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LE CONCEPT

Le diagnostic, le suivi et l'évaluation participatifs (DSEP) répondent, en tant que concept, à une attente.

Il s'agit là d'un concept neuf et prometteur, et d'une approche stimulante, adaptative, dynamique et novatrice pour un développement communautaire durable et approprié.

Le DSEP repose sur l'idée que le point de vue de la communauté est primordial. Le DSEP prend le contre-pied de l'approche traditionnelle du développement (du “haut vers le bas”), selon laquelle les intervenants extérieurs décident d'abord des objectifs voulus pour la communauté, puis procèdent au suivi et à l'évaluation pour juger si ces objectifs ont été atteints. A l'inverse, l'approche du DSEP encourage, appuie et renforce les aptitudes existantes dans la communauté pour identifier ses propres besoins et les objectifs correspondants, puis pour suivre et évaluer son action en vue de l'ajuster, ceci pendant toute la durée du projet.

L'approche du DSEP encourage l'équipe du projet et la communauté à travailler comme partenaires, car elle repose sur une communication dans les deux sens, sur des messages clairs, sur des techniques de résolution des problèmes, et sur une volonté commune de faire prévaloir ce qui est profitable à la communauté. Le DSEP se concentre sur les relations qui unissent le personnel de terrain et la communauté.

Le DSEP est la combinaison de trois composantes interdépendantes. Le Concept est épaulé par des Méthodes participatives et par des Outils participatifs de collecte d'information.

Si, dans ce rapport, le DSEP est envisagé dans le contexte de projets forestiers, il peut bien entendu être adapté à d'autres domaines, comme la santé, les pêches et l'agriculture.

Il peut ne pas être possible d'adopter l'approche du DSEP dans son intégralité pour tous les projets, mais on peut néanmoins l'essayer dans certaines phases des projets. Essayons, adaptons, jouons avec les idées que nous exposons ici, et observons-en les effets.

La réussite du développement communautaire peut s'édifier sur les bases que propose le DSEP, surtout si l'on est animé par l'esprit d'aventure et par la créativité qui caractérisent cette nouvelle façon de penser.

1. LES FONDEMENTS DU CONCEPT “DIAGNOSTIC, SUIVI ET EVALUATION PARTICIPATIFS”

Si tu veux connaître les questions, et les réponses aux questions, alors prends le temps de t'asseoir et de parler avec nous.

Masihi, villageois d'Um Dekaka, au Soudan

1.1 L'EVOLUTION VERS LE DSEP DANS LE DOMAINE DE LA FORESTERIE COMMUNAUTAIRE

Depuis quelques dizaines d'années, la foresterie communautaire a évolué par étapes progressives, chacune se fondant sur les enseignements de ce qui avait précédé et sur une expérience toujours plus riche.

Dans les premiers temps, les intervenants extérieurs réunissaient autant d'informations qu'ils le pouvaient sur les communautés, afin d'envisager les solutions les meilleures. Le suivi et l'évaluation étaient également réalisés par eux, et étaient principalement axés sur le succès ou l'échec des solutions mises en oeuvre. De nombreuses actions allaient aboutir, mais il demeurait difficile de déterminer si les solutions apportées répondaient aux besoins réels des communautés.

A l'étape suivante, les intervenants extérieurs furent encouragés à se mettre à l'écoute des populations locales. L'observation des participants ainsi que d'autres méthodes empruntées aux sciences humaines furent utilisées pour permettre aux intervenants extérieurs de mieux comprendre ce que les populations locales percevaient comme étant leurs propres besoins et priorités. C'était donc sur la base de ces informations que l'on recherchait des solutions. A ce stade, le suivi et l'évaluation restaient essentiellement aux mains des intervenants extérieurs, mais les points de vue locaux y avaient leur place.

Cette étape fut riche en enseignements, à mesure que l'on se rendait compte que les gens, dans bien des cas, comprenaient et savaient exprimer leurs besoins, ainsi qu'une certaine gamme de solutions possibles. On allait aussi constater que les populations locales possédaient des trésors de connaissances et de savoir-faire traditionnels qui pouvaient se combiner à la science des intervenants extérieurs pour produire des résultats qu'aucune des deux parties n'aurait pu obtenir seule.

