent dans des basses terres voisines, une bonne moitié de l’humanité est directement touchée par les ravages causés aux environnements des bassins versants.

En Inde, 50 pour cent de la superficie totale du territoire seraient sérieusement érodés par le vent et l’eau, qui arracheraient à la couche superficielle fertile du sol quelque 6 millions de tonnes de matériau par an. Au Pakistan, l’érosion touche 76 pour cent de la superficie totale du territoire. Mais le Népal est peut être le cas le plus dramatique de son genre en Asie. Dans bien des régions de ce pays en effet les forêts ont été abattues jusqu’à 2 000 mètres d’altitude (m), et des pentes de 100 pour cent sont sous culture. Pendant les périodes de pluies incessantes, d’énormes glissements de terrains se produisent qui détruisent vie et cultures et entraînent l’humus nécessaire; ces glissements de terrain se manifestent de plus en plus souvent dans les montagnes népalaises et ce en partie à cause de la disparition rapide des arbres fixateurs.

A l’heure actuelle, la dégradation de la couche superficielle du sol constitue une menace pour la productivité agricole des autres champs. Partout, dans les zones montagneuses d’autres parties du monde, on peut observer des paysages analogues, quoique peut-être un peu moins altérés.

L’érosion des sols agricoles se traduit souvent par l’envasement des cours d’eau et des réservoirs. C’est ainsi qu’au Népal, le lit du Terai monte de 15 à 30 cm par an. Cette élévation du lit des cours d’eau, due à l’érosion accélérée du sol et à l’envasement, est une cause majeure des crues plus fréquentes et plus dangereuses dans toute la région. Mais la sédimentation réduit aussi la capacité d’emmagasinage de l’eau des réservoirs. Dans le sous-continent indien, le réservoir de Mangla recevrait tous les ans 100 millions de tonnes de sédiments, quantité à laquelle contribuerait à raison de 80 pour cent environ le fleuve Jhelum, par suite d’abattages et de feux anarchiques dans la forêt de ce bassin versant. Alors que le réservoir de Mangla a été construit pour durer au moins un siècle, sa capacité sera quasiment réduite à néant d’ici 50 à 75 ans à en juger par l’ampleur de son envasement après quelques années de fonctionnement. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres analogues.

Le processus de dégradation de l’environnement consécutif à la destruction du couvert forestier est souvent accéléré par la collecte de bois de feu. Ce phénomène est en général plus accusé au voisinage des grandes villes. Le bois est en effet le combustible le plus prisé non seulement des pauvres de la population rurale mais aussi de pauvres de la population urbaine qui s’en servent principalement sous forme de charbon de bois. La concentration et l’importance de la demande de ce produit entraîne le pillage des zones boisées à la périphérie des centres urbains dans maintes parties de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine et les superficies ainsi touchées s’étendent souvent à un rythme effrayant.

Revenu et emploi

Les forêts et les arbres peuvent être source de récoltes de rapport (champignons, châtaignes, noisettes et pignons). Le bambou pour sa part peut se cultiver pour ses pousses, comme cela se fait au Japon. Dans bien des pays, la sylviculture se pratique au niveau du petit exploitant qui en tire du bois de feu pour le vendre dans les zones urbaines et semi-urbaines. En Inde, le revenu que procure le ramassage et la vente du bois de feu constitue une partie importante de l’économie des villages forestiers, surtout des pauvres qui les peuplent. La petite sylviculture peut aussi fournir des produits ligneux industriels lucratifs, comme par exemple le bois à pâte que cultivent les exploitants aux Philippines. Parmi les produits non ligneux, la gomme arabique que produisent les agriculteurs au Soudan est une des denrées les plus importantes de ce pays.

Outre le revenu et l’emploi que founissent leur exploitation industrielle, les forêts sont également source de bois d’oeuvre et autres matières premières pour l’artisanat, la petite industrie et l’industrie de transformation indigènes. Dans tout le Tiers monde, portes et autres articles de menuiserie, mobilier, outils et autres articles agricoles, comme les pieux de clôture, sont fabriqués sur place par la collectivité. Ces produits, ainsi que les articles d’artisanat en bois et autres produits en matières premières non ligneuses comme la soie “tasar” peuvent aussi être vendus à l’extérieur.

La foresterie peut aussi contribuer aux revenus ruraux de façons moins directes. S’il n’existe aucun autre moyen intéressant d’accroître les revenus des pauvres en milieu rural, l’établissement de parcelles pour la production de bois de feu peut être une bonne solution à cette fin car elle permet de garder le fumier animal et les résidus agricoles pour enrichir le sol et par conséquent augmenter le rendement des cultures. Les forêts peuvent ainsi contribuer à une distribution plus équitable du revenu. Il peut être plus aisé d’aider les pauvres en leur fournissant du combustible sous forme de bois qu’en leur offrant les avantages analogues moyennant fiscalité et redistribution.

