Page précédente Table des matières Page suivante


GESTION DES RESSOURCES FORESTIERES LOCALES
 ▲ Des femmes binant le sol afin de planter de nouveaux arbresLa jeunesse locale participe à un projet de reboisement ▼
Dans une vaste étude consacrée aux ressources communautaires des zones sèches de l'Inde, on a constaté que l'essentiel du fourrage et du bois de feu ainsi que de 14 à 23 pour cent du revenu des pauvres provenaient de ces ressources.

Gestion des ressources forestières locales

GESTION DE RESSOURCES COMMUNAUTAIRES

L'une des conclusions qui ressort de l'examen réalisé dans la section précédente est l'importance du rôle des forêts, savanes boisées et terres incultes existantes, qui recèlent l'essentiel de ce que les populations rurales attendent des arbres et des forêts. Les aliments et produits forestiers ramassés en vue de leur transformation et vente proviennent essentiellement de là, tout comme une grande partie du bois de feu. Ces produits tirés des ressources communautaires existantes constituent aussi souvent un élément important du système agricole global - lorsqu'il y a un manque de ressources et de revenus d'autre origine - et ils fournissent des apports complémentaires souvent indispensables au fonctionnement continu des systèmes agricoles et familiaux.

La place importante faite jusqu'ici au reboisement dans les programmes de foresterie communautaire ne se justifie donc que si les ressources collectives sont épuisées au point que la gestion du capital forestier existant ne peut assurer les approvisionnements. De même, l'accent mis sur la foresterie paysanne n'est valable que si le contrôle privé est plus efficace que l'exploitation et la gestion communautaires. Il y a lieu de mettre en doute ces deux hypothèses implicites.

Presque partout, les ressources communautaires se sont fortement amenuisées à l'époque moderne. La privatisation, le défrichement illicite et l'appropriation du sol par les gouvernements ont été les principaux facteurs soustrayant des ressources à l'utilisation collective. La pression croissante exercée sur ce qui reste a souvent abouti à la dégradation progressive des terres. Ce processus est aujourd'hui si profondément ancré dans la politique et la pratique de nombreux pays que la privatisation ultérieure semble inévitable, voire souhaitable. Elle aurait cependant des effets négatifs à bien des égards.

Avant tout, les pauvres, qui sont d'ordinaire les plus dépendants des ressources communautaires, en seraient les premières victimes. Dans une vaste étude consacrée aux ressources communautaires des zones sèches de l'Inde, on a constaté que l'essentiel du fourrage et du bois de feu ainsi que de 14 à 23 pour cent du revenu des pauvres provenaient de ces ressources (Jodha, 1986). En outre, les pauvres n'avaient pas les moyens nécessaires pour améliorer la productivité des terres généralement arides qui leur sont allouées dans le cadre des programmes de privatisation et ils finissaient souvent par les perdre. La privatisation ou la nationalisation ne peuvent être une solution pour ceux, très nombreux, qui sont actuellement tributaires des ressources communautaires.

Un autre élément qui plaide en faveur d'un effort continu de gestion des terres encore soumises au régime d'usage communautaire est que ces terres se prêtent souvent mieux à des types d'utilisations - comme la production de fourrage et bois de feu - pour lesquelles la gestion de groupe est nécessaire ou résulte plus bénéfique que la gestion individuelle.

LES ARBRES DANS LES SYSTÈMES D'EXPLOITATION
 ▲ Un arbre de Gao planté dans un champs de milletUn teck planté entre du riz et du mais ▼
Etant donné la diminution des terres communales et la régression ou la dégradation des ressources naturelles qui s'y trouvent, les exploitants ont cherché partout à pratiquer d'autres cultures de valeur sur leurs propres terres, en protégeant, plantant et aménageant certaines essences d'arbres.

Toutefois, de nombreuses formes traditionnelles de gestion des ressources communautaires se sont affaiblies ou ont disparu, étant donné la pression démographique croissante, l'intensification de la commercialisation, les politiques étatiques, les changements technologiques et les contraintes écologiques. Il importe donc d'examiner quel est le potentiel des formes modernes durables de gestion de la propriété communautaire.

