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Chapitre 2
ETUDES DE CAS DE PROJETS NIGERIENS DE FORESTERIE ET RESSOURCES FORESTIERES (continuer)

Etude de cas 2
BRISE-VENT, AGROFORESTERIE ET GESTION DE L'ENVIRONNEMENT — VALLEE DE MAJJIA

Introduction

Le projet de brise-vent de la vallée de Majjia représente une anomalie parmi les projets de développement procédant du haut vers le bas. Les brise-vent ont été plantés, en dépit d'une résistance locale initiale, pour mettre en œuvre une décision du Service forestier. Ils ont bien poussé et n'ont cessé de protéger efficacement les champs de la vallée contre l'érosion éolienne. Dès 1987, en dépit de ce qu'il en a coûté à certains — principalement aux femmes haoussa du pays — qui auparavant faisaient paître leur bétail dans la vallée, ces plantations d'arbres avaient efficacement éliminé le problème de l'érosion éolienne dans toutes les zones ayant bénéficié de ce traitement. Les rangées de brise-vent ont continué à être étendues le long de toute la vallée, et il semble que l'objectif du projet sera atteint pour la vallée toute entière, en l'an 2000 au plus tard.

Dans l'intervalle, trois nouveaux problèmes ont surgi. Ils sont tous les trois sérieux, et menacent de compromettre le succès indéniable des activités de brise-vent. Il s'agit de:

La présente section se propose d'analyser le projet de la vallée de Majjia, à l'aide des quatre catégories du schéma analytique, c'est-à-dire : attributs des biens et des services, institutions,interactions et résultats. La première partie, Brise-vent, analyse le problème original d'érosion éolienne et les mesures prises pour s'y attaquer. La seconde partie, Récoltes sur les brise-vent, évalue les problèmes d'entretien des brise-vent, notamment leur protection, les récoltes périodiques et la répartition des produits récoltés. La troisième partie, Brise-vent et gestion de l'environnement dans la zone de la vallée, abordera les problèmes dérivant de la nécessité d'élargir la portée de l'étude de gestion de l'environnement, des brise-vent du fond de la vallée proprement dit, au captage des eaux et au contrôle du ruissellement sur les flancs de la vallée et sur le plateau qui l'entoure. La quatrième partie, Arrangements institutionnels pour la construction et l'entretien des ouvrages hydrauliques et de la couverture végétale, analyse les conditions institutionnelles nécessaires pour renforcer les liens entre l'entretien des brise-vent et les activités plus vastes de gestion de l'environnement, notamment le captage des eaux, le contrôle du ruissellement, et la maîtrise de l'érosion hydrique, dans la région de Majjia — toutes ces activités formant les conditions d'une productivité agricole soutenue.

Brise-vent
— Phase de mise en place (1975–84)

VUE D'ENSEMBLE

La phase initiale du projet de brise-vent de Majjia — qui n'est pas encore achevée — a commencé en 1974 par la création de pépinières pour produire des jeunes plants destinés aux brise-vent. Les premiers arbres ont été plantés durant la saison des pluies de 1975, dans la partie nord de la vallée de Majjia. Cette vallée, qui s'étend sur 100 kilomètres, est formée par un cours d'eau saisonnier; elle se trouve entre Bouza et Birnin Konni, dans la partie sud du département de Tahoua. Sa largeur varie entre trois et cinq kilomètres et elle est constituée de riches terrains alluviaux; au cours des années 70, un régime de crues favorable rendait possible sur toute la longueur de la vallée une agriculture de décrue, lucrative, pratiquée durant la saison sèche.

Les brise-vent ont été conçus pour apporter la solution à un grave problème d'érosion, dû à des vents persistants et violents qui s'engouffrent dans la vallée de Majjia durant la saison sèche de novembre à mai. Autrefois, une couverture dense de végétation forestière locale — arbres et buissons — protégeait les flancs et le fond de la vallée contre les effets des vents déchaînés. Mais, à partir des années 30, une grande partie des ressources forestières ont été détruites, lorsque les exploitants agricoles ont défriché des terrains pour créer des champs sur les pentes, puis dans le fond de la vallée. Dès 1974, les vents saisonniers dénudaient les meilleurs sols et les plus productifs, les arrachant de la surface, ce qui menaçait sérieusement le potentiel agricole de ces riches bas-fonds.

Avec l'aide d'un volontaire du Corps de la paix, celui qui était alors chef forestier, Daouda Adamou, a proposé le projet des brise-vent à l'organisation non gouvernementale CARE et en a obtenu le financement. Les deux forestiers ont organisé des pépinières pour la production de neems (Azadirachta indica) destinés aux brise-vent et de plants de prosopis (Prosopis juliflora) pour des haies vives. Les forestiers se sont ensuite efforcés de convaincre les exploitants agricoles de la vallée que les brise-vent reposaient sur une base technique solide, et qu'ils ne constituaient pas la brèche d'entrée, dans le cadre d'un plan du gouvernement qui chercherait à les déposséder en établissant sur leurs champs des droits de propriété liés aux arbres. Au début du projet, les arbres devaient être plantés à raison de 20 km par an, en doubles rangées formant brise-vent; ce taux de plantation a été fortement augmenté plus tard, avec le plus grand succès. Mais, la composante haies vives a été abandonnée à la fin des années 70.

Les exploitants agricoles étaient tout d'abord sceptiques sur la valeur des brise-vent. N'ayant pas eu d'expérience préalable en ce qui concerne cette forme d'agroforesterie, ils s'inquiétaient naturellement des problèmes associés aux brise-vent que les forestiers auraient pu ne pas prévoir. Le problème posé actuellement par les neems est qu'ils fournissent un refuge en saison sèche à des aphidés destructeurs des récoltes; cette invasion, devenue un vrai fléau dans la partie sud de la vallée, prouve que le scepticisme des paysans était bien fondé.

Daouda a essayé de calmer les craintes concernant une revendication possible de droits de propriété en assurant les villageois du premier groupe de villages à brise-vent — Garadoumé Hayi, Garadoumé Kware, et Garadoumé Lougou — que les arbres plantés leur appartiendraient. Mais lorsque Kadri Hama a remplacé Daouda au poste de chef forestier de Bouza en 1979, il a traité les arbres comme étant la propriété d'un projet-gouvernement. Une enquête de 1984, menée parmi les habitants de la vallée, a indiqué que 88 pour cent de ceux-ci pensaient que les arbres des brise-vent appartenaient au forestier.1 Néanmoins, tout bien considéré, les exploitants agricoles de la vallée semblent maintenant nettement favorables aux brise-vent.2

La procédure standard pour la création de brise-vent a été mise au point par le Service forestier de Bouza durant la période allant de 1974 à maintenant. Les jeunes plants sont produits dans des pépinières situées en plusieurs points de la vallée. Les rangées d'arbres sont établies d'une manière bien ordonnée, tout d'abord en allant du nord vers le sud, mais plus récemment un second front de plantations a été établi dans le Sud, pour accélérer la réalisation du travail. Les agents forestiers demandent généralement aux villageois, dans les régions où se font chaque année les plantations, quels types d'arbres ils veulent avoir dans les brise-vent. En pratique, le choix s'est limité au neem et à l'Acacia nilotica, ssp. scorpioides.

