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Chapitre 5
Utilisation de l'information provenant de l'étude sur les régimes fonciers

Dans le cadre d'un bon diagnostic rapide, on souhaite obtenir des données à l'aide desquelles on pourra améliorer le bien-être de la communauté locale. Une participation maximale de la communauté à la collecte et l'analyse des informations augmente les chances de parvenir à ce résultat. En effet, si la communauté a été impliquée dans la démarche et informée des informations recueillies, la probabilité qu'elle sache en faire bénéficier ses membres sera plus forte.

Cela explique l'importance de la phase de rétro-information, qui, idéalement, doit aller au-delà d'une simple vérification des faits avec les interlocuteurs. Cela peut constituer l'occasion de lancer un processus de planification avec le village, à l'aide des informations déjà obtenues et servant de base à cette analyse. Quels sont les problèmes clés qui ont été identifiés? Quelles sont les ressources qui sont disponibles sur place pour faire face à ces problèmes? Quels sont les problèmes qui ne peuvent pas être résolus à l'échelon local et qui nécessitent une intervention extérieure? Quels sont les délais pour étudier ces problèmes? Qui sera impliqué et avec quelles responsabilités?

Une des raisons de la popularité de la méthodologie du diagnostic rapide est qu'elle fournit rapidement des informations utiles, si elle est utilisée correctement. Les agences de développement et d'autres acteurs peuvent obtenir les premières réponses nécessaires pour planifier et mettre en œuvre leurs activités, cela en quelques semaines et non quelques années, comme c'est souvent le cas pour les enquêtes classiques. Et pourtant, si l'on regarde de près ce qui s'est fait par le passé, on constate que, même avec des informations recueillies plus rapidement et de meilleure qualité, on n'en tire pas toujours le maximum. Les explications ne manquent pas pour élucider la différence qui sépare la collecte d'informations de leur utilisation. Nous nous contenterons ici de discuter les problèmes le plus fréquemment rencontrés, car certains peuvent être évités grâce à un effort de planification préalable.

Participation et attentes

La participation de la population locale représente un des plus grands atouts de la méthode du diagnostic rapide. Cependant, plus la population participe, plus ses attentes quant aux résultats augmentent. Cela peut être une excellente chose si les attentes des villageois coïncident avec les possibilités du donateur, car le processus initié bénéficiera d'une conjonction d'éléments favorables au changement. En revanche, si les désirs des villageois ne peuvent pas être satisfaits par les possibilités d'activités des donateurs, la situation pourra devenir problématique.

Prenons l'exemple d'un diagnostic rapide sur les systèmes fonciers et la gestion des ressources naturelles, comme celui qui a été décrit dans le manuel. Les villageois se seront intéressés à l'enquête et auront participé avec enthousiasme, mais leur priorité reste en fait d'avoir une école pour scolariser leurs enfants. Pour eux, il s'agit là d'une question beaucoup plus importante que le domaine des ressources naturelles couvert par le projet.

Dans un tel cas, le projet risque de se trouver en porte-à-faux, dans la mesure où il permet aux villageois d'expliciter et de classifier leurs préoccupations, mais, en fin de compte, il laisse de côté les problèmes prioritaires des villageois pour se consacrer à son propre ordre du jour. Aux yeux des habitants, les résultats les plus importants de l'étude ne sont pas pris en ligne de compte.

Si une agence extérieure ne peut pas répondre aux attentes de la population, comme dans le cas de l'école, la question doit être discutée franchement avec les habitants, et il convient de chercher d'autres solutions, par exemple une collaboration avec une autre agence qui, elle, peut satisfaire ce besoin ou communiquer cette requête à l'organisme gouvernemental responsable.

Adaptation des activités du projet en fonction de la situation

Souvent, les résultats d'un diagnostic rapide d'un village conduisent à suggérer des modifications des activités du projet. L'étude aura prouvé par exemple qu'il est impératif d'améliorer les pâturages, alors que les activités du projet étaient centrées sur les arbres. Ou bien, on aura constaté que le village utilise ses ressources en collaboration avec d'autres villages, selon des accords de réciprocité, alors que le projet envisageait, dans le cadre d'une stratégie de régénération des ressources, de promouvoir des règles qui excluaient des forêts communales les personnes n'appartenant pas à la communauté.

