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L'emploi dans le secteur urbain informel des industries du bois: résumé d'études OIT

par

B. Strehlke
Secrétariat OIT, Genève

Introduction

A l'occasion de la première session de son Comité sur la foresterie et les industries du bois, l'OIT présenta un rapport portant sur les moyens de réaliser le plein emploi dans les industries du bois. L'information disponible pour la préparation du rapport concernait presque exclusivement le secteur formel. Cependant, compte tenu du fait que le secteur informel des industries du bois joue un rôle important dans de nombreux pays en développement, il fut proposé de recueillir des informations spécifiques sur cet aspect aussi de l'industrie. Un canevas fut préparé et envoyé à un certain nombre de bureaux extérieurs de l'OIT et, sur cette base, cinq études de cas furent réalisées, trois portant sur l'industrie du bois en général en Côte d'Ivoire, en Inde et au Pérou et deux sur la fabrication de meubles aux Philippines et au Mexique. Les résultats principaux de ces études sont résumés ci-dessous et concernent en premier lieu l'emploi urbain.

Résultats principaux

Caractéristiques générales du secteur Informel

Il n'existe pas de définition précise du secteur informel de sorte qu'il est difficile de comparer les études qui s'y rapportent. La production échappe normalement au contrôle du gouvernement et les statistiques officielles ne sont pas souvent disponibles. D'une manière générale, les entreprises emploient moins de cinq personnes et rarement plus de dix, les conditions de travail sont médiocres, les ateliers et l'équipement sont normalement très simples et les compétences techniques et les capacités de gestion tendent à être limitées. Le financement, les ressources en matières premières et la commercialisation posent souvent de gros problèmes mais, en dépit de cela, le secteur jouit d'une étonnante capacité de fournir des emplois et d'offrir des biens et services fondamentaux aux couches les plus pauvres de la population.

Au cours de périodes de récession économique, le secteur informel tend a manifester une forte vitalité, une capacité prononcée d'adaptation et beaucoup de dynamisme. Souvent il assure 50 pour cent et même plus de l'emploi urbain et joue également un rôle important dans l'emploi rural. C'est pourquoi au cours des dernières années ce secteur a fait l'objet d'un intérêt croissant en tant que moyen de répondre à une demande grandissante d'emplois.

Le secteur informel manque d'organisation au niveau tant de l'employeur que de l'ouvrier. Les organisations ouvrières du secteur formel déplorent les conditions de travail médiocres et les faibles salaires des entreprises informelles et recommandent que, dans le cadre des politiques de l'emploi, des mesures soient prises pour assurer le passage graduel de ces entreprises du secteur informel au secteur formel.

Néanmoins, dans les conditions actuelles de nombreux pays en développement, on ne voit aucun signe qui fasse supposer que des transferts importants auront lieu dans le court ou le moyen terme. Dès lors, dans la promotion du secteur informel et dans l'aide qu'on lui accorde on devra continuer à tenir compte de sa structure particulière.

D'ordinaire, le secteur formel se subdivise en petites, moyennes et grandes entreprises. A mesure que croît la taille de l'unité, le contrôle qu'exerce le gouvernement ainsi que ses efforts de promotion augmentent normalement. Les petites entreprises formelles doivent souvent affronter des problèmes semblables à ceux du secteur informel. Cependant la ligne de démarcation entre ces deux est représentée par le fait que le deuxième est laissé pratiquement à ses propres moyens alors que le premier jouit d'un accès facile à l'aide. Dans les zones urbaines, notamment, il existe des liens évidents entre les deux secteurs. En période de récession économique, lorsque le secteur formel est forcé de réduire sa main-d'œuvre, celle-ci peut être partiellement absorbée par le secteur informel de manière temporaire ou permanente. Les compétences acquises dans le secteur formel sont ainsi mises à profit dans le secteur informel. En outre, ce dernier travaille souvent en vertu d'accords de sous-traitance passés avec le secteur formel.