Les plans des rangées d'arbres sont établis par les forestiers de façon à ce qu'elles s'étendent à un kilomètre au moins du canal principal de la rivière Majjia, dans une direction perpendiculaire et à des intervalles de 100 mètres. Une fois les lignes de plantation marquées, les agents forestiers convoquent les villageois du voisinage immédiat (habitants d'un ou plusieurs villages et hameaux) pour qu'ils creusent des trous, sous leur supervision, le long des lignes marquées. Un peu plus tard, une fois que la saison des pluies est vraiment commencée, les mêmes villageois sont de nouveaux convoqués pour planter les jeunes plants. Les arbres sont plantés en rangées doubles, en assurant dans chaque rangée un espacement de 4m × 4m.

Lorsque les arbres ont été plantés, les gardiens locaux, choisis par les forestiers et payés grâce aux fonds de CARE, sont embauchés pour faire des rondes le long des rangées de brise-vent jusqu'à ce que les arbres soient assez hauts pour échapper à la pression des animaux cherchant à brouter. Les arbres poussent rapidement et, en général, après seulement cinq ans, aucun type de bétail local, sauf les chameaux, ne les met en péril. Jusqu'à ce qu'ils aient atteint cet âge, les gardiens tiennent les animaux éloignés de la vallée durant la journée. Durant les nuits de la saison sèche, il arrive toutefois que des éleveurs Foulbé avec des troupeaux transhumants mènent leurs animaux dans les zones des brise-vent sans que les gardiens ne s'y opposent. Lorsque les arbres d'une zone ont atteint une taille suffisante pour ne plus avoir besoin de protection, en général lorsqu'ils ont atteint une hauteur de cinq à six mètres, les animaux, à l'exception des chameaux, sont de nouveau admis et ils peuvent fourrager librement dans cette partie des bas-fonds de la vallée durant la saison sèche.

En 10 ans, les arbres atteignent une hauteur de 10 mètres ou plus. Les cimes se rejoignent entre les rangées, formant une barrière qui pousse vers le haut le vent qui passe, protégeant facilement l'espace de 100 mètres qui se trouve sous le vent par rapport à chaque rangée d'arbre. Les arbres grandissant, leurs cimes s'étendent. A la fin, la croissance horizontale projette de l'ombre sur les zones à proximité immédiate des rangées, ce qui réduit la productivité des cultures ou même rend impossible l'exploitation de ces zones. Pour pallier cet inconvénient, les arbres peuvent être élagués vers le haut du tronc (étêtage) ou à la base du tronc (recépage). On préfère l'étêtage parce que les arbres n'ont pas à être protégés du bétail durant leur régénération, puisque les nouvelles branches poussent à quelque trois mètres du sol. Durant la saison qui suit immédiatement une opération d'étêtage, il y a une poussée de production dans les zones proches de la rangée d'arbres, précédemment ombragées. Cet avantage temporaire disparait lorsque la cime s'épaissit de nouveau, et recommence à faire de l'ombre.

Les systèmes racinaires bien développés des arbres arrivés à maturité encouragent une repousse rapide. Les essais démontrent que les brise-vent doivent être récoltés tous les quatre ans, et même plus fréquemment pour maintenir la productivité des cultures dans les champs des vallées. Le bois produit par les coupes d'étêtage représente une ressource de valeur pour les habitants de la vallée et pour d'autres, comme on va le voir ci-dessous.

ATTRIBUTS DES BIENS ET SERVICES

En tant que système de ressources naturelles, les brise-vent engendrent un ensemble complexe de biens. Ils produisent à la fois des services sur place et des produits de consommation. De la façon dont ils sont disposés dans les champs — quelque 400 kilomètres de formations en doubles rangées en 1987 — les brise-vent produisent des services sur place qui sont de nature principalement publique. Les arbres agissent comme des chicanes pour le vent, provoquant la turbulence et ralentissant les courants d'une manière qui améliore sensiblement le microclimat sur les terres protégées. Il est difficile d'exclure les gens qui exploitent les terres des zones protégées par les arbres, de la jouissance des bénéfices sur place produits par les brise-vent, que ces arbres soient ou non situés sur les terres exploitées. La consommation des bénéfices, par ceux qui font usage de la zone protégée, est conjointe ou non compétitive. L'amélioration des rendements des cultures ou jardins dont jouit l'exploitant X dans ses champs protégés ne réduit pas le même bénéfice obtenu dans les champs adjacents de l'exploitant Y, protégés par les mêmes brise-vent.

Les produits consommables engendrés par les brise-vent ont en revanche les caractéristiques de biens d'accès libre ou de propriété commune. Les neems produisent des poteaux de charpente, du bois de chauffage et un peu de brout. Plusieurs autres essences, spécialement l'Acacia nilotica, sp. scorpioides, produisent des graines et des gousses qui contiennent de forts pourcentages de tanin, utilisé localement pour le tannage des peaux. On pourrait planter d'autres arbres dans les brise-vent pour produire toute une gamme de produits supplémentaires, par exemple des fruits, des noix, des écorces pour confectionner des cordes, des produits médicinaux, du brout, etc… Tous ces biens consommables sont séparables au plus haut point, et sont consommés séparément. L'exclusion des consommateurs potentiels, par le biais d'une certaine forme de technique de clôture, représente toutefois un problème ardu. On pourrait envisager d'entourer les rangées d'arbres, mais pour ceci il faudrait à l'heure actuelle quelque 800 à 900 kilomètres de clôture. Le coût du fil de fer barbelé importé est prohibitif. De nombreuses solutions de remplacement comportant des haies vives sont inacceptables parce qu'elles soustrairaient à l'agriculture un supplément de terrains riches difficiles à trouver, et exigeraient beaucoup d'efforts pour la mise en place et l'entretien.

Etant donné le mode actuel d'utilisation des terres dans la vallée de Majjia, les arbres des brise-vent ont les caractéristiques de biens d'accès libre durant les sept mois de la saison sèche. Des groupes pastoraux locaux et transhumants, changeant sans cesse, ainsi que des exploitants agricoles locaux se déplacent régulièrement à travers la vallée, et en l'absence de contrôles, ont l'habitude de consommer les ressources des brise-vent dont ils tirent du bois de chauffage, des matériaux de construction, des aliments pour animaux, etc. Tant que les pasteurs en transhumance peuvent trouver de l'eau pour leurs animaux, ils peuvent les conduire où ils veulent durant la saison. Les éleveurs de bétail locaux peuvent faire de même ou simplement laisser vagabonder leurs animaux pour qu'ils trouvent eux-mêmes du fourrage.

