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7.4 L'organisation de la gestion

Les stratégies économiques des éleveurs ont souvent des répercussions sur les ressources naturelles. La maximalisation des troupeaux (jusqu'aux limites imposées par la disponibilité de main-d'oeuvre et la capacité de charge écologique) est souvent la seule solution dont ils disposent pour faire face à une pénurie de ressources à court terme; mais cette méthode peut avoir une incidence négative sur les parcours. Un "faible" taux d'élimination (par rapport aux critères occidentaux) est en réalité nécessaire pour maintenir la capacité reproductive du troupeau sur une période plus longue. La diversification du troupeau permet une utilisation plus rentable des ressources. Lorsque le système de production est axé sur le lait plutôt que sur la viande, un plus grand nombre de personnes peut subsister sur les mêmes terres. Les systèmes formels de redistribution (par exemple, les prêts de cheptel) assurent une certaine égalité ainsi que la dispersion du bétail parmi les ménages et sur les parcours.

Les stratégies d'urgence, souvent appliquées en temps de sécheresse ou d'épidémies graves, étaient des activités temporaires grâce auxquelles les habitants et les animaux quittaient, pour une période limitée, les pâturages affectés. Ces dernières années, cependant, les périodes de crise ont été longues et ces stratégies temporaires sont devenues permanentes. Beaucoup d'éleveurs ont été obligés de faire un choix définitif entre différents systèmes de production. Un grand nombre, qui reste cependant difficile à évaluer avec précision, sont devenus cultivateurs ou ont entrepris d'autres activités. Néanmoins, la plupart des éleveurs et de leurs familles n'ont pas encore fait de choix définitif; sans abandonner complètement l'élevage, ils orientent certains membres de la famille vers d'autres activités. Le ménage bénéficie à ce moment-là du revenu que ces personnes leur envoient, mais doit faire face à des problèmes de main-d'oeuvre.

Dans le cadre du système pastoral traditionnel, il n'existe pas de terres non utilisées, ou n'appartenant à personne, même si parfois les droits sur une terrain particulier font l'objet d'une dispute. La propriété collective des parcours ou des terres boisées se situe parfois au niveau de la tribu; il arrive aussi que les droits de propriété soient distribués à un niveau inférieur de la hiérarchie socio-politique. Le niveau le plus bas, auquel les terres ne sont plus redistribuées, est parfois celui des associations ne dépendant pas de liens de parenté, ou bien celui des groupes de parenté tels que les clans, les unités d'élevage, et même les ménages individuels. Les limites territoriales de chaque tribu sont généralement très claires et suivent la configuration topographique des lieux. Il arrive cependant que les territoires de deux tribus voisines et amies coincident en partie. Les lignes de démarcation entre territoires sont plus nettes au niveau des tribus qu'à l'intérieur de chaque tribu. Il est rare que des terres soient interdites aux étrangers, mais il est aussi rare que des étrangers demandent à utiliser des terres qui ne leur appartiennent pas, à moins d'être sûrs à l'avance d'être bien reçus.

Le plus souvent, les droits de propriété sur un terrain donnent aussi droit à l'eau, aux arbres, à la faune et aux minéraux. Il existe cependant des exceptions à cette règle. Certains groupes reconnaissent des droits de propriété sur un arbre particulier ou sur un bosquet, indépendamment des droits sur les terres en question. Il arrive que les droits sur les puits appartiennent à des niveaux socio-politiques différents que les droits sur la terre. En général, lorsque la récolte des ressources naturelles est importante du point de vue économique pour le groupe en question, le régime de possession est différent (et se situe à un niveau socio-politique inférieur) de celui des terres sur lesquelles se trouvent ces ressources. De même, les droits sur les ressources sont appliqués avec plus de rigueur lorsque celles-ci ont une plus grande valeur ou sont utilisées plus souvent.

La nationalisation des terres a enlevé aux peuples pasteurs le contrôle de jure sur les parcours. Si la plupart des éleveurs continuent d'utiliser les mêmes pâturages, c'est grâce aux droits de préséance qu'ils ont acquis historiquement et aux droits de propriété SUI les puits, et non à un contrôle actif de la part de la hiérarchie politique de la tribu. Le contrôle de facto sur les territoires traditionnels s'est davantage affaibli aux niveaux socio-politiques inférieurs qu'au niveau de la tribu, ce qui porte à penser que la nationalisation des terres n'est pas seule responsable de la désintégration du système des terres tribales. La privatisation des parcours communautaires et la fragmentation des terres traditionnellement privées, est en augmentation dans les régions où la pénurie des ressources est ressentie avec le plus d'acuité.

Le nombre d'éleveurs ayant des réserves de pâturage et des réserves de terres boisées est plus élevé qu'on ne pensait. Les réserves de pâturage peuvent être saisonnières, ou établies à court ou moyen terme, et elles s'appliquent aux routes de passage et aux pâturages saisonniers. Elles ont pour objectifs d'arrêter la poussée des cultures, de permettre au bétail l'accès aux points d'eau et à d'autres pâturages, de réserver des pâturages pour les périodes de sécheresse, et de régénérer les régions dégradées. En outre, des terres sont parfois réservées à l'intention de certains types de bétail, surtout autour des agglomérations et des points d'eau.

Les réserves forestières sont soit des réserves de bois d'oeuvre où sont permises des coupes limitées, soit des réserves saisonnières ou à court terme où toute intervention est interdite pour permettre la régénération. Les bosquets sacrés et les lieux sacrés sont des réserves plus petites où toute intervention est interdite en permanence, et qui ont une signification religieuse et symbolique. Parfois on y plante de nouveaux arbres. Les bosquets sacrés sont le plus souvent petits, mais on en a signalé quelques-uns dont la superficie dépassait 3 hectares. Ces réserves sont une sorte de réservoir génétique in situ.

La plupart des réserves de pâturage et des réserves forestières ont été abandonnées parce que les droits traditionnels sur les territoires ne sont plus respectés, les ressources sont moins abondantes, les cultures ont envahi les réserves et même les gouvernements y ont construit des forages. Ces réserves peuvent souvent être réhabilitées là où elles avaient été abandonnées pour des raisons autres que l'épuisement des ressources. S'agissant des bosquets sacrés, une autre raison vient s'ajouter à ces causes d'abandon: la perte de leur signification religieuse et mystique. Dans quelques cas, les gouvernements ont pu les réhabiliter et les utiliser comme point de départ pour des parcs et des réserves plus vastes.

Le respect des droits territoriaux et des droits sur les ressources dépend autant de principes fondamentaux que du pouvoir socio-politique. Trois principes essentiels (droit du premier occupant, préséance historique, et droit venant d'une occupation continue) sont universellement acceptés. Le respect d'autres règles est garanti par le pouvoir politique des chefs, la menace d'être mis au ban du groupe social, la force des traditions, les malédictions et l'autorité religieuse, ainsi que par le système des obligations réciproques. Le respect des règles est assuré par différents moyens: les membres du groupe se surveillent constamment les uns les autres, mais il existe aussi des juges, des cours