Contraintes et conditions


La course à la terre
Temps de rapport de la foresterie
Distribution des avantages dans l’espace
Contraintes institutionnelles et techniques

Là où il existe une forêt exploitable mais qui ne profite pas pleinement aux collectivités locales, les ajustements à apporter aux pratiques d’aménagement devraient être assez faciles à concevoir et à mettre en oeuvre. Si, par contre, les forêts ont été détruites, soit pour faire place à l’agriculture ou aux pâturages, soit au mépris des principes du renouvellement des ressources, leur rétablissement poserait sans doute bien des problèmes. C’est pourquoi on étudiera surtout dans les paragraphes suivants ce dernier cas. Il ne s’ensuit pas pour autant que la foresterie au service des collectivités devra essentiellement se consacrer au boisement et au reboisement. La plupart de ses efforts devront tendre à améliorer l’aménagement des forêts naturelles pour le bien des populations locales.

Le tableau 2 récapitule certains des facteurs dont il faut tenir compte pour analyser la place de la foresterie dans une économie rurale; ces facteurs ainsi que quelques solutions possibles sont examinés de façon plus détaillée dans les sections suivantes.

La course à la terre

Les systèmes forestiers communautaires pratiqués traditionnellement conviennent en général à des régions faiblement peuplées où l’abondance de terre permet de consacrer une partie de la superficie à la foresterie et l’autre à l’agriculture ou encore d’utiliser une bonne partie de cette superficie pour la sylviculture et le pâturage. Le premier de ces cas se caractérise par les systèmes d’agriculture itinérante avec leurs périodes de jachère sous couvert boisé et par les versions modifiées de ce système comme celui, par exemple, de la production de gomme arabique au Soudan. Le deuxième cas est illustré par l’association élevage/sylviculture pratiquée au Sahel. Comme signalé plus haut néanmoins, ces systèmes bien souvent n’ont pu résister à la pression démographique croissante. Les premiers signes de leur rupture se manifestent généralement par un accroissement de l’agriculture intensive au détriment de la foresterie extensive.

TABLEAU 2. FACTEURS A PRENDRE EN CONSIDERATION POUR ANALYSER LA PLACE DE LA FORESTERIE DANS UNE ECONOMIE RURALE

Facteurs

Solutions possibles

Utilisations concurrentielles de la terre (les arbres utilisent moins intensivement la terre que les cultures)


- Concurrence faite aux terres forestières

- Intercaler arbres et cultures
- Répartir rationnellement la terre forestière entre arbres et cultures
- Fournir plus d’avantages non alimentaires aux collectivités forestières: emploi dans la forêt ou dans les industries forestières; revenus secondaires découlant d’un produit forestier; infrastructure sociale, etc.

- Concurrence entre culture/pâturage et boisement

- Planter des arbres en bordure des routes, des cours d’eau, des champs et autres surfaces inutilisées; dans les zones marginales pour la production végétale; dans les zones sujettes à érosion et impropres à la production végétale ou au pâturage
- Améliorer la productivité sur les périmètres les plus propices à la culture pour libérer de la terre au profit de l’arboriculture
- Planter des essences polyvalentes ou des mélanges d’essences pour accroître la productivité
- Intercaler arbres et autres cultures ou associer au pâturage
- Créer des sources supplémentaires de revenu (ex., apiculture)

Temps de rapport de la foresterie (rapport différé de l’arboriculture)


- Le rendement des arbres ne répondra pas immédiatement aux besoins

- Planter des essences polyvalentes, ou des mélanges d’essences qui rapporteront rapidement
- Fournir un appui financier pendant les périodes d’établissement: prêts à faible taux d’intérêt, dons, subventions; salaires, emplois, etc.
- Créer ou élargir des sources de revenu complémentaires non forestières

- Le producteur risque de ne tirer aucun profit

- Veiller à garantir la sécurité de tenure de la terre utilisée pour l’arboriculture

Distribution dispersée des avantages de la foresterie


- Les avantages découlant des forêts de protection ou de la production de bois peuvent aller en partie à l’extérieur de la collectivité

- Indemniser la collectivité pour les avantages qu’elle abandonne ou les inputs qu’elle a fournis et qui rapportent ailleurs

Pénurie saisonnière de main-d’oeuvre

- Adopter des systèmes forestiers qui ne fassent pas appel à la main-d’oeuvre en périodes de pointe et dans d’autres secteurs