Durant la saison des cultures, les animaux sont tenus à l'écart des champs, mais les habitants du pays continuent à circuler librement dans toute la zone, en poursuivant leurs tâches agricoles quotidiennes. Durant cette période du cycle annuel, les arbres ont davantage les caractéristiques de biens privés : l'exclusion est moins difficile parce que les exploitants, tout en cultivant leurs champs, peuvent surveiller d'une manière non officielle les activités autour des brise-vent; c'est là un bénéfice secondaire et gratuit de leur travaux agricoles. Il est donc possible de réduire le groupe d'usagers potentiels de produits consommables. Les figures 12a et 12b (voir aux pages 67 et 68) illustrent la nature saisonnière des attributs des biens et services tirés des brise-vent.

INSTITUTIONS REGISSANT LES BRISE-VENT

Exception faite des engagements pris en 1974 à Bouza par le chef forestier de l'époque, Daouda Adamou, promettant aux exploitants des trois villages de Garadoumé où l'on avait planté les premiers brise-vent que les arbres des brise-vent dans les rangées leur appartenant, deviendraient leur propriété privée, le projet des brise-vent de Majjia a été conçu et exécuté en tant qu'effort de création d'un bien public. Ce bien est la gestion améliorée de l'environnement, qui résulte de la protection des terres agricoles de la vallée contre l'érosion éolienne. Dans le cadre du domaine de ce bien — les champs protégés — aucun exploitant agricole ne peut être exclu des bénéfices dérivant du microclimat amélioré, résultat des brise-vent arrivés à maturité. La consommation des bénéfices des brise-vent devient conjointe ou non compétitive.

Les règles dont la structure sous-tend le développement et la gestion de ce bien public, telles qu'elles ont été mises au point par les forestiers de Bouza, les conseillers de CARE et d'autres responsables qui se sont succédés, reconnaissaient clairement la différence entre la prise de dispositions (prévision) et la production de ce bien public. Ces règles reconnaissent implicitement la nécessité de charger une juridiction publique de la prise de dispositions afin d'éviter les problèmes que constituent les pique-assiette. De même, elles mettent en évidence que le Service forestier, ainsi que CARE, se rendaient compte que les règles n'étaient pas d'une application automatique, et que la réussite du projet était liée à la capacité de promulguer et faire respecter des règles de protection.

Les règles étaient les suivantes: le Service forestier établissait une juridiction spéciale de facto pour la création et la gestion de brise-vent dans la vallée de Majjia. Les frontières de la juridiction spéciale s'élargissaient parallèlement à l'avance des rangées de brise-vent. Les responsables officiels de la juridiction étaient le chef forestier de Bouza, ses subordonnés, et les gardiens locaux qu'ils embauchaient dans la vallée pour faire des rondes de surveillance autour des rangées de brise-vent. Les responsables officiels étaient nommés et non élus. Ils contrôlaient les activités des gens de la vallée pour tout ce qui concernait les brise-vent.

Les règles de protection stipulaient que le bétail devait être tenu à l'écart des zones plantées de brise-vent jusqu'à ce que les forestiers jugent les arbres suffisamment bien établis pour supporter la pression du broutement. Durant les cinq ou six années qui se sont écoulées entre la plantation des jeunes plants et la réouverture du fond de la vallée comme zone de pacage pour la saison sèche, les propriétaires d'animaux surpris dans les zones interdites ont dû payer une amende aux forestiers, par l'intermédiaire des gardiens, pour faire sortir leurs animaux de la fourrière. Les zones plantées tout au début — autour des villages de Garadoumé dans la partie nord de la vallée — ont été de nouveau accessibles au bétail vers le début des années 80. Une période d'essai a révélé que les chèvres, les moutons et les bovins ne pouvaient endommager les arbres ayant atteint la maturité. Les chameaux, toutefois, pouvaient contrarier l'effet de brise-vent en broutant et détruisant les branches des neems jusqu'à une hauteur de 12 pieds (3 m 60). Ceci créait un effet de tunnel de soufflerie sous les arbres, aggravant sérieusement l'érosion du sol. En conséquence, les chameaux ont été bannis en permanence des zones de brise-vent.

Il se peut que, même après l'établissement des arbres, les négociations concernant la protection des brise-vent ne soient pas terminées3. Il semble qu'à l'heure actuelle, la règle impose à ceux qui possèdent les champs où poussent les arbres brise-vent, le devoir de protéger les arbres sur leurs terres. Les propriétaires devront être considérés responsables du remplacement des arbres endommagés mais il n'apparaît pas clairement comment cela peut être appliqué dans la pratique.

Figure 12a
Types de biens et services

PROJET DE LA VALLEE DE MAJJIA
Brise-vent

Saison de pousse
Propriétaires travaillant dans leurs champs près des brise-vent

 FACILITE D'EXCLUSION 
 DifficileFaisable 
  Avantage secondaire gratuit des travaux de culture et de récolte 
 Biens et services publicsBiens et services à péage 
Conjointe(sur le site)  
CARACTERE DE LA CONSOMMATION-protection contre l'érosion éolienne  
   
Biens et services d'usage communBiens et services privés 
Séparable (sur le site) 
  -pompage éléments nutritifs 
  -horticulture améliorée 
  (produits de consommation) 
  -bois de chauffage 
  -poteaux et poutres 
  -brout 
  -tanin 
    

Figure 12b
Types de biens et services

PROJET DE LA VALLEE DE MAJJIA
Brise-vent

Saison sèche
Propriétaires étant rarement dans leurs champs près des brise-vent

 FACILITE D'EXCLUSION 
 DifficileFaisable 
 A moins d'une surveillance permanente (clôtures d'épineux locaux non disponibles)  
 Biens et services publicsBiens et services à péage 
Conjointe(sur le site)  
CARACTERE DE LA CONSOMMATION-protection contre l'érosion éolienne  
Biens et services d'usage communBiens et services privés 
SéparableAccès libre(sur le site) 
 (produits de consommation)-pompage éléments nutritifs 
 -bois de chauffage-horticulture améliorée 
 -poteaux et poutres  
 -brout  
 -chaume/résidu de récolte  
 -tanin  
     

Au début de la phase d'établissement des arbres, les règles d'usage étaient simples. L'usage des arbres pour la consommation humaine était interdit d'emblée parce que personne ne pensait que les arbres deviendraient trop grands. Ce fut seulement au début des années 80 que l'on se rendit compte de la nécessité d'effectuer des récoltes systématiques. Les règles régissant les récoltes sont encore en pleine évolution. On peut citer cependant les principales d'entre elles:

La Figure 13 (voir page ci-contre) met en évidence les transactions d'autorisation entre les propriétaires de champs et les autres ayant droit aux biens résultant des brise-vent.

INTERACTIONS

Les brise-vent ont été régulièrement étendus, en commençant avec la première saison de plantation, au cours de l'été 1975, et en allant de la partie nord de la vallée vers le sud dans la direction de Birnin Konni. Dès 1978, le projet était de mieux en mieux accepté dans la vallée, avec la maturation des arbres qui atteignaient une taille telle que les premiers bénéfices de la protection résultant des brise-vent devenaient évidents. Kadri Hama, le nouveau chef forestier, a continué les plantations de brise-vent mais en les faisant reposer sur le principe d'un ferme contrôle par le Service forestier. Les villageois étaient convoqués pour aider au tracé de bornage, à la préparation du terrain et à la plantation, et étaient en général rémunérés pour leur travail par le biais des «vivres-contre-travail» du PAM. C'est là que cessait leur engagement actif.