Lorsque l'activité industrielle est la transformation secondaire du bois, le gros de la production consiste souvent en meubles de base tels que chaises, lits, tables et armoires fabriqués sur commande et vendus sur place par le propriétaire de l'atelier lui-même, et rarement par l'entremise de commerçants. La plupart des acheteurs ont des moyens limités de sorte que la qualité et le prix des produits sont inférieurs à ceux du secteur formel. La réparation des meubles joue également un rôle important.

Dimensions du secteur Informel

En ce qui concerne le secteur de la transformation secondaire du bois, on dispose pour la Côte d'Ivoire de quelques analyses comparatives des secteurs formel et informel. Le premier a procuré, en 1974, 8 100 emplois et, en 1981, 7 139 emplois. Dans le secteur informel, l'occupation dans les villes de plus de 10 000 habitants s'élevait en 1976 à 3 487 emplois et atteignait 5 921 en 1984. Si l'on ajoute à ce chiffre 30 pour cent environ pour les zones rurales, il résulte que désormais le secteur informel a sans nul doute dépassé le secteur formel du point de vue du nombre d'employés et qu'il témoigne de bonnes perspectives de croissance, alors que dans le secteur formel l'emploi a fait preuve ces dernières années d'une certaine inactivité. En moyenne, un atelier du secteur informel fournit du travail à trois personnes, à savoir le propriétaire, un salarié et un ouvrier non salarié faisant normalement partie de la famille.

Pesée du bois pour la vente

Au Pérou une étude a été menée en 1984 sur le secteur informel de Lima. Sur un échantillon de 1 979 "mini" entreprises, 67 étaient engagées dans la menuiserie. Si l'on étend les résultats à la ville de Lima tout entière, on obtient un total de 8 110 ateliers informels de menuiserie employant en moyenne 2,5 personnes et procurant 20 275 emplois, à savoir quatre fois autant que le secteur formel du meuble ou deux fois autant que le secteur des industries du bois pour le pays entier. Ces emplois ont crû rapidement durant les années de récession économique, à savoir de 1965 à 1969 et de 1980 à 1984, lorsque le secteur formel s'est trouvé en crise. Il existe des liens évidents entre les deux secteurs puisque d'une part les ouvriers au chômage du secteur formel semblent se tourner vers celui informel et que d'autre part ceux employés dans le secteur formel font des heures supplémentaires dans des ateliers informels.

Au Mexique en 1975, 4 268 ateliers de fabrication de meubles, soit 84 pour cent, employaient cinq personnes ou moins. Certains de ces petits ateliers appartenaient au secteur formel alors que certains autres de plus grande taille présentaient les caractéristiques du secteur informel. Les informations statistiques disponibles ne permettent cependant pas une classification précise. A la suite de la récession économique, la production de meubles diminua de 25 pour cent entre 1981 et 1984. Il est probable que les petits ateliers ont eu moins à souffrir de cette réduction que les grands.

Aux Philippines, une enquête menée en 1978 a montré que sur 2 357 fabricants de meubles enregistrés, 1 718, soit près de trois quarts du total, employaient dix personnes au moins. La plupart de ces firmes étaient estimées appartenir au secteur informel.

En Inde, dans la zone urbaine de New Delhi, le nombre d'ouvriers dans les industries du bois s'élevait en 1980 à 9 865 dont 25,7 pour cent travaillaient dans des ateliers ayant de un à deux employés, 49,9 pour cent dans des unités de 3 à 9 employés et seuls 24,4 pour cent dans des entreprises de 10 employés ou davantage. Le secteur informel procure bien plus d'emplois que le secteur formel et représente dans ce domaine une source indispensable de produits ligneux économiques pour la population de New Delhi.