Il faut malheureusement reconnaître que la pratique est souvent bien différente: les agences ont tendance à faire la sourde oreille aux informations qui proviennent des diagnostics rapides et à continuer dans la voie initialement tracée pour leur projet. A long terme, ce genre de projet est voué à l'échec, mais cela ne ressort pas clairement à court ou à moyen terme. Un projet qui décide d'utiliser des méthodes comme le diagnostic rapide devrait être disposé à incorporer les leçons apprises sur le terrain et à effectuer, dans la mesure du possible, les ajustements nécessaires de son programme. Mais cela met souvent les responsables du projet sur le terrain dans une situation difficile, car ils doivent chercher à persuader leurs collègues de l'agence de l'importance d'adapter le projet aux circonstances locales. Selon l'attitude de leurs collègues et la souplesse de l'agence, cela peut entraîner une situation de conflit, ou au contraire déboucher sur une démarche d'adaptation très encourageante, grâce à une amélioration de la communication avec la population bénéficiaire.

Planification participative et perte de contrôle

Les meilleurs diagnostics rapides débouchent sur un processus de planification participative dirigé par la population locale, visant l'identification des causes de leurs problèmes et la recherche de solutions. Les intervenants extérieurs peuvent contribuer à l'analyse technique et appuyer la communauté, en apportant certaines connaissances ou ressources financières, mais ils ne sont pas responsables de la démarche. Cette délégation de responsabilité à l'échelon local a un avantage évident: il y a davantage de chances pour que le processus soit viable à long terme et continue au-delà de l'intervention du projet.

Dans de nombreux cas, les bailleurs de fonds ont fait preuve d'une certaine méfiance en ce qui concerne la délégation du contrôle des activités aux acteurs locaux. Une agence d'exécution qui s'est engagée auprès de ses bailleurs de fonds à établir trois boisements communaux et à aménager vingt champs avec des diguettes de pierre, au cours des trois prochaines saisons des pluies, ne sera peut-être pas très disposée à s'engager dans un processus de planification à durée indéterminée. On peut en effet craindre de ne rien pouvoir réaliser de tangible au bout des trois ans ou de trouver un tas de compost à la place des diguettes.

Un projet qui souhaite adopter une démarche plus participative, mais qui est freiné par les attentes des bailleurs de fonds, devra chercher à sensibiliser ces derniers. Pour commencer, on peut réaliser un petit projet pilote articulant diagnostic rapide et planification participative. On peut inviter des personnes clés de l'agence donatrice à participer aux activités de recherche et de planification pour leur montrer l'importance de la démarche participative, et les convaincre d'accepter de financer à l'avenir des activités non complètement prédéfinies.

Actions créatrices mais illégales entreprises par les villageois

Il n'est pas rare que des exercices de diagnostic rapide aboutissent à la formulation de stratégies de gestion des ressources locales très créatrices et efficaces, mais qui sont en contradiction avec les législations nationales. Par exemple, certains habitants empruntent ou même vendent des terres, ce qui n'est pas autorisé par les lois foncières du pays. D'autres procèdent avec grand soin à la taille des arbres quand ils le jugent nécessaire, alors que toute coupe implique une autorisation. Ce genre de pratiques posera des problèmes à un projet qui souhaiterait mentionner ces stratégies et peut-être même les recommander. Dans ces cas, les solutions dépendent essentiellement de la réaction des autorités impliquées. Il ne faut en aucun cas que les informations émanant d'un diagnostic rapide puissent être à l'origine de sanctions sérieuses pour le village qui les a fournies. Tout gouvernement tant soit peu intéressé aux problèmes locaux profitera de ces renseignements pour entamer un dialogue sur les aspects positifs de la législation, les alternatives et les conséquences pour la population locale. Cela constitue un autre exemple du rôle éducatif et formateur des diagnostics rapides auprès de personnes qui ne connaissent pas bien les réalités locales.