Nous sommes aujourd'hui au seuil d'une nouvelle étape de la foresterie communautaire, étape où les connaissances locales (celles des acteurs internes) se combinent à celles des intervenants extérieurs. Le Diagnostic, suivi et évaluation participatifs (DSEP) offre une manière nouvelle de penser l'action forestière. Le DSEP repose sur l'idée que ce sont en définitive les communautés elles-mêmes qui sont juges, en dernière instance, de la réussite ou de l'échec du projet. La durabilité dépend dans une grande mesure de la capacité des communautés à analyser, juger et expliquer à autrui la valeur des différentes solutions. Il convient donc d'appuyer ou de renforcer la capacité d'analyse des populations locales pour que celles-ci puissent elles-mêmes formuler leurs propres interrogations et y trouver des réponses. Il convient aussi d'améliorer leur aptitude à communiquer pour qu'elles puissent faire connaître, en termes intelligibles, leurs évaluations aux vulgarisateurs, aux centres de recherche et aux décideurs.

Le DSEP allie une approche, des techniques et des outils qui aident les communautés à réaliser le diagnostic, le suivi et l'évaluation du projet de leur propre point de vue. L'un des avantages importants de cette démarche est que la pratique du DSEP enrichit à la fois les connaissances du personnel de projet et celles des membres de la communauté, et contribue à la réalisation des objectifs de développement que sont l'auto-assistance et la durabilité.

1.2 DIAGNOSTIC, SUIVI ET EVALUATION PARTICIPATIFS ET FORESTERIE COMMUNAUTAIRE

Ce document concerne les projets de foresterie communautaire dans lesquels les décisions d'aménagement et les bénéfices des activités du projet reviennent à la communauté (à l'échelon soit individuel soit collectif). La foresterie communautaire peut faire intervenir un ou plusieurs des éléments suivants, ou même tous:

La “communauté” peut se trouver dans n'importe quel pays, et se composer d'un groupe social, économique ou culturel quelconque. Ce que toutes les communautés peuvent avoir en commun, c'est le besoin d'intrants, de ressources, ou d'une perspective nouvelle pour changer, améliorer, aménager ou transformer plus rationnellement et équitablement les ressources provenant des forêts et des arbres qui sont à leur portée.

Le DSEP fonctionne bien dans les projets des programmes ou des communautés qui visent:

LA DURABILITE
L'AUTO-ASSISTANCE
LA PARTICIPATION

Si la détermination à atteindre ces objectifs n'est pas inscrite en clair dans la définition du projet forestier communautaire, introduire le DSEP peut permettre de sensibiliser les acteurs à l'utilité d'une telle détermination: il n'est jamais trop tard pour une idée prometteuse!

1.3 LES AVANTAGES DU DIAGNOSTIC, DU SUIVI ET DE L'EVALUATION PARTICIPATIFS

Le DSEP présente des avantages pour tous les acteurs, tant internes qu'externes. Les uns comme les autres ont besoin d'être informés pour prendre les bonnes décisions nécessaires au succès de leurs activités. Les uns comme les autres ont besoin d'informations qui soient à la fois:

OPPORTUNES
PERTINENTES
COMPREHENSIBLES
EXACTES
UTILISABLES
COMPREHENSIBLES

Pour les intervenants extérieurs, le DSEP présente entre autres l'avantage de permettre: d'apprendre des communautés quels sont leurs propres besoins, et comment y pourvoir; de comprendre les contraintes que subissent les communautés quand elles cherchent à satisfaire leurs besoins; de disposer d'une entrée en matière dans un projet non participatif, et peut-être de jeter les bases pour une participation future; d'obtenir des informations de la part des communautés si celles-ci choisissent de partager leur savoir; de découvrir des thèmes de recherche intéressants suggérés par les communautés; de constater si les objectifs du projet correspondent ou non à leurs priorités et besoins réels; d'évaluer la participation.

 Expérience vécue 
 Il était demandé au personnel de terrain participant à un atelier DSEP au Kenya d'identifier, au début des travaux, les points forts et les faiblesses des acteurs internes et des intervenants extérieurs dans l'évaluation des projets. 
  Points fortsFaiblesses 
 Acteurs internes
  • évaluation de leurs propres objectifs
  • esprit d'analyse intuitif
  • retour d'information immédiat sur la communauté
  • décisions opportunes
  • sensibilité à la dynamique de la communauté
  • retour d'information médiocre vers les intervenants extérieurs
  • décisions intéressées
  • peur de s'opposer au pouvoir établi
  • subjectivité
  • subissent des pressions de leurs pairs
 
 Intervenants extérieurs
  • ont davantage de temps à disposition
  • peuvent représenter les fractions les plus pauvres de la communauté
  • ne craignent pas de se faire entendre
  • retour d'information médiocre vers les acteurs internes
  • détermination des modes de mesure
  • objectifs et valeurs “externes” exclusivement
  • pas d'intérêts réels dans la communauté
 
 Le groupe a décidé que, si elles sont associées, ces deux perspectives peuvent être complémentaires et donner lieu à un suivi et une évaluation plus riches d'enseignements. 