Caractéristiques des ouvriers et des conditions de travail

Le niveau d'éducation des personnes employées dans les ateliers de menuiserie informels est normalement faible. En Côte d'Ivoire 67,2 pour cent des ouvriers n'ont jamais été à l'école. D'ordinaire la formation à la menuiserie se fait sur le tas. L'étude sur le Pérou a indiqué que 37,3 pour cent des propriétaires d'ateliers avaient acquis quelques connaissances techniques au cours d'un emploi précédent dans le secteur formel, 34,3 avaient été formés par des membres de leur propre famille et seuls 3 pour cent avaient reçu une formation professionnelle proprement dite. Le pourcentage de jeunes ouvriers paraît élevé et beaucoup d'entre eux sont considérés comme des "apprentis". Au Mexique, 47 pour cent des gens qui travaillent dans le secteur informel ont de 12 à 24 ans alors que pour le secteur informel ce chiffre s'élève à 25 pour cent. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles le roulement du personnel est si élevé. Aux Philippines les ouvriers ne restent dans le secteur informel que pendant cinq ans en moyenne.

Les conditions de travail de ce secteur sont caractérisées par un maigre salaire, l'absence d'assurances sociales, des risques élevés d'accidents, un travail physique pénible et prolongé et un horaire irrégulier. En Côte d'Ivoire la semaine de travail varie de 40 à plus de 100 heures, la moyenne se situant à 66. Au Mexique 40 pour cent des employés du secteur informel reçoivent moins de 50 pour cent du salaire légal minimal, alors que 63 pour cent des ouvriers du secteur formel gagnent plus de deux fois autant. Souvent les petits entrepreneurs font semblant d'ignorer tant la nécessité d'améliorer les conditions de travail que l'augmentation de la productivité, et la satisfaction de la tâche accomplie qui en résultent.

Problèmes fondamentaux et solutions possibles

Le problème majeur auquel se heurte le secteur informel est celui du financement. La plupart des propriétaires ne tiennent pas de registres et n'ont pas accès au crédit bancaire. Le financement provient donc normalement de leurs propres ressources ou de prêts de parents et d'amis, comme c'est le cas au Pérou (77,6 pour cent et 7,5 pour cent respectivement). Mais ce sont les prêteurs sur gages privés qui constituent normalement l'attraction principale et qui exigent d'habitude des intérêts très élevés.

Le capital industriel fixe est très modeste et ce, en grande partie parce que les sources de financement "informel" ne permettent pas de mobiliser de fortes sommes. Pour 30 dans 67 entreprises de menuiserie péruviennes examinées, ce capital équivalait à moins de 967 $ E.U. et dans seuls cinq cas il s'élevait à plus de 9 678 $ E.U. Dans la plupart des ateliers, les entrepreneurs doivent se contenter d'outils simples ou acheter un équipement très rudimentaire, souvent d'occasion. Des problèmes se posent également en ce qui concerne le pièces détachées et l'entretien. Parmi les fabricants de meubles enregistrés aux Philippines, 12,1 pour cent possèdent des outils électriques portatifs. Au Pérou, même les ateliers les plus modestes emploient généralement des outils électriques portatifs pour les opérations de sciage, perforage et ponçage et disposent d'un petit tour ou d'une simple raboteuse. Ailleurs, on ne trouve que rarement des appareils actionnés électriquement et les simples outils à main sont de règle.

Les problèmes d'approvisionnement en bois utilisable comme matière première sont courants, notamment en zones urbaines. Le bois qui est disponible est rarement sec et les entrepreneurs n'ont qu'une connaissance superficielle des différentes essences, de leurs utilisations spécifiques et de leurs techniques de traitement. Les prix tendent à être élevés c'est pourquoi l'on utilise souvent du bois de rebut provenant de matériaux d'emballage. Cependant, quelques entrepreneurs achètent du bois raboté et coupé à la longueur voulue.

En ce qui concerne les moyens de résoudre les problèmes du secteur informel et les mesures à prendre pour renforcer ses activités, les avis concordent sur la plupart des domaines prioritaires, à savoir l'approvisionnement en matières premières, le crédit et la formation. Cependant les améliorations à apporter varient en fonction des conditions locales. Le protagoniste est naturellement le propriétaire de l'atelier et dans de nombreux cas la meilleure façon de se pencher sur ses problèmes consiste à collaborer avec lui. L'aide institutionnelle est sans nul doute souhaitable, à condition qu'elle soit souple et sache respecter l'environnement particulier où opère le secteur informel.