Absence de toute tradition forestière (ignorance des techniques nécessaires, incompréhension des causes et des effets, comportements hostiles à la foresterie, cadres institutionnels inadéquats)

- Dispenser conseils et soutien par l’intermédiaire des services de vulgarisation: éducation de la population, avis et apports techniques, formation à la base
- Projets de démonstration
- Encourager les groupements de producteurs (coopératives, etc.)
- Législation et réglementation


Cette concurrence est bien entendu plus serrée encore lorsque la pression démographique est importante et lorsque la terre se prête à la culture même temporairement. Même dans les régions où, de toute évidence, il est nécessaire de maintenir la terre sous couvert forestier, comme par exemple sur les pentes abruptes et pauvres des montagnes de Java, du Népal et de la Colombie, la forêt cède le pas devant le besoin plus urgent que l’on a de terres pour produire des aliments. Il est clair que, pour pouvoir introduire la foresterie en pareil cas, il faut l’assortir de mesures qui offrent à l’agriculteur ou à la collectivité d’autres moyens de pratiquer l’agriculture où l’élevage ou de s’assurer le revenu, auquel il renonce en consacrant une partie de la terre à la sylviculture.

Dès l’instant où l’économie locale repose sur l’agriculture de subsistance, le régime alimentaire constitue le principal facteur déterminant de l’utilisation des terres, les autres étant l’importance de la population et les techniques de production, et ses exigences prennent le pas sur les besoins en bois. Dans les régions où les régimes sont à base d’une céréale unique cultivée en alternance avec la jachère, il faut à chaque famille une grande superficie et la sylviculture risque beaucoup d’être exclue. Pour les régions où la population consomme davantage de produits carnés provenant d’animaux pâturant librement, il est pratiquement impossible de régénérer la forêt, même à de faibles niveaux de densité de la population humaine, surtout si les animaux excédentaires se vendent aisément.

Les habitudes alimentaires sont parmi les éléments les plus profondément enracinés et stables d’un mode de vie. On les acquiert très tôt, et elles sont souvent renforcées par les vertus qu’on leur attribue sur le plan de la santé, de la fertilité ou même des qualités morales, et elles sont parfois consacrées par la religion. Il est donc très difficile de faire adopter de nouveaux aliments et il faut, dans ce domaine, procéder lentement. Souvent, néanmoins, cette adoption est importante car dès l’instant où l’on introduit une plus grande variété de denrées alimentaires, on peut faire alterner les cultures et intégrer l’agriculture à l’élevage, ce qui permet de produire davantage de denrées alimentaires sur une plus grande surface. Grâce en outre à l’introduction de cultures de rapport, on peut acheter une partie des aliments habituels en échange de la production d’une superficie encore plus petite. Il est ainsi possible de libérer de la terre pour la sylviculture.

Bien que les techniques connues de production vivrière n’occupent pas dans le contexte culturel une place aussi fondamentale que le régime alimentaire, elles n’ont rien de fortuit. Les pratiques de l’agriculture et du pâturage fixent les heures et les époques des travaux et sont fonction de la division du travail entre les sexes et les groupes d’âge, qui, à leur tour, font partie intégrante de la structure sociale. Des gens habitués aux loisirs que leur laisse le pâturage libre ou la pratique d’une seule culture principale auront du mal à s’adapter à des méthodes plus intensives. Dans le cas où c’est aux femmes que revient le soin de cultiver la terre ou aux enfants de garder les troupeaux, il faut s’attendre à ce que les hommes manifestent une vive résistance à des systèmes plus efficaces qui exigeront d’eux d’assumer une part du travail. C’est là un autre obstacle qui empêche de libérer la terre au profit de la sylviculture.

Les façons de préparer les aliments semblent moins capitales que les techniques de production. D’innombrables sociétés ont abandonné le bois de feu pour utiliser le fumier animal comme combustible ou les combustibles fossiles. La rareté du bois de feu est donc moins vivement ressentie que beaucoup des changements qui s’imposent pour libérer de la terre en vue sa production. Pour encourager les populations à mieux se servir du bois et à cultiver ou soigner les arbres nécessaires à sa production, on peut donc être amené à modifier ces attitudes et ces habitudes. Ce but ne pourra sans doute être atteint que si l’on prend en considération les us et coutumes locaux.