Selon les règles mises au point durant le premier stade du projet, des gardiens locaux ont été embauchés pour protéger les jeunes plants; ils faisaient des rondes et empêchaient le bétail de venir brouter là où on avait planté des brise-vent. Avec l'appui du forestier, ces gardiens ont adopté le système standard qui consistait à mettre en fourrière les animaux errants pris dans les zones interdites jusqu'à ce que leurs propriétaires paient une amende pour les récupérer. Un certain nombre d'habitants de la vallée ont eu à payer une amende ou, si cela pouvait s'arranger, un potde-vin moins coûteux. Si ces cas mineurs de corruption représentaient un léger problème, leur existence ne faussait pas réellement le système de protection et ne compromettait pas son efficacité.

Le système présentait quelques faiblesses. Les pasteurs transhumants Foulbé entraient parfois dans la vallée de nuit avec leurs animaux durant la saison sèche, et les laissaient paître dans les rangées de brise-vent, tandis que les gardiens étaient chez eux dans leurs villages. Les animaux à la recherche de fourrage détruisaient certains arbres, qu'ils consommaient en même temps que les résidus de récoltes.

Figure 13
Transactions d'autorité

PROJET DE LA VALLEE DE MAJJIA:
Brise-vent arrivés à maturité – après 1984

 CORRELATIONS ET EQUIVALENCES
 Citoyen ACitoyen B Citoyen ACitoyen B 
 Propriétaire champAutres ayant droit Autres ayant droitPropriétaire champ 
VALEURS RECIPROQUES ET LIMITESDroitDevoir DroitDevoir 
Que les autres ayant droit évitent dommages, coupes sur arbres, ou récolte des produits sauf conformément au plan de gestion; droit de garder un quart de la récolte quadriennaleD'éviter d'endommager ou couper arbres ou récolter produits des arbres sauf conformément au plan de gestion; de laisser au propriétaire de champ un quart du produit des arbres coupé lors de récolte quadriennale Que le propriétaire du champ protège les arbres, remplace ceux perdus par récolte illicite, et cède les trois quarts du bois récolté dans le champ aux autres ayant droitDoit respecter le plan de gestion, protéger les arbres, remplacer ceux perdus par récolte illicite sur son champ; doit céder trois quarts du bois récolté dans le champ aux autres ayant droit 
VulnérabilitéLiberté VulnérabilitéLiberté 
Concurrence avec les autres ayant droit pour bois mort, graines, etc. tombés des brise-vent dans son champ, dommages par insectes aux cultures; effets sur les prix de l'écoulement par les ayant droit publics ou privés des trois quarts de la récoltePeut ramasser du bois mort, des graines, etc. tombés des brise-vent dans le champ du propriétaire; peut écouler à son gré quote-part personnelle de récolte et discuter de la répartition des trois quarts selon ses préférences Concurrence avec propriétaire du champ pour bois mort, graines, etc. tombés des brise-vent; dommages aux cultures causés par insectes refugiés dans arbres du champ du propriétaire; effets sur les prix de l'écoulement par propriétaire de sa part (un quart)Vis-à-vis de l'ordre de son frère de faire appliquer la régle d'accès à parcelle contre non propriétaires récoltant du bois tombé durant trois mois de l'année 
   

Cependant, en général, le système marchait assez bien étant donné les conditions sylvicoles extraordinairement favorables caractérisant la vallée, de sorte que les mesures de protection ont pu être levées après cinq ou six ans. Les arbres croissaient rapidement. Ceux qui ont été détruits durant les premières années ont été vite remplacés et les brise-vent ont rapidement constitué des ceinturesabris d'une grande efficacité. Au cours de la première période, lorsqu'on a ouvert de nouveau les zones de brise-vent à l'accès du bétail, les chameaux sont venus paître à côté des autres animaux. Leur grande taille leur permettait toutefois de brouter et d'arracher des branches en remontant très haut sur les troncs, créant ainsi de grandes ouvertures dans les brise-vent. Les forestiers ont décidé de bannir d'une façon permanente les chameaux du fond de la vallée de Majjia, pour les empêcher de détruire les arbres des brise-vent.

RESULTATS

La mise en place de brise-vent a modifié les modalités d'utilisation des sols dans les zones protégées de la vallée de Majjia pendant une période de huit ans environ pour une zone donnée, période durant laquelle les arbres sont en cours d'établissement. Les efforts déployés pour protéger les jeunes arbres en écartant le bétail des bas-fonds où sont établis les plants, polarisent les schémas d'utilisation en saison sèche contre l'élevage et en faveur de la culture (agriculture de décrue et horticulture). Dans la mesure où les animaux à la recherche de fourrage sont effectivement maintenus hors de la vallée, les coûts de la protection de l'agriculture de saison sèche et des cultures maraîchères sont énormément réduits. Il devient possible de cultiver sans enclore la culture.

La propriété foncière dans les zones protégées prend la forme d'une mosaïque composée de pièces aux différences accentuées, en taille comme en configuration. L'imposition de brise-vent en double rangée et en ligne droite sur cette mosaïque, réduit davantage la surface de terres arables pour certains exploitants que pour d'autres. En fait, certains petits propriétaires ont rapporté qu'ils avaient perdu plus de 25 pour cent de leurs champs situés dans la vallée, superficie cédée aux brise-vent une fois que ceux-ci sont arrivés à maturité. L'iniquité d'une telle répartition des coûts — calculés en superficie agricole utile abandonnée par les exploitants — n'a nullement été compensée par le Projet de brise-vent de la vallée de Majjia durant le début de la phase d'établissement. En fait, les forestiers qui guidaient la mise en place du système ne semblaient pas avoir conscience de cet effet secondaire négatif involontaire de leur programme d'agroforesterie. (Une forme de compensation que n'avait pas initialement prévue le projet est décrite plus loin).

La plupart des exploitants ont reconnu la nécessité des brise-vent une fois que leurs effets positifs sont devenus apparents. Ceux qui avaient souffert de réductions de la valeur nette de leur production agricole semblent avoir accepté la perte de superficie cultivable comme une iniquité contre laquelle ils sont sans recours. Il se peut qu'il soit impossible de planter des brise-vent le long des limites des propriétés tout en conservant leur efficacité. Une autre approche — des arbres groupés en sites disséminés sur les champs dans les bas-fonds de vallée — serait probablement tout aussi efficace pour lutter contre l'érosion du sol. Toutefois, une telle configuration pourrait être plus difficile à surveiller et, par conséquent, donner de moins bons résultats que la disposition en ligne, où une récolte, faite en passant, tout comme son résultat, sont plus visibles.