En ce qui concerne l'approvisionnement en matières premières, la constitution de chantiers de bois serait d'une grande utilité car les prix et la qualité du matériau sont raisonnables et le bois peut être coupé sur mesure et séché. Ces chantiers pourraient également rassembler, trier et distribuer les déchets des scieries qui trouvent encore de nombreuses utilisations dans le secteur informel.

Il faudrait rendre le crédit accessible en des termes et à des conditions qui conviennent non seulement aux ateliers de menuiserie mais encore à l'ensemble du secteur informel. Ou pourrait l'accompagner de notions fondamentales de comptabilité et de gestion générale d'une entreprise. L'intervention des institutions publiques serait essentielle pour la prise en charge de ces questions.

Pour ce qui est de la formation il est clair que le secteur informel appelle des méthodes simples, accessibles aux entrepreneurs, aux "apprentis", et aux ouvriers. L'accent devra être mis sur l'instruction de courte durée dans les ateliers mêmes; elle portera sur des activités spécifiques où de modestes changements peuvent accroître la productivité, rationaliser l'emploi de la matière première, réduire le temps d'inactivité des machines, relever la qualité du produit et promouvoir de meilleures conditions de travail.

A long terme, il conviendra d'adopter, à l'appui du secteur informel, des mesures juridiques qui favorisent une productivité accrue et des conditions de travail plus acceptables, facilitent les procédures administratives et réduisent les contraintes qu'exercent des impôts excessifs.

Enfin, les organisations ouvrières et d'employeurs du secteur formel de l'industrie du bois ne devraient pas considérer le secteur informel comme un corps étranger, engagé dans une concurrence déloyale à leur égard et dans des activités clandestines soumises à des conditions de travail inacceptables, mais comme un partenaire cherchant à s'intégrer à l'industrie pour le bien de la communauté tout entière.

Conclusions

Les résultats des études de cas, encore qu'ils portent davantage sur le contexte urbain que sur celui rural, suivent de près les grandes lignes du rapport FAO sur l'apport des petites entreprises de traitement des produits forestiers à l'emploi rural non agricole et au revenu dans certains pays en développement publié en 1985.1/ En fait, le rapport de la FAO se fonde essentiellement sur des données concernant de petites unités de moins de cinq employés qui seraient normalement considérées comme des entreprises informelles, selon la définition des études de l'OIT.

1/ The Contribution of small-scale forest-based processing enterprises to rural non-farm employment and income in selected developing countries. Document FO:MISC/85/4, FAO, Rome (1985).

Il semble que diverses approches soient nécessaires pour affronter les problèmes des secteurs formel et informel et on devrait examiner et approfondir cette question.

Etant donné la rareté des renseignements disponibles sur le secteur informel dans les industries du bois, les informations contenues dans les études de l'OIT seront réunies et publiées avec le maximum de détails. Il a en outre été prévu de compléter, autant que faire se peut, ces études et d'en préparer le suivi dans le cadre des activités opérationnelles actuelles de l'OIT.

L'un des domaines qui mérite également une attention particulière dans ce contexte est celui du sciage de long qui continue de jouer un rôle important dans bien des pays en développement et qui approvisionne en matières premières les menuisiers ruraux et les fabricants de meubles.

Résumés d'études de cas préparées par l'OIT

Mertens, L:

Le secteur informel dans la fabrication de meubles en bois au Mexique.

Salas Ciminago, E.:

L'emploi dans les secteurs formel et informel des industries du bois au Pérou.

Lantican, C.B. et al:

Rapport sur l'emploi dans le secteur informel de l'industrie du meuble en bois et de la menuiserie aux Philippines.

Anderson, R.:

Emploi dans les secteurs formel et informel des industries du bois en Côte d'Ivoire.

Kacker, B.N. et Darwar, J.S.:

Emploi dans les industries du bois, notamment dans le secteur informel.



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