Source: Atelier de suivi et d'évaluation en agroforesterie, Kenya (1988)

Pour les acteurs internes, les avantages du DSEP sont notamment: de permettre de connaître clairement ce que le projet peut offrir; de donner l'occasion d'acquérir différents moyens d'analyse au cours du processus d'identification/examen des problèmes et de collecte de l'information; de montrer les problèmes anciens sous un jour nouveau; d'apprendre de nouvelles manières de juger si les efforts fournis valent la peine d'être poursuivis; d'apprendre de nouvelles manières d'exprimer leurs besoins à l'intention des intervenants extérieurs et de mieux comprendre les informations que ces derniers leur apportent; enfin d'utiliser, de contrôler et en fait de “s'approprier” l'information.

Les acteurs tant internes qu'externes tirent avantage du DSEP, les objectifs de durabilité et d'auto-assistance se trouvent renforcés, et il en résulte que la probabilité d'un impact positif et durable s'en trouve accrue. En outre, les projets auront plus de chances de succès parce que l'on disposera d'informations pertinentes et utiles qui faciliteront la décision et permettront de faire la part des choses en présence d'objectifs et de priorités antagonistes.

1.4 LES OBJECTIFS DU DSEP

Dans le DSEP, l'accent est mis d'abord sur le besoin d'information des communautés, puis sur celui du projet. Cette hiérarchie des priorités permet de ne pas cantonner les gens à la collecte des renseignements dont les intervenants extérieurs ont besoin pour le suivi et l'évaluation des activités. Elle garantit aussi que les informations sont pertinentes en regard du problème de développement.

Pour que ces objectifs soient respectés, il est préférable que le personnel de terrain jouisse du soutien et de la compréhension des instances supérieures du projet (direction du projet et du programme, autorités nationales, et donateurs), ou la recherchent activement.

Les informations que l'on reçoit directement des communautés sont valables, légitimes et importantes. Elles permettent de comprendre la situation, reflètent les réalités de la communauté, et contribuent de façon importante aux décisions prises à plus haut niveau.

 Expérience vécueLes chiffres ne sont pas toujours utiles 
 Certaines études de foresterie communautaire soulignent qu'il serait naïf de croire que les gens prennent toujours des décisions rationnelles, même en connaissance de cause. Dans certains cas, il se peut que les “faits” induisent des intervenants extérieurs, bien intentionnés, à convaincre les agriculteurs de ne pas pratiquer le brûlis pour conserver les sols, alors que, vu la situation locale, l'éleveur n'a pas d'autre choix: comment pourrait-il disposer autrement de fourrage pour assurer la subsistance de ses troupeaux? 

Source: Hoskins (1982)

1.5 LES AGENTS DE TERRAIN COMME ANIMATEURS DU DSEP

Le DSEP est conçu pour être appliqué par les membres des communautés, mais peut être facilité par le personnel de terrain du projet. Dans certains cas, surtout si le projet n'a pas encore l'expérience des méthodes participatives, il pourra être nécessaire de faire appel à un consultant extérieur maîtrisant cette méthode, qui en facilitera la mise en oeuvre et formera le personnel de terrain.

Le personnel de terrain des projets forestiers peut avoir été formé à la vulgarisation, à la foresterie, ou aux disciplines de base, et travailler dans le cadre d'une petite ou d'une grande ONG, de l'Office des forêts, ou d'une grande institution internationale, par exemple du système des Nations Unies.

Quels qu'ils soient, les agents de terrain sont les animateurs qui facilitent le DSEP. Guidés par la communauté, ils appuient et encouragent la créativité et la participation de celle-ci, recentrent l'effort de résolution des problèmes et développent les capacités locales d'analyse et d'appréciation, enfin ils interprètent les informations fournies par les spécialistes extérieurs.

Dans cette optique, le “bon animateur” respecte les connaissances et la créativité des gens, et les traite comme des partenaires engagés sur un pied d'égalité dans le processus de développement. La capacité de travailler de manière participative se cultive par la sensibilisation et la formation à la connaissance de soi. Il existe plusieurs excellents manuels d'initiation au travail participatif (Bhasin 1978; Tilakaratna 1988). Ces ouvrages mettent en relief la nécessité de développer certaines aptitudes: non directivité, souplesse, ouverture d'esprit, faculté de constater sans juger d'emblée, honnêteté, sensibilité, et intérêt pour les problèmes des populations pauvres.