Parmi les pasteurs transhumants établis dans la vallée — Touareg Kel Gres et divers groupes Foulbé — nombreux sont ceux qui ont déplacé leurs animaux vers d'autres pâturages, souvent en négociant des arrangements avec des parents et des connaissances établis en d'autres parties du pays. Les agriculteurs locaux qui possédaient également du bétail — principalement les femmes haoussa qui avaient des troupeaux de chèvres et parfois une vache — n'avaient pas cette option à leur disposition. Nombre d'entre eux n'ont pu trouver un éleveur à qui confier leurs animaux, ont dû en vendre certains pour payer les amendes, et ont liquidé le reste. Le système de protection des brise-vent n'avait pris aucune disposition pour les dédommager de cette perte de possibilités d'investissement.

Une fois que les arbres sont bien établis et que l'on permet de nouveau au bétail de brouter dans les champs de la vallée, ceux qui possèdent du bétail, à l'exception des chameaux, retrouvent leur liberté d'accès aux terres des bas-fonds. Les résidus des récoltes sont probablement bien plus abondants qu'ils ne l'auraient été sans les brise-vent. Les branches basses des arbres représentent, pour une fois seulement, une source de fourrage en saison sèche, jusqu'à ce que les animaux les aient broutés et éliminés sur la hauteur qu'ils peuvent atteindre. Après cela, les arbres ne contribuent directement aux ressources en fourrage de la vallée que dans une faible mesure.

CARE a assuré le financement des matériaux et des salaires de tous les responsables, ainsi que celui des paiements effectués dans le cadre du PAM aux résidents locaux qui avaient aidé à l'arpentage, aux tracés et à la plantation des jeunes plants. Ainsi, les questions de dépenses renouvelables faisant nécessairement partie de la gestion à long terme des brise-vent n'ont été en aucune façon examinées durant les dix premières années de la phase d'établissement des arbres.

Récolte des produits des brise-vent
— de 1984 à aujourd'hui

VUE D'ENSEMBLE

Les brise-vent ont aidé à stabiliser les sols des bas-fonds de la vallée de Majjia. Ils ont augmenté la productivité de ces sols en améliorant le microclimat rendu plus apte aux cultures dans les champs protégés de la vallée. Mais, ces dernières années, deux problèmes majeurs sont apparus. Le premier est d'ordre technique: les arbres des brise-vent se sont développés si rapidement qu'ils doivent être élagués pour les empêcher de s'étendre sans raison en projetant de l'ombre sur des terres agricoles de valeur. Le second problème vient de ce que CARE souhaite donner de nouvelles affectations à l'assistance financière qu'elle accorde au Niger, et la diriger sur d'autres zones ou d'autres projets. Il faut donc trouver les moyens de financer la gestion des brise-vent.

Le premier problème, celui des cultures trop ombragées, est, dans une large mesure, technique et il peut être résolu par des moyens techniques. Dès que les arbres atteignent 10 mètres de hauteur, ils protègent de l'érosion éolienne toute la bande, large de 100 mètres et formée de champs qui s'étend entre deux brise-vent. Si on laisse la croissance se poursuivre, les branches latérales finiront par ombrager les cultures plantées à proximité des brise-vent. Après plusieurs années d'expérimentation technique, il a été décidé qu'un étêtage périodique (rotation de quatre ans — voir ci-dessous pour une description plus détaillée) réduirait effectivement l'ombre projetée. Des essais ultérieurs ont suggéré que, juste en dessous des arbres étêtés, les cultures enregistrent une poussée de production durant la saison de végétation qui suit immédiatement une taille par étêtage. Ces tailles produisent aussi de grandes quantités de bois pouvant être utilisé: des poutres pour la construction, des poteaux de charpente, des manches à outils, du bois de chauffage, et du fourrage précieux.

ATTRIBUTS DES BIENS ET DES SERVICES

La présente section analyse les caractéristiques des brise-vent arrivés à maturité. A ce stade, du fait de leur hauteur, les arbres sont à l'abri de tous les animaux, sauf des chameaux. Toutefois, compte tenu des techniques disponibles, ils ne peuvent être aisément protégés des utilisateurs humains. L'exclusion pose un problème, en particulier pendant la saison sèche, lorsque la vallée est moins fréquentée que durant la saison de végétation estivale. Les produits de récolte mentionnés ci-dessus font tous l'objet d'une compétition pour leur consommation. Les brise-vent arrivés à maturité ont donc le caractère d'une ressource d'accès libre.

En 1987, la récolte sur les rangées de brise-vent les plus anciennement établies aurait dû être faite depuis longtemps. Après des essais renouvelés, sur un petit nombre de kilomètres, pour évaluer les répercussions, tant sur la régénération des arbres que sur la protection des cultures, une récolte complète a été entreprise au printemps de 1988. Trente-cinq kilomètres d'arbres ont été récoltés et les produits sont maintenant en cours de commercialisation. La méthode adoptée comporte une rotation de quatre années s'articulant sur deux lignes adjacentes de brise-vent, chacune formée de deux rangées d'arbres.5

INSTITUTIONS REGISSANT LES BRISE-VENT ARRIVES A MATURITE

Au cours des cinq dernières années, une conception institutionnelle de la gestion des brise-vent a été élaborée. Le Service forestier, les représentants de CARE, les fonctionnaires du Gouvernement du Niger, et les habitants de la vallée de Majjia ont tous fourni leur contribution au débat sur la conception. Cette conception a été soumise à un essai provisoire de 1984 à 1987, principalement dans les communautés de Garadoumé, où les premiers brise-vent ont été plantés en 1975. La conception est toujours en évolution et peut être modifiée à la lumière d'une expérience ultérieurement acquise.

Les principaux éléments entrant dans la conception comprennent la récolte, le partage des produits récoltés, et la protection des brise-vent. L'étude va se pencher sur chacun d'eux successivement. Les rapports liant ces éléments entre eux seront également soulignés. Pour réussir, les règles opératoires émanant des institutions de gestion des brise-vent doivent veiller à ce que les arbres soient traités toute l'année durant comme des ressources de propriété commune, plutôt que comme des ressources qui, à temps partiel, sont d'accès libre.

Le plan de récolte a été établi sous sa forme finale par le Service forestier après qu'une série d'études aient été faites grâce au financement de CARE. Le Service forestier a tenu un certain nombre de consultations avec les habitants de la vallée de Majjia au sujet des plans de récolte, mais s'est arrêté à la solution de l'étêtage, comme représentant le meilleur moyen de réduire les coûts de protection pendant la régénération des arbres après la récolte. Les forestiers assurent la surveillance des coupes et dirigent les exécutants locaux. Cette approche a l'avantage de sanctionner la récolte faite dans des conditions contrôlées, en concentrant les activités sur une courte période. Implicitement, elle met l'accent sur l'illégalité des coupes qui seraient faites sur les brise-vent à toute autre période et réduit les coûts d'information que pourraient entraîner la recherche des infractions aux règles de protection des brise-vent.

Le partage du produit de la coupe soulève depuis longtemps l'une des questions les plus épineuses en matière de gestion. Il faut prendre en considération plusieurs facteurs, y compris l'investissement initial pour la création des brise-vent, les droits et devoirs, les libertés et les risques courus par les propriétaires fonciers qui ont des brise-vent dans leurs champs, ainsi que le problème persistant de la possibilité limitée d'exclusion en ce qui concerne les brise-vent.