Une ressource commune est considérée comme gérée collectivement si ses utilisateurs constituent un groupe qui applique une série de mesures institutionnelles pour en réglementer l'utilisation et s'ils ont le droit d'exclure ceux qui ne sont pas membres dudit groupe. Tous les biens communaux ne sont pas “gérés” par les utilisateurs au sens propre du terme. Souvent il s'agit uniquement d'accès libre, voire illimité, et d'exploitation non réglementée. Trop souvent, on a conclu à tort à l'échec de la gestion des ressources communautaires, alors que la dégradation tenait en réalité à une utilisation anarchique des ressources d'accès libre.

Ce malentendu a renforcé l'opinion selon laquelle l'évolution des conditions dans lesquelles les individus doivent opérer provoque des modes de comportement défavorables à la coopération collective - voir, par exemple, “tragedy of the commons” de Hardin (Hardin, 1968). Ce type d'arguments, qui a contribué pour beaucoup à alimenter la tendance à placer les ressources communautaires sous l'autorité de particuliers ou de l'Etat, ignore les avantages de l'action collective, même en cas de pression croissante exercée sur les ressources et leurs utilisateurs. Il ne tient pas non plus compte des capacités auto-régulatrices des utilisateurs.

Etant donné le manque d'intérêt pour la promotion de la gestion des ressources communautaires, on n'a pas une idée claire des conditions requises pour un aménagement viable et durable. En Inde, par exemple, les systèmes existants de gestion communautaire sont de façon générale caractérisés par ce qui suit: sécurité de jouissance pour le groupe d'utilisateurs; règlements d'exploitation mis au point et appliqués localement, et marqués par la simplicité des règles individuelles et par la capacité de les modifier en fonction de nouveaux défis; répartition des bénéfices par la communauté en fonction des réalités de la structure communautaire; gestion axée sur des produits bon marché d'intérêt local (Arnold et Stewart, 1989).

Les programmes de foresterie sociale en Inde sont au contraire intervenus dans la gestion de la propriété communautaire essentiellement pour créer des ressources ou stocks forestiers et n'ont accordé que peu d'importance aux produits intermédiaires, tels que bois de feu et herbages. Les ressources collectives sont donc de plus en plus utilisées, sans qu'on y prête attention, pour la fabrication de produits plus prisés et destinés à la vente hors de la communauté, au détriment de produits d'usage local. Dans la pratique, en bénéficient donc ceux qui tirent profit des recettes perçues et des dépenses induites au niveau de l'ensemble de la communauté, et non plus ceux qui, autrefois, utilisaient les terres communautaires pour le pâturage et la collecte de bois de feu et autres produits. En outre, la combinaison de systèmes d'aménagement complexes, de règlements d'exploitation établis par les gouvernements et pas toujours compatibles avec les exigences et les possibilités locales, ainsi que de systèmes de planification et de contrôle aux mains des autorités locales et non pas des groupes d'utilisateurs, n'ont pas permis de transférer comme prévu à la communauté la responsabilité d'aménager de petits peuplements forestiers sur les terres communales. En raison de ces faiblesses institutionnelles, les programmes risquent de transformer involontairement les ressources communautaires en ressources sous contrôle étatique; et ce faisant ils privatisent de facto leur utilisation (Arnold et Stewart, 1989).

On rencontre ailleurs des expériences analogues. Dans le cadre de programmes de pépinières villageoises en Afrique par exemple, la participation locale à la gestion des pépinières communautaires est restée lettre morte, le projet ne cadrant pas avec les possibilités et besoins locaux. L'exécution de ces programmes est donc demeurée aux mains des services forestiers (Cook et Grut, 1989).

En résumé, bien qu'il importe de ne pas sous-estimer les difficultés et contraintes liées à la gestion communautaire, l'échec des efforts récents visant à stimuler la gestion durable des ressources communales tient non pas à son manque de pertinence, mais à la conception erronée des mesures tant institutionnelles que techniques, laquelle s'explique principalement par l'incapacité de consulter utilement les populations locales et de comprendre leur situation.