On peut éviter que la foresterie ne dispute directement les terres à la production vivrière en recourant à des superficies inexploitées. Même dans ce cas, il faut néanmoins veiller à choisir des essences qui soient aussi productives que possible et qui puissent rivaliser avec d’autres cultures non alimentaires (y compris d’autres cultures arborescentes comme l’hévéa et le palmier à huile). Dans certaines parties de l’Inde, notamment au Bengale occidental, on exploite largement les bords des routes et les lisières des champs pour y planter des arbres comme le Ahisham (Dalbergia latifolia) et le sissoo (D. sissoo) qui réduisent la concurrence de l’ombre et des racines pour les cultures voisines. En Chine également, on plante des arbres de manière qu’ils concurrencent le moins possible les cultures vivrières. La culture intercalaire entre les rangées d’arbres dans les plantations s’effectue pendant les deux premières années. Des arbres sont plantés sur les terres stériles, autour des maisons, le long des routes et des cours d’eau et à la périphérie des villages. On choisit de préférence des essences à croissance rapide et celles qui donnent des feuilles, des noix, des fruits ou de l’écorce propres à l’utilisation domestique et artisanale. En pratiquant cette plantation le long des routes, des cours d’eau ainsi qu’autour des demeures et des villages, la population contribue activement à résoudre les problèmes des disponibilités de bois de feu.

Moyennant diverses combinaisons de cultures intercalaires, on peut introduire des arbres dans les plans d’utilisation intensive des terres pour employer ces dernières à des fins multiples. A Java où les pressions sur les terres sont particulièrement fortes, on cultive sous les arbres des graminées pour récolter du fourrage à l’intention des animaux alimentés à l’étable. Dans les régions montagneuses du Népal la production de fourrage, cette fois sous forme de feuilles de certains arbres, est l’un des moyens importants que l’on essaie actuellement pour résoudre le problème. Tout aussi importantes sont les mesures visant à accroître la productivité végétale dans les zones plus planes et plus cultivables et à améliorer d’autres secteurs de l’économie des collectivités et leur infrastructure physique et sociale pour leur permettre de consacrer de la terre aux couverts forestiers.

On saisit généralement très mal toute la question de l’utilisation des terres faute de renseignements sur la vocation agricole et sur les facteurs dont il convient de tenir compte pour l’aménagement du territoire. Il est bien rare en effet que l’on connaisse les frontières entre les terres capables de porter des cultures de façon soutenue et celles qui doivent périodiquement ou en permanence être consacrées à la forêt. Et c’est ainsi que, par ignorance, on défriche beaucoup de terres forestières qui ne se prêtent pas à l’agriculture sédentaire alors que, à côté, il en existe qui conviendraient parfaitement à cette fin.

Temps de rapport de la foresterie

Bien souvent, les délais que demande la foresterie pour donner un rapport renforcent encore l’attachement à un régime alimentaire ou à une technique particulière de production. Au cours des siècles, les populations rurales ont pris l’habitude de dépendre des produits de la forêt, celle-ci leur offrant un réservoir abondant de ressources naturelles à portée de main dans lequel elles pouvaient puiser à volonté. Tant que ce réservoir restait abondant, on pouvait continuer d’exploiter ainsi le capital forestier sans se préoccuper le moins du monde des délais assez longs que requiert la production de bois de dimensions utiles. A partir du moment néanmoins ou l’on ne peut plus assurer l’approvisionnement en bois qu’en faisant pousser des arbres à cette fin, les délais de rendement en jeu peuvent devenir un obstacle important.

Le temps qu’exige une forêt pour devenir productive ne peut qu’aller à l’encontre des priorités des pauvres en milieu rural qui, c’est bien naturel, veulent avant tout satisfaire leurs besoins de première nécessité. Dans l’immédiat, ces besoins ont toute chance d’être impératifs, notamment pour ceux qui vivent au niveau de la subsistance. La terre, la main-d’oeuvre et les autres ressources que l’on peut consacrer à se procurer la nourriture, le combustible et le revenu dont on a besoin tout de suite, ne sauraient être mobilisées aisément pour produire du bois dont on ne disposera qu’au bout de nombreuses années. C’est justement sur cet obstacle qu’ont trébuché les gros efforts déployés pour amener les collectivités indiennes vivant de la forêt à abandonner leurs droits d’usage sur la forêt et à adopter des méthodes forestières rationnelles. Le pillage du bois dans la forêt et sa vente comme combustible sur les marchés urbains et semi-urbains proches sont une source importante de revenu pour les pauvres des villages. Aucun encouragement au niveau de la collectivité n’a eu suffisamment de poids pour faire céder ceux qui avaient tout intérêt à maintenir le statu quo.