Pour être efficaces, les agents devront avoir une bonne compréhension des concepts de base du DSEP, et connaître les méthodes et les outils de collecte de l'information qui permettent de renforcer la participation. Ils résisteront à la tentation d'imposer des idées ou de “persuader” leurs interlocuteurs, et à l'inverse sauront offrir un éventail de solutions possibles dans une situation donnée. Ils rechercheront volontiers les moyens d'adapter ou de développer les idées.

 Expérience vécueDiriger et mener: différents styles 
 Le personnel d'un projet en Thaïlande a esquissé les caractéristiques de différents styles de direction pour apprendre à discerner plus clairement quel était celui qu'ils pratiquaient. Ils ont donc établi la liste suivante: 
  Style autoritaireStyle participatif 
 Information conservée pour usage personnel informer les autres, s'informer auprès des autres 
 Jugement juger seul, utiliser des avis d'experts rechercher l'avis des membres de la communauté 
 Décision décider, ou consulter les supérieurs décider en consultation avec les parties concernées 
 Adhésion obtenue par pressions et sanctionsobtenir par la persuasion, déléguer l'autorité 
 Coordination répartir les tâches, intervenir dans le travail de chacun, garder la vue d'ensemble hors de portée des autresrechercher l'adhésion des exécutants aux objectifs d'ensemble, et leur accord 
 Comment est mené votre projet? Remémorez-vous quelques exemples de situations correspondant à l'une ou l'autre de ces catégories, et discutez-en à l'occasion de réunions du personnel de projet. 
 De quelle manière les communautés fonctionnent-elles? 

1.6 QUAND INTRODUIRE LE DSEP?

La plupart des projets passent par des phases bien définies: idée de projet et conception, planification, choix du site et entrée dans la communauté, exécution, évaluation, et sortie de la communauté. Chacune de ces phases est l'occasion d'inclure les communautés dans le processus décisionnel.

Certains projets font déjà participer la communauté à toutes les phases du processus décisionnel; d'autres la font intervenir à certaines phases seulement; d'autres encore n'ont toujours pas saisi l'occasion de faire intervenir la communauté. Quoiqu'idéalement il convienne de faire participer la communauté dés le départ, chacune des phases peut être un point de départ pour le DSEP.

Les avantages du DSEP peuvent se faire sentir à tous les stades. Même si les bénéficiaires n'effectuent que l'évaluation finale, introduire le processus d'évaluation participative peut fortement influencer les projets futurs dans la communauté. Si par exemple l'introduction du DSEP se fait lors d'une évaluation qui a lieu deux ans après le début de la phase d'exécution du projet, cette méthode permet de réorienter ou de modifier les activités pour en accroître les chances de succès.

1.7 ASSOCIER L'APPROCHE, LES TECHNIQUES ET LES OUTILS

Le DSEP prendra diverses formes en fonction de plusieurs facteurs: besoins spécifiques d'information des communautés, situation culturelle, politique et sociale, disponibilité des ressources locales, ou accès à d'autres ressources. En raison de ces variations, il n'existe pas de mode d'emploi unique du DSEP. En revanche, l'expérience concrète de ceux qui ont expérimenté cette méthode commence à fournir des enseignements qui contribuent à l'élaboration d'un cadre conceptuel.

Le diagnostic, le suivi et l'évaluation participatifs sont conçus de telle manière que la démarche, les techniques et les outils soient complémentaires, interconnectés et interactifs, dans le cadre d'un processus itératif.

Le DSEP ne donnera pas de bons résultats si l'on se contente d'utiliser des outils, en oubliant la démarche ou l'approche. La méthode ne donnera pas non plus les résultats escomptés si l'on adopte l'approche mais continue d'utiliser des outils qui n'encouragent pas la participation.

Le diagramme ci-dessous illustre le concept du DSEP, en montrant que chacune des parties du DSEP est liée aux objectifs et activités du projet et interagit avec eux. Cette interaction a lieu parce que l'information provenant de chacune des parties est prise en compte dans les décisions qui affectent les objectifs et les activités de projet. Les flèches représentent l'effet de rétroalimentation.

Toute une gamme d'outils participatifs (on trouvera à la section 8 une présentation de 23 de ces outils) peut être utilisée pour recueillir les informations requises par chaque étape du DSEP: Analyse des problèmes communautaires (APC); Données de base (DB); Suivi participatif et évaluation permanente (SPep); enfin Séances d'évaluation participative (SEP).


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