LES ARBRES DANS LES SYSTEMES D'EXPLOITATION

Etant donné la diminution des terres communales et la régression ou la dégradation des ressources naturelles qui s'y trouvent, les exploitants ont cherché partout à pratiquer d'autres cultures de valeur sur leurs propres terres, en protégeant, plantant et aménageant certaines essences d'arbres. Dans bien des cas, les agriculteurs tirent aujourd'hui certains produits de leurs propres plantations forestières, et d'autres des ressources communautaires. Récemment, l'intégration d'arbres dans les systèmes d'exploitation s'est accélérée ou transformée en raison de la commercialisation croissante du bois de feu et d'autres produits ligneux, ainsi que de la naissance consécutive de marchés pour ces cultures de rapport.

Toutefois, comme cela a été largement prouvé (voir en particulier FAO, 1985), les pressions croissantes exercées sur les terres agricoles et sur les ressources forestières risquent d'aboutir à l'élimination des arbres plutôt qu'à leur conservation ou plantation. Parmi ces pressions, les plus importantes sont la compétition avec les cultures agricoles pour la lumière, l'eau et les éléments fertilisants; les nouvelles techniques agricoles (par exemple les tracteurs); l'exploitation plus extensive des sols (brûlis, libre pâturage); l'évolution du contrôle des terres (privatisation, nationalisation); les lois ou régimes fonciers coutumiers; et la réduction des cycles de rotation au point que les arbres utiles ne sont plus en mesure de se régénérer.

La plupart des interventions en faveur de la plantation d'arbres sur l'exploitation visent à faciliter ce transfert, en éliminant ou réduisant ce type de contraintes. Mais les changements apportés à l'utilisation des terres, aux pratiques culturales et à l'exploitation des ressources n'exigent pas tous la présence permanente d'arbres. L'irrigation des terres sèches, par exemple, devrait permettre de réduire le besoin en animaux de trait et donc en fourrage et devrait aussi créer des sources nouvelles et plus productives de ce produit. L'arboriculture n'est pas non plus une solution à la portée des agriculteurs dans tous les types d'environnement. Par exemple, les zones arides d'Afrique ne se prêtent pas, du point de vue écologique, à l'agriculture intensive qui est pratiquée sous forme de cultures intercalaires dans les jardins familiaux dans les régions plus humides du continent. De même, l'exploitant voudra évaluer l'opportunité d'introduire ou d'intensifier la plantation d'arbres, en fonction de toutes les options économiques qui se présentent au ménage rural, sur l'exploitation ou en dehors de celle-ci.

La législation, le régime foncier et les pratiques coutumières compliquent encore la prise de décisions. En Afrique, l'utilisation des terres est encore régie avant tout par des systèmes corporatifs de lignage souvent complexes englobant les terres communales, qui ne se prêtent guère à des généralisations utiles (Fortmann, 1984). L'incidence du régime foncier sur le potentiel des initiatives prévoyant plantations et aménagements forestiers est très variable; les effets, par exemple sur l'utilisation séquentielle du sol, peuvent être aussi bien indirects que directs.

Deuxièmement, il convient de noter à cet égard que les régimes fonciers existants présentent à la fois des opportunités et des contraintes. On a eu tendance à se fixer sur celles-ci, en particulier en raison du besoin d'accroître la sécurité de jouissance de l'agriculteur individuel, afin de l'encourager à investir dans des cultures à croissance relativement lente, comme les arbres. C'est peut-être là une nécessité, mais pas partout; les pratiques coutumières pourraient déjà garantir suffisamment de rentabilité au capital et au travail (Cook et Grut, 1989). En outre, il est d'ordinaire difficile de modifier les régimes fonciers tant officiels que coutumiers, de sorte qu'il est peut-être illusoire de concevoir des projets exigeant ce type de modifications - leur conception devrait au contraire être compatible avec les régimes fonciers existants.

Il ressort donc de l'évaluation de l'expérience acquise grâce aux premiers programmes de foresterie paysanne qu'il est nécessaire de mieux analyser, en fonction des diverses situations, le rôle optimal des arbres dans un système d'exploitation particulier, les raisons pour lesquelles cet optimum n'est pas atteint et la possibilité d'éliminer ou de réduire les obstacles qui peuvent surgir.

Même à l'intérieur d'une communauté donnée, la situation peut varier d'un ménage à l'autre (dimension, aptitude à engager de la main-d'oeuvre) et même à l'intérieur des familles en fonction des sexes.