La foresterie ne peut se maintenir ou gagner du terrain au niveau de la collectivité que si elle tient compte de ses besoins actuels bien réels. Là où le couvert forestier existe encore, on pourrait peut-être assurer la même production mais de façon moins destructive. C’est ainsi, par exemple, que dans une région de l’Inde centrale, on a mis fin aux coupes destructives de la forêt et renversé la situation en concentrant les abattages sur des coupes annuelles et en protégeant le reste de la forêt de manière qu’elle puisse se régénérer naturellement. De récentes expériences dans des régions aussi diverses que les montagnes du Népal et la frange méridionale du Sahel montrent aussi la capacité qu’ont les forêts de se régénérer sans autre moyen que la protection.

Avec l’introduction de la foresterie de plantation, les délais entre l’établissement et la production peuvent constituer une contrainte plus grave encore. Aux Philippines, des crédits ont été octroyés aux fermiers qui plantent des arbres. En Thaïlande et dans le bassin du Solo en Indonésie, il a fallu, pour cette période initiale, opérer des versements en espèces. En République de Corée, on a recouru, dans les parcelles de village, destinées à la production du bois de feu, à un mélange d’essences, parmi lesquelles Lespedeza qui rapportent dès la première année, intercalées avec des essences capables de donner, pendant longtemps, du bois de feu et du bois industriel. Dans bien des systèmes, on a introduit la sylviculture en même temps que d’autres activités qui permettent à l’agriculteur de faire la soudure jusqu’à ce que ses arbres soient en âge de produire.

Distribution des avantages dans l’espace

Dans le cas des collectivités forestières, les considérations de temps comptent moins que celles touchant la distribution dans l’espace des avantagea de la forêt. Celle-ci représente pour le cultivateur itinérant de la terre sur laquelle il peut pratiquer ses cultures alimentaires et commerciales, ainsi qu’une source de combustible et de matériau de construction, voire même de fourrage, d’ombrage, etc. De toute évidence, l’idée ne lui vient même pas que les arbres qu’il détruit ou qu’il utilise ainsi pourraient fournir la matière première à une industrie et par conséquent un revenu et de l’emploi ainsi que des produits manufacturés qui profiteraient à d’autres. Il serait peu réaliste d’attendre de lui qu’il modifie son mode de vie dans l’intérêt d’autrui. C’est pourquoi l’instauration de systèmes forestiers plus stables associant l’agriculture à la sylviculture ne saurait se concrétiser que si la collectivité bénéficie raisonnablement du changement d’une manière ou de l’autre. C’est ainsi par exemple que la formule du village forestier en Thaïlande décrit à l’annexe 2 n’a commencé à devenir attrayante à la population forestière qu’à partir du moment où elle s’est assortie de l’octroi de terres leur permettant de pratiquer l’agriculture sédentaire, ainsi que d’un soutien financier et autre pour ce faire et de l’infrastructure sociale et physique nécessaire.

Le problème réside donc avant tout dans ce que les collectivités forestières tirent en général insuffisamment profit de la forêt. S’il en est ainsi, c’est souvent par la faute des objectifs classiques de l’aménagement forestier et des pratiques administratives, axés essentiellement sur la conservation, la production de bois, la perception d’impôts et la réglementation exercée par le truchement d’une législation et de règlements punitifs. Pour développer ces collectivités, il faut donc les associer de façon plus complète, positive et plus avantageuse à l’utilisation, l’aménagement et la protection de la forêt. Pour ce faire, on peut par exemple intensifier leur participation aux travaux forestiers en créant des coopératives d’exploitation ou de sciage, tirer parti de la source potentielle de revenus que permettent des produits secondaires de la forêt, en aidant à mettre sur pied des systèmes de production, de distribution et de commercialisation de denrées comme le miel, ou en attribuant des terres forestières pour la production simultanée de cultures sylvicoles et agricoles, ou encore de pâturages. Comme signalé plus haut, il est possible que pour cela il faille réorienter radicalement les concepts et pratiques traditionnels en matière de foresterie.

La question de la distribution des avantages peut aussi surgir avec des systèmes visant à établir des cultures arboricoles industrielles par l’intermédiaire de systèmes agricoles qui intercalent arbres et cultures vivrières et de rapport 1/. Les arbres eux-mêmes ne donnent aucun avantage direct à l’agriculteur. Pour lui, ils sont plutôt une gêne et lui compliquent beaucoup la tâche. De tels systèmes n’ont donc de chance de réussir que si l’agriculteur y trouve une juste rémunération. Dans bien des régions des tropiques ou ces systèmes ont été introduits, on y a surtout été poussé par le simple besoin de terres et le fait que, ailleurs, il n’en existe pas que la population puisse cultiver. Mais on a constaté qu’à la longue ces systèmes tendent à se transformer en une agriculture sédentaire, dans laquelle sont éliminés les arbres cultivés en association, à s’orienter vers l’emploi forestier à plein temps, comme cela vient de se produire au Kenya et au Bangladesh. Ceci donne à penser que la terre en soi ne constitue pas un encouragement suffisant, si ce n’est dans l’immédiat.