Danger d'être paralysé par des situations très complexes

Après avoir étudié à fond une région, les chercheurs sont parfois découragés par la complexité de la situation foncière. Tout bon diagnostic rapide cherchant à identifier les auteurs des règlements ou des lois et à voir à qui ils profitent touche forcément aux rapports de pouvoir, identifiant ceux qui en sont démunis et ceux qui l'exercent. Cette démarche documentera ces thèmes, mais ne peut en aucun cas fournir des réponses faciles à des problèmes fondamentaux et complexes.

Lors du choix des orientations des activités des projets en matière de ressources naturelles, on pourra rencontrer des difficultés liées à l'existence de dispositions foncières locales qui semblent en contradiction avec les politiques nationales. Il faudra opérer des choix complexes quant au cadre d'exécution des activités, choix rendu encore plus difficile par la diversité des intérêts auxquels doivent répondre la plupart des projets. En effet, les projets ont de nombreux interlocuteurs parmi lesquels on trouve la population locale, les élites locales et les responsables administratifs à tous les échelons, dont les intérêts et les attentes ne sont pas forcément convergents ni compatibles. De plus, d'autres personnes ou groupes extérieurs qui souhaitent bénéficier des avantages de cette intervention s'intéresseront de très près aux activités du projet.

Mais encore une fois, qui dit information ne dit pas nécessairement solutions claires et nettes, car si certains systèmes fonciers locaux ont l'avantage d'être tout à fait adaptés aux problèmes de la communauté, ils n'auront pas toujours la capacité de protéger les utilisateurs des ressources en cas de pressions extérieures. Les autorités peuvent accepter ou refuser des projets ayant des répercussions sur les régimes fonciers locaux. Dans certains cas, elles fermeront délibérément les yeux sur l'existence de régimes fonciers locaux (préférant même parfois décentraliser la prise de décisions en la matière), alors que dans d'autres cas elles feront preuve d'hostilité à leur égard et s'efforceront de faire appliquer les réglementations nationales au niveau local.

Il n'est pas possible de suggérer des recommandations qui puissent être valables pour tous les cas de figure sur des questions aussi complexes, et il faut se contenter d'une simple mise en garde. Tous ceux qui se lancent dans des recherches sur ces questions doivent savoir que la collecte d'informations ne débouche pas automatiquement sur des réponses limpides, et que souvent au contraire les implications profondes peuvent se révéler problématiques. Une incapacité à faire face à la complexité des réalités locales entraîne souvent une paralysie.

Des informations de qualité peuvent, pour la plupart, déboucher sur des actions positives, même si cela implique une remise en question par les chercheurs et les responsables du projet, qui doivent revoir leurs hypothèses de départ et leur approche. Un bon diagnostic rapide soulignera les différences d'approche entre les membres de la communauté et les intervenants extérieurs. Il mentionnera les rapports de pouvoir. Tout cela risque de déboucher sur des dilemmes difficiles, mais il vaut beaucoup mieux poser franchement les problèmes et chercher des solutions que de faire comme si de rien n'était.

Il n'est pas facile de faire face aux questions que pose une recherche participative, car les délais fixés par les donateurs et les autorités sont toujours très serrés. Si l'on souhaite obtenir des résultats positifs avec des méthodes participatives, les intervenants extérieurs doivent accepter avec humilité qu'ils ne détiennent pas toutes les réponses aux difficiles problèmes du développement. Il leur faudra accepter de déléguer leur autorité au cours du processus de planification et de laisser davantage de place aux habitants de la région, afin que ceux-ci puissent prendre des responsabilités. Ils devront aussi faire preuve d'une plus grande ouverture d'esprit face aux résultats imprévisibles d'un tel procédé. Il est plus facile d'ignorer des différences que de se pencher sur les questions institutionnelles qu'elles impliquent, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut fermer les yeux. En fin de compte, la collecte de bonnes informations n'est que le premier obstacle à dépasser. Il faut de plus se servir de tous ces renseignements pour travailler de façon plus efficace avec les populations rurales. Sinon, la participation, qui est au cœur de tout diagnostic rapide, ne sera en fait qu'un fardeau supplémentaire pour les pauvres. Voilà un défi sérieux que doivent relever tous ceux qui se servent de ces techniques et en sont les avocats.


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