Dans la première génération de projets, on tendait de façon générale à mettre au point des projets comme s'ils étaient coupés de nombre des facteurs clés influant sur eux, en particulier des forces économiques. Etant donné que l'on présumait que les agriculteurs plantent des arbres pour satisfaire leurs besoins de subsistance ou pour des raisons écologiques, sans penser que ces arbres sont achetés et vendus sur des marchés, les projets étaient conçus comme s'ils étaient détachés ou à l'abri des forces du marché. Certains ont même tenté d'empêcher les participants de vendre leurs produits, sous prétexte que cela était contraire à la notion de service, implicite dans l'objectif de la foresterie communautaire ou sociale.

Au fur et à mesure que les produits forestiers tels que bois de feu, fourrage et fruits étaient commercialisés, et que la dépendance des ménages ruraux à l'égard du revenu s'accentuait pour satisfaire une partie au moins de leurs besoins, la distinction entre production de subsistance et production commerciale s'estompait progressivement. Selon un rapport portant sur toute une série de projets examinés, “dans toutes les zones visitées, mais à des degrés variables, les petits exploitants produisent des cultures vivrières (de subsistance) en fonction des débouchés locaux et des coûts” (Cook et Grut, 1989). Un producteur vendra non seulement ce qui est en excédent de ses besoins de susbistance, mais aussi un produit comme le bois de feu nécessaire au ménage, si le coût d'opportunité de l'opération est avantageux - d'où le phénomène généralisé de pénurie de bois de feu dans des ménages qui vendent du bois.

Etant donné que l'activité forestière a été encouragée, comme si elle était coupée des forces du marché, on n'a pas réussi à établir un rapport entre la production obtenue dans le cadre de projets et les débouchés, ou à lier les producteurs aux marchés. Par ailleurs, les projets ont omis de mettre les producteurs en contact avec les sources d'intrants d'un niveau plus élevé, tels que le crédit, disponibles pour ceux qui désirent produire pour vendre.

Plus généralement, on ne sait que peu de choses de l'efficacité, au niveau des projets, d'interventions visant à stimuler l'activité forestière, comme la fourniture gratuite ou subventionnée de plants. Tant que l'on ne comprendra pas mieux le rôle des arbres dans les différents systèmes d'exploitation et les facteurs qui faussent la décision des agriculteurs concernant la plantation d'arbres, il sera difficile de définir et de concevoir des interventions appropriées.

Les instructions techniques ont constitué une autre faiblesse des premiers projets de foresterie paysanne. Deux observateurs avertis ont déclaré que “le passé abonde en exemples de projets qui ont échoué en raison du choix impropre des essences. Un examen récent de la bibliographie… révèle le faible nombre des descriptifs de projets de foresterie sociale qui expliquent systématiquement pourquoi les essences d'arbres doivent être compatibles avec les besoins de la communauté cible” (Raintree et Hoskins, 1988).

Cela tient en partie au retard de la recherche appliquée qui fait relativement peu de cas de la foresterie paysanne. Ainsi, même en ce qui concerne la culture en allées qui a fait l'objet, plus que toute autre innovation, de recherches intensives et approfondies dans le domaine de l'agroforesterie, on ignore encore dans quelle mesure les agriculteurs la jugeront appropriée. La piètre qualité des prescriptions et pratiques techniques s'explique en outre par la pression souvent exercée sur les services forestiers pour qu'ils atteignent les objectifs de plantation ou de distribution de plants, laquelle a trop souvent abouti à la priorité accordée à la quantité plutôt qu'à la qualité ou à l'utilité.

L'autre principale raison du fréquent déphasage observé notamment lors des débuts de la foresterie communautaire, entre les interventions et les besoins, et qui est également à la base de bien d'autres problèmes dans la foresterie paysanne, est l'insuffisance de la communication avec les agriculteurs et leurs familles - imputable au manque de personnes formées à la communication et à la vulgarisation. C'est ainsi que même les projets qui aujourd'hui tentent réellement de remédier à cette faiblesse sont entravés par des conceptions et objectifs élaborés sans la nécessaire participation des populations locales.


Page précédente Début de page Page suivante