1/ Voir page 49 pour une description plus détaillée de ces systèmes.

Ces mêmes considérations sont valables pour d’autres types de sylviculture. Si le couvert forestier en haut des pentes montagneuses à Java, au Népal, en Colombie et ailleurs peut fort bien apporter des avantages directs tangibles aux collectivités qui les peuplent en les protégeant des glissements de terrain et d’un ruissellement excessif des eaux, ce sont surtout les régions en aval qui en profiteront du fait que les inondations, l’envasement, l’érosion, ainsi de suite, s’en trouveront réduits. Là encore, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d’attendre des gens qu’ils cèdent à cette fin terres, main-d’oeuvre et autres ressources dans l’intérêt d’autrui, à moins qu’ils n’en soient convenablement récompensés.

Contraintes institutionnelles et techniques

Restent les cas ou les problèmes ne tiennent ni à un manque d’intérêt à l’égard de la foresterie, ni au fait qu’elle va à rencontre d’autres aspects du mode de vie, nais seulement au manque d’organisation ou de moyens. Le programme particulièrement réussi des parcelles boisées de village que met en oeuvre la République de Corée utilise des terrains qui sont trop abrupts pour être cultivés et que la loi réserve exclusivement à la foresterie. Il mobilise donc à cette fin des terres inexploitées que les agriculteurs pauvres n’ont pas les moyens de boiser. Dans certaines parties de l’Ethiopie, de la Tanzanie et du Nigéria, des collectivités auxquelles manque le bois de chauffage ont affecté au boisement des zones impropres à la production agricole, comme le sommet et les pentes des montagnes.

Mais les zones qui sont marginales pour l’agriculture peuvent l’être aussi pour la foresterie. Tel est le cas en particulier des régions arides et semi-arides qui en général imposent des contraintes climatiques rigoureuses à la sylviculture, en particulier aux essences à croissance rapide dont on a besoin pour obtenir des résultats dans des délais acceptables. L’aridité soulève aussi d’autres problèmes, dont celui de la disponibilité de main-d’oeuvre. La plupart des systèmes forestiers communautaires ne se heurtent, dans ce domaine, à aucune difficulté. C’est ainsi que, dans le système d’exploitation de la gomme arabique au Soudan, le gros des travaux forestiers coïncide avec la morte - saison. Dans les régions où la tradition veut que ce soient les femmes qui travaillent aux champs, les hommes de la famille sont ainsi libres pour exécuter concurremment les travaux forestiers. Dans les Tropiques humides, la plantation peut s’étaler sur une période suffisamment longue pour éviter que celle des arbres comme des cultures est très brève et se situe en même temps. En conséquence, la main-d’oeuvre disponible pour planter les arbres peut être limitée et il faut donc prévoir une souplesse suffisante pour surmonter cette difficulté.

La foresterie en région aride se heurte à une autre contrainte. En effet, le boisement efficace de terres arides requiert souvent des techniques élaborées comme le labour profond, qui exige un matériel sophistiqué et coûteux. Ce sont là des travaux que bien souvent la collectivité locale n’aura ni les possibilités ni les moyens de faire. Bien que là, comme partout ailleurs, il est tout aussi nécessaire d’associer la population locale aux activités pour qu’elle se rende compte du rôle bénéfique de la forêt et de la nécessité de réserver la terre et de protéger la récolte forestière ultérieure, bien souvent la collectivité ne pourra se borner, en matière d’activités forestières, qu’à aménager la végétation existante, par exemple en assurant comme au Sahel le contrôle de l’utilisation et de la régénération en réglementant le pâturage. Il se peut qu’on doive fréquemment confier la foresterie aux services techniques officiels responsables.

Il est vraisemblable aussi que les activités locales ne pourront pas résoudre les problèmes techniques que soulèvent les terrains montagneux abrupts. Dans ces régions, où la difficulté réside surtout dans la stabilisation des sols et la prévention du ruissellement des eaux, l’établissement d’un couvert forestier sur certaines parties du bassin versant doit généralement s’accompagner de mesures comme la construction de terrasses pour permettre une production végétale stable en d’autres parties. Bien souvent, les agriculteurs n’ont pas les moyens de le faire. Pour construire des terrasses, par exemple, il faudrait en effet qu’ils abandonnent une culture. Il convient donc de leur dispenser le genre d’appui extérieur dont ils bénéficient par exemple au Java central par l’intermédiaire d’une assistance alimentaire et en Tunisie par l’intermédiaire de crédits et d’aide alimentaire.