D'après les normes locales, les habitants de la vallée qui ont participé à la création des brise-vent en creusant des trous ou en plantant des arbres, n'ont pas de droit spécial d'utilisation ou de propriété, sur les arbres ou les produits récoltés. Ils ont été payés par le biais des vivres-contre-travail financés par CARE, et en tant que travailleurs, ils n'ont pas pris davantage de risques en participant aux activités de brise-vent qu'un ouvrier rémunéré qui aide à récolter un champ de millet. En revanche, ceux qui ont perdu des terres consacrées aux brise-vent, en particulier à l'extrémité nord de la vallée, ont des raisons pour revendiquer la propriété des produits récoltés. Ils ont non seulement perdu des terres arables à cause de la croissance des arbres, mais ils ont couru le risque que des prédateurs (oiseaux et insectes) menaçant les récoltes viennent se réfugier dans les arbres.

Les règles qui régissent maintenant «la propriété» et «l'exploitation» des brise-vent sont le fruit de l'effort singulier déployé pour traiter les arbres des brise-vent, à la fois comme des ressources privées et comme des ressources de propriété commune. Les règles définissent les arbres des brise-vent comme étant la propriété privée des propriétaires des terrains sur lesquels ils poussent. Elles imposent également à ces propriétaires des devoirs importants en ce qui concerne l'entretien des brise-vent sur leurs terres et assignent des droits à revendiquer les produits récoltés sur les brise-vent aux habitants de la vallée de Majjia dans leur ensemble, à titre de résidents dans les communautés de la vallée. Sous leur forme la plus simple les règles établissent que:

Un examen plus attentif de ces règles révèle qu'elles créent des incitations et des effets dissuasifs significatifs pour des groupes importants d'individus participant à la gestion et à l'utilisation des brise-vent. Ceux qui possèdent des terres sur lesquelles on a établi des brise-vent dans le cadre du projet sont considérés comme les «propriétaires» des arbres. Ils ont les droits, devoirs, libertés et vulnérabilité suivants: les propriétaires ont le droit d'exiger de tous les autres qu'ils s'abstiennent d'endommager les arbres, de récolter leurs produits forestiers, ou de les couper, sauf lorsque ces actes sont exécutés dans le cadre du plan de gestion.

Les propriétaires des terrains portant des brise-vent sont eux-mêmes assujettis au devoir d'éviter d'endommager les arbres sur leurs terres, d'éviter de récolter les produits forestiers et de couper les arbres, sauf dans les conditions prévues par le plan de gestion.

En outre, les propriétaires des terrains portant les brise-vent sont assujettis à des devoirs spéciaux qui ne sont pas partagés par les autres groupes d'habitants de la vallée et de non résidents. Ils sont dans l'obligation de protéger les arbres sur leurs terres contre toute utilisation non autorisée, et de remplacer à leurs propres frais ceux qui ont été détruits. En principe, cette règle couvre le remplacement de tous les arbres manquants, quelle que soit la raison de leur disparition — vent, maladie, broutement des chameaux, coupe du bois ou incendie. L'acquisition et la plantation d'un jeune plant de neem pour combler un trou dans un brise-vent ne devrait pas entraîner de dépense excessive. Protéger un jeune plant pendant qu'il croît, sur une période de trois à sept ans, contre les déprédations des animaux errants, est une autre chose. En effet, le propriétaire du champ doit assurer une surveillance, 24 heures sur 24, toute l'année, pendant la période toute entière, parce que les bas-fonds de la vallée de Majjia, dont les brise-vent ont atteint la maturité, ne sont plus interdits aux animaux à la recherche de fourrage.

Les propriétaires de terrains ont un droit spécialement reconnu qui porte sur le contrôle des produits forestiers ayant été coupés sur les arbres. On leur accorde une part d'un quart de la récolte (c'est-à-dire que tous les autres doivent s'abstenir de la prendre, et que les propriétaires ont la liberté de prendre 25 pour cent de la récolte pour leur compte). Le moment où, après une coupe autorisée, les propriétaires ont la liberté de prendre leur quote-part, n'est pas précisé. S'ils peuvent revendiquer les poutres, les poteaux de charpente, le bois de chauffage, le fourrage, etc., dès que la coupe est terminée, la valeur de leur portion est accrue. S'ils doivent attendre, comme le font tous les autres, que l'on procède à un partage matériel de la récolte entre tous les ayant droit, ou qu'on la vende pour distribuer les recettes en espèces, alors la valeur du bois doit être revue à la baisse, en raison du délai et parce qu'il est probable qu'une certaine quantité de bois ou d'argent se perdra ou sera détournée avant qu'ils ne reçoivent leur part.

Aux termes du système de règles, les propriétaires de champs dont les cultures sont exposées aux dégâts causés par des insectes nuisibles logeant dans les arbres courent un risque. Ceci se produit déjà dans la moitié sud de la vallée. Ils courent le risque de réductions éventuelles de leurs quote-parts légitimes, comme on l'a souligné plus haut. Au cas où les débouchés possibles pour les produits ligneux de la vallée de Majjia se trouveraient saturés, ils courent un risque dans la mesure où toutes les communautés de la vallée, conformément au plan de gestion, ont la liberté de mettre des produits ligneux sur le marché et par conséquent d'occasionner, par excès d'offre, une baisse des prix du marché pour la récolte.

Tous les autres habitants des communautés de la vallée (c'est-à-dire les individus qui n'ont pas de brise-vent sur leurs champs ou qui ne possèdent pas de champ) jouissent exactement du même droit vis-à-vis des autres: ils n'utiliseront, ne couperont, ni ne détruiront les arbres des brise-vent, si ce n'est en accord avec le plan de gestion. Ce droit est exercé à l'encontre des propriétaires de champs portant des brise-vent exactement comme à l'encontre de tous les autres propriétaires, habitants de la vallée non possédants, pasteurs transhumants et tous ceux qui peuvent à l'occasion se déplacer dans la vallée.

Tous les autres habitants sont soumis au devoir réciproque et équivalent d'éviter les dégâts, l'utilisation ou la destruction non autorisés des arbres. Ils ont la liberté de partager les produits des trois quarts de la récolte dans la zone que contrôle l'unité coopérative associée à leur communauté. La part qui leur revient est déterminée en partie par des règles qui, apparemment, émanent de la coopérative locale. Mais cette quote-part est aussi déterminée en partie par les procédures de commercialisation du bois et les conditions de prix.

Comme les propriétaires des terrains à brise-vent, les autres propriétaires courent des risques liés à la commercialisation du bois par d'autres communautés de la vallée, aux insectes nuisibles associés aux arbres, si leurs terres sont assez proches des brise-vent pour en subir l'influence, et aux décisions prises par les cadres de la coopérative ou de l'administration quant à la distribution de la récolte.