Les problèmes techniques que suscite la pratique de la foresterie au niveau de la collectivité ne sont pas propres aux régions arides ou montagneuses. Bien qu’il y ait des cas où il existe une tradition sylvicole, comme au Soudan, ou des exemples attestant de la naissance ou de la propagation spontanée d’une telle tradition, comme dans certaines parties de l’Inde méridionale, de l’Afrique orientale et de la Sierra Andine, le plus souvent, toute pratique traditionnelle de l’aménagement forestier fait défaut dans tous le Tiers monde. Les agriculteurs ignorent donc tout de la sylviculture, des propriétés des différentes espèces, de leur aptitude à s’adapter à différents sites et usages, des techniques de plantation, des soins à donner aux arbres, des méthodes de récolte, etc.

Il n’est donc pas étonnant que les initiatives récentes les plus heureuses en matière de foresterie au service de la collectivité doivent leur succès à un système solide d’appui technique soutenu capable de fournir les conseils et inputs indispensables, comme le matériel de plantation, et d’assurer cet appui tout le temps nécessaire pour que la foresterie devienne une activité autonome dans une zone donnée.

Mais l’accès aux seuls techniques et inputs ne peut pas toujours suffire. Pour instaurer et mettre en oeuvre une activité forestière, la communauté peut avoir besoin d’une organisation interne nouvelle ou renforcée. C’est ainsi par exemple que pour instituer le système de production de bois de feu dans les villages en République de Corée, des associations forestières ont été créées dans chaque village pour exécuter le travail, l’ampleur de l’aide fournie à chacun d’eux étant fonction du niveau d’autodépendance atteint. En Thaïlande, ce même système a exigé la création d’institutions communautaires entièrement nouvelles. Quant à l’Inde, la sylviculture y a exigé jusqu’à présent des changements qui dépassaient généralement la compétence et le pouvoir du panchayat élu du village.

Un autre problème institutionnel se pose, celui de la sécurité de tenure de la terre. L’agriculteur ou la collectivité doit en effet être suffisamment sur que la terre sur laquelle il plante les arbres lui appartiendra encore au moment où ceux-ci seront en âge de produire. Ainsi, une des premières choses qui a été faite dans le cadre du projet philippin de production de bois à pâte par les petits exploitants a été de nantir chacun de ceux-ci d’un titre de propriété sur sa terre. Il faut signaler toutefois que l’on a eu en l’occurrence peu de mal à procéder de cette manière, les superficies en question étant classées comme terres forestières vacantes pouvant être aliénées et mises à la disposition de l’agriculture. Dans bien des régions du Tiers monde néanmoins la chose est beaucoup moins aisée. Dans de vastes zones, notamment en Amérique latine et en Asie du Sud, où la plupart des agriculteurs sont des exploitants à bail, l’insécurité de tenure des terres qui en résulte milite fortement contre des activités à assez long terme comme la sylviculture. Ailleurs, en particulier dans certaines parties de l’Afrique, les schémas et les traditions de l’utilisation des terres tribales ou communales ne prévoient aucune disposition permettant de s’en servir à d’autres fins, par exemple pour la foresterie qui exige qu’on les mette en réserve dans un but bien précis pendant des périodes assez longues. C’est pourquoi, dans bien des cas, il peut être difficile d’instaurer la foresterie sans au préalable réformer radicalement le régime foncier ou l’utilisation des terres.

L’absence de tradition forestière a des conséquences qui tendent à aller plus loin que la simple ignorance de la sylviculture ou le manque de cadres institutionnels appropriés pour la pratiquer. Elle va généralement de pair avec une tradition agricole profondément enracinée. D’où, inévitablement, un contraste marqué dans les attitudes à l’égard de la foresterie par rapport au comportement à l’égard de l’agriculture et de l’élevage. Mis à part les rapports harmonieux entre la forêt et ceux qui la peuplent, beaucoup des exploitants pauvres en milieu rural tendent à considérer cette dernière comme im élément négatif de l’environnement. Le colon, pour sa part, n’y voit qu’un obstacle au défrichement de ses terres qu’il doit éliminer au plus tôt, et un havre pour ses ennemis. Ce sont là points de vue qui peuvent persister sous une forme ou une autre longtemps après que la limite de la forêt s’est éloignée du voisinage immédiat de la collectivité. C’est ainsi que l’hostilité à l’égard des forêts et des arbres peut subsister dans des régions qui ont déjà souffert du manque de bois de feu et de poteaux de construction à cause des dommages occasionnés aux cultures par les oiseaux qui nichent dans les arbres.