Les forestiers travaillant pour le Bureau de district à Bouza feront sans aucun doute appliquer ces règles. On ne sait pas s'ils seront aidés par les résidents de la vallée, ou par des cadres des coopératives ou des communautés de la vallée. En tous cas, il est clair que les forestiers du niveau local exerceront des pouvoirs déterminants considérables en matière d'interprétation et d'application des règles. L'engagement du Service forestier dans la mise en œuvre du Projet de brise-vent de la vallée de Majjia a une longue histoire s'inscrivant dans le contexte de la responsabilité d'ensemble de ce service en matière de gestion de l'environnement au Niger: une structure dans laquelle les forestiers jouent un rôle très fort, sinon dominant pour tout ce qui concerne la formulation, l'interprétation, l'application et le respect des règles concernant la gestion des brise-vent est établie. Ils décident aussi de la plupart des différends qui surgissent en matière d'infractions aux règles de gestion des brise-vent, en passant jugement par une procédure administrative. Les rapports d'autorité sont illustrés à la Figure 14 (voir page 77).

Une question critique dont dépend la survie des brise-vent touche à la compétence des habitants de la vallée — comprenant sans s'y limiter les propriétaires des terrains à brise-vent — en ce qui concerne les actions en justice contre ceux qui enfreignent les règles de protection des brise-vent et de gestion du plan. En pratique, ils possèdent probablement cette habilitation. Une seconde question critique est: s'ils ont cette capacité juridique, l'exerceront-ils8, ou bien considéreront-ils que les coûts de transaction résultant de ces poursuites sont trop élevés compte tenu des bénéfices probables qu'ils pourraient en tirer. En cas d'infraction, les habitants de la vallée se livreront certainement à cette sorte de calcul. Les brise-vent finiront probablement par être détruits si les habitants de la vallée concluent que l'intérêt, à court ou à long terme, qu'ils ont à préserver les brise-vent et le système de gestion, n'est pas suffisant pour justifier la prévention ou la lutte contre les infractions («pression sociale informelle») ou, lorsque la prévention est impossible, le recours aux autorités officielles; ce recours devrait intervenir lorsqu'ils découvrent des preuves de coupes infligées aux brise-vent, de détournement d'une partie des produits de la récolte, et l'action engagée devrait inclure la fourniture de témoignages dans les procès résultant d'infractions.

Figure 14
Transactions d'autorité

PROJET DE LA VALLEE DE MAJJIA:
Brise-vent arrivés à maturité – après 1984

 CORRELATIONS ET EQUIVALENCES 
 Cadre 1Citoyen ACitoyen BCadre 2 
 ForestierTout ayant droitTout ayant droitForestier subalterne ou gardien de brise-vent 
VALEURS RECIPROQUES ET LIMITESPouvoirDroitDevoirResponsabilité 
Peut faire respecter tout droit au maintien du plan de gestion exprimé par un ayant droit en demandant au subalterne ou garde de punir les infractionsÀ ce que le plan de gestion des brise-vent soit respectéDe respecter le plan de gestion des brise-ventDoit punir tout ayant droit coupable d'enfreindre le plan de gestion des brise-vent par coupe ou dommage aux arbres ou en prenant, hors de la récolte quadriennale, les produits des brise-vent 
IncapacitéVulnérabilitéLibertéImmunité 
D'obliger son subordonné ou le garde à punir le ramassage des produits tombés des brise-ventConcurrence des autres ayant droit pour le ramassage des produits des brise-vent sur leurs champsPeut ramasser des produits tombés des brise-vent n'importe où dans la valléeNe peut être obligé de punir des ayant droit, exerçant leur liberté de ramasser des produits tombés des brise-vent 
   

Etant donné que l'entreprise est partie du haut, il n'est pas certain que beaucoup d'habitants se considéreront responsables d'une prestation en commun de services de protection pour les brise-vent. C'est pour cette raison qu'il est si délicat de répartir les bénéfices de la récolte des brise-vent. Ces moyens d'incitation doivent servir non seulement à décourager les utilisations illégales par certains bénéficiaires, mais aussi à encourager ceux-ci à empêcher les emplois illégaux de la part d'autres personnes. En fait, s'il n'y a pas prestation en commun de services de protection par la plupart des propriétaires de champs, les brise-vent sont probablement voués à la disparition, parce que les forestiers ne peuvent pas susciter par eux-mêmes des services de surveillance efficaces. Le plan actuel accordant aux propriétaires un quart des produits de la récolte pourrait peut-être suffire à s'assurer leur concours. La seule alternative serait de continuer à employer des gardiens autorisés à exercer des pouvoirs de police, en finançant le système par une partie des produits de la récolte.

INTERACTIONS

Comme ces règles ne sont en vigueur que depuis le début de 1988, il est trop tôt pour rendre compte de leur incidence sur le comportement à l'égard des arbres. Il est possible, toutefois, de rapporter les résultats de certaines des coupes faites à titre d'essai en 1986 et 1987, et de se livrer à des spéculations sur les effets probables de ces règles.

La plupart des habitants de la vallée continuent à penser que les arbres appartiennent au «gouvernement», qui est représenté par les forestiers de Bouza. Même dans les villages Garadoumé, où les résidents locaux ont reçu du bois provenant des coupes d'essai, les propriétaires continuaient à affirmer, à l'automne de 1987, qu'ils ne possédaient pas réellement les brise-vent. Actuellement la situation n'a pas changé, en dépit de la récolte d'importance considérable entreprise au printemps de 1988. Les habitants hésitent à assumer la responsabilité de la gestion tant que cet état de choses persiste, et pourraient probablement être facilement découragés si des règles essentielles de gestion et de résolution de conflit se trouvaient formulées sans leur participation et imposées ensuite, au lieu de résulter d'une procédure où ils se seraient vu confier l'élaboration d'importants éléments du système de gestion. (On ne sait pas très bien si les règles régissant la première récolte importante, au printemps de 1988, ont été élaborées moyennant un apport populaire. Il semble probable que les communautés de la valléé de Majjia n'aient eu en fait que peu d'influence sur les règles. Elles n'étaient certainement pas capables d'imposer un veto aux règles proposées soit par l'administration, soit par le service forestier).

Le sous-préfet actuel de Bouza veut que les coopératives de la vallée se chargent de contrôler l'ensemble des produits de la récolte. Pour arriver à ce résultat, il propose un système exigeant que les coopératives de la vallée s'occupent de toutes les ventes de bois, et que les recettes soient placées sur des comptes bloqués, établis pour les coopératives. Il maintient que les habitants de la vallée de Majjia ne possèdent pas les arbres, qu'ils ont été payés pour les planter et que les produits de la récolte (à la seule exception du bois de chauffage) doivent être commercialisés9, les recettes étant ensuite investies pour le bien public des habitants de la vallée dans des activités d'intérêt général telles que la gestion du bassin versant de la vallée. Il affirme également, à juste raison, que ceux dont les champs se trouvent derrière les brise-vent reçoivent le bénéfice direct de rendements agricoles accrus, rendus possibles par la modification des microclimats dans ces zones. Si le sous-préfet expose sa position avec énergie, il y a de fortes chances pour qu'aucun habitant de la vallée ne s'oppose à sa politique.

Dans les villages Garadoumé — Hayi, Kwari et Lougou — où 35 kilomètres de brise-vent ont subi une coupe au printemps de 1988, les responsables des coopératives et les forestiers ont supervisé les opérations de récolte. Le bois a été ensuite transporté dans des camions fournis par CARE, des champs à un point de ramassage central à Garadoumé. Des entrepreneurs privés sont arrivés pour acheter le bois. Certains poteaux ont été transportés à Bouza, soit pour y être vendus, soit pour être transportés vers d'autres marchés.

On ne distingue pas bien pour le moment quel effet la règle prévoyant le partage de la récolte entre propriétaires et unités coopératives à raison de un quart/trois quarts, respectivement, aura sur le comportement de ceux qui vivent ou transhument dans la vallée. Les villageois rapportent que certaines personnes prennent du bois clandestinement, en particulier sur les sections des brise-vent qui sont très éloignées des habitations. Comme on l'a noté, la possibilité d'exclusion continuera à poser des problèmes.

Si les propriétaires des champs reçoivent effectivement un quart de la récolte régulièrement, ils seront doublement encouragés (de manière positive mais aussi négative — devoir de remplacer les arbres détruits à leurs frais) à protéger leurs arbres des emplois non autorisés. L'intensité de l'encouragement positif dépendra à la fois des besoins en bois et autres produits des brise-vent, d'un propriétaire donné et du prix reçu par les propriétaires des arbres pour tous les produits des brise-vent vendus. L'encouragement positif variera avec le temps, selon les technologies employées pour le traitement des produits du bois (le bois transformé en charbon de bois peut être transporté vers des marchés plus éloignés que le bois non traité), selon l'évolution des conditions du marché et selon les nouveaux emplois auxquels se prêtent les produits des brise-vent (par exemple fourrage vert pour le bétail durant les derniers mois de la saison sèche).

La règle qui soumet les propriétaires des terrains portant les brise-vent au devoir de remplacer les arbres détruits pour quelque cause que ce soit n'a pas encore été mise à l'épreuve. On peut à bon droit se demander si on pourra jamais la faire appliquer telle qu'elle est formulée actuellement. La plupart des propriétaires, se trouvant dans une telle situation, décideraient probablement qu'un potde-vin versé à un agent de contrôle (forestier ou représentant de la communauté) serait probablement une solution beaucoup moins coûteuse.

D'autres habitants de la vallée ne possédant pas de terrains portant des brise-vent, ne subissent pas d'incitations négatives directes à préserver les brise-vent, autres que le devoir de s'abstenir de toute destruction ou utilisation non autorisée. L'assujettissement à ce devoir sera lié à l'efficacité des mesures de coercition. En accordant aux propriétaires le droit à un quart du bois récolté, on les soumet à une incitation potentiellement forte à empêcher l'utilisation non autorisée, si cette vigilance peut être considérée comme une activité secondaire, pratiquement gratuite, associée à d'autres activités de production. Durant la saison des cultures, lorsque les cultivateurs travaillent quotidiennement dans leurs champs, la surveillance des arbres sur leurs terres est essentiellement une opération qui ne leur coûte rien.

La protection durant la saison sèche est bien différente. Dans la partie sud de la vallée où l'agriculture de décrue est pratiquée après la récolte annuelle, les gens continuent à travailler dans les champs bien plus longtemps que dans la partie nord. L'horticulture est pratiquée dans toute la vallée et les jardiniers peuvent également assurer une surveillance de brise-vent d'un coût peu élevé ou nul.

Lorsque la protection des brise-vent exige un effort spécial pour constituer des patrouilles, les coûts de transaction dissuaderont probablement les propriétaires particuliers de fournir ce service. Vraisemblablement, il sera nécessaire d'entreprendre une action collective. Les propriétaires d'une certaine communauté pourraient s'entendre pour organiser une patrouille sans caractère officiel, fonctionnant par rotation. Les cadres de la coopérative pourraient en être les organisateurs, mais là encore, l'incertitude règne. On ne sait pas s'ils ont l'autorité voulue pour dépenser de l'argent pour de telles activités, bien qu'on puisse les autoriser à affecter une portion des recettes de la récolte au financement de la protection des brise-vent. Il y a fort peu de chances, étant donné les règles qui régissent actuellement les opérations de finances publiques au Niger, que les communautés de la vallée de Majjia puissent créer légalement leur propres impôts locaux pour financer les activités de protection des brise-vent. Les menaces d'identification et de punition pour utilisation non autorisée des produits des brise-vent que pourraient craindre les habitants de la vallée sont donc problématiques et pourront varier au cours du cycle annuel et dans diverses parties de la vallée. Dans bien des zones, cette menace peut ne pas suffire à empêcher des infractions mineures aux règles de gestion des brise-vent. Au cours du temps, de telles infractions peuvent se traduire par une destruction lente du système des brise-vent.

Les bénéfices que pourraient tirer les habitants de la vallée de la récolte contrôlée des brise-vent seront déterminés par les modalités de distribution des produits de la récolte. Une option possible pour l'allocation du bois — qui a en fait été adoptée par Garadoumé Kware lors de la première coupe — comporterait les distributions suivantes, par ordre de priorité, mais pas nécessairement par ordre de grandeur:

A ce point, l'autorité exercée par les cadres des coopératives des communautés pour allouer les produits des récoltes de brise-vent, selon ce schéma ou un autre schéma déterminé localement, si elle existe, n'apparaît pas clairement. Si, comme le sous-préfet actuel le souhaite, la portion des trois quarts est placée sous le contrôle exclusif des cadres des coopératives, il y a de fortes chances pour que tout sous-préfet le souhaitant puisse diriger l'emploi de ces fonds en dominant les opérations des coopératives.

Pour assurer une prestation commune de services de protection des brise-vent à soutien populaire étendu, les habitants de la vallée en tant que groupe doivent considérer qu'ils ont personnellement intérêt à long terme à contribuer à la préservation des brise-vent. Ceci exigera un fort consensus parmi les habitants de la vallée, au sujet de la valeur des brise-vent et de l'importance de leur préservation. Il semblerait nécessaire de mettre au point une variante de la distribution ci-dessus, qui suscite chez chaque individu ou au moins chez chaque famille, un intérêt personnel dans les brise-vent parce qu'ils savent que si les arbres survivent ils recevront des bénéfices divisibles — bois de chauffage, poteaux de charpente, etc.. Cet intérêt s'ajouterait au bien public d'un environnement stabilisé.

Les pasteurs transhumants poseront un problème séparé. Ils ont peut-être les plus fortes incitations à enfreindre le devoir imposé à tous de se tenir à l'écart, en particulier durant la saison sèche lorsque les arbres semblent constituer la source la plus abondante de fourrage vert dans une vaste zone. Les arbres qui produisent de nouvelles branches et de nouvelles feuilles après l'étêtage seront des cibles particulièrement tentantes. Les pasteurs sont également ceux qui risquent le moins d'être découverts parce qu'ils opèrent souvent de nuit, lorsque les cultivateurs restent normalement dans leurs villages. Le plan actuel n'a pris aucune disposition explicite pour associer les pasteurs transhumants aux bénéfices de la récolte des brise-vent; ceci pourrait représenter une grave imperfection du système.


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