D’autres attitudes et comportements inspirés par l’expérience passée tendent aussi à être hostiles à la forêt. Comme signalé plus haut, il y a une tendance très généralisée à considérer le bois comme un matériau abondant que l’on peut récolter à volonté. On méconnaît par ailleurs le rôle que jouent les arbres pour maintenir la fertilité du sol et l’on ne peut pas ou l’on ne veut pas reconnaître les conséquences des pertes de sol, des pénuries de combustible, etc. qui découlent inévitablement d’une destruction incessante du couvert forestier. Bien que, de toute évidence, ce comportement soit en partie du moins dû à la priorité du besoin présent sur le besoin futur, il tient souvent en partie à une certaine ignorance de l’inconnu. Pour les populations de la plupart des régions qui se heurtent maintenant aux conséquences de l’amenuisement ou de la disparition des forêts et de leurs produits, c’est là une expérience sans précédent. Rien dans leur passé ne peut les éclairer ni les avertir de ce qui va sans doute leur arriver jusqu’à ce que cela leur arrive vraiment. Il en va de même généralement pour l’influence de la forêt; des gens en effet peuvent avoir du mal à concevoir ou à admettre les effets bénéfiques de la foresterie tant qu’ils n’en profitent pas vraiment.

C’est pourquoi l’introduction de la foresterie ou le passage d’une utilisation destructive de la forêt à une utilisation rationnelle demandera souvent une modification profonde des attitudes et du comportement.

Nous n’entendons pas ressortir ici la vieille rengaine de la résistance paysanne au changement car les exemples abondent dans le monde entier qui prouvent que beaucoup de populations rurales sont capables d’évoluer profondément. Comme, toutefois, les populations sont fortement attachées à une certaine échelle de valeurs, elles s’arrangent généralement pour modifier les aspects de leur vie qui, à leurs yeux, sont les moins importants pour sauvegarder ce qu’elles considèrent comme capitaux. Plutôt que de changer leurs systèmes de production alimentaire, bien des villages ont opté pour des stratégies radicales en recourant par exemple à l’émigration temporaire des jeunes gens qui vont vivre en ville pendant plusieurs années, laissant souvent derrière eux femmes et enfants, pour envoyer à leur famille l’argent nécessaire à leur subsistance. Leur sacrifice est récompensé par la possibilité qu’ils ont de rentrer au pays pour y vivre le genre d’existence auquel ils sont habitués, encore que beaucoup d’entre eux soient trop profondément marqués par leur expérience pour retourner définitivement.

Il ne s’agit donc pas tant d’imposer le changement à des gens qui le refusent en bloc, mais de concilier les modifications techniques souhaitables avec les échelles de valeur qu’apparemment elles menacent. Toute solution volontairement acceptée suppose confiance de la part de la population et, de la part des promoteurs du développement, ingéniosité et compréhension de son mode de vie, faute de quoi il n’y a d’autre choix que d’imposer le changement à des gens qui n’en veulent pas, ce qui généralement est intolérable.

Amener la population à évoluer se heurte aussi à des contraintes d’un autre ordre, à savoir celles qui sont dues aux lacunes de la structure bureaucratique chargée de cette tâche. Certains de ces défauts sont communs à la plupart des bureaucraties: procédure rigide, interprétation des règlements plutôt que de l’esprit des règlements, formation insuffisante aux niveaux subalternes, arrogance de petits fonctionnaires, surtout à l’égard des pauvres, etc. On a aussi tendance à disperser l’effort du développement rural en le confiant à divers organes qui n’harmonisent pas et ne coordonnent pas leurs activités comme ils le devraient. Il importe que les programmes destinés à encourager la foresterie dans le développement rural ne contribuent pas à cette dispersion. La foresterie n’est en effet qu’une partie d’un complexe d’activités différentes qu’exige le développement rural. Sa contribution doit donc être intégrée à celle des autres secteurs pour être efficace.

Enfin, la foresterie présente certains traits particuliers qui n’en favorisent pas toujours une influence positive sur la collectivité. Comme on l’a déjà fait remarquer, le souci traditionnel qu’a la sylviculture de préserver la forêt, tout en l’aménageant de manière à l’orienter vers la production de bois pour l’industrie risque d’être en conflit avec les besoins des populations rurales qui en vivent et en dépendent. Cette attitude erronée se traduit généralement dans la structure et la dotation des effectifs des administrations forestières, ainsi que dans les priorités budgétaires de la foresterie. Elle se reflète aussi dans la formation classique des forestiers qui se retrouvent ainsi mieux armés pour traiter avec des arbres qu’avec des gens. Pour assurer sa propre part dans l’amélioration du sort des couches rurales pauvres, il est donc vraisemblable que la foresterie devra se réorienter radicalement depuis ses politiques jusqu’à ses bases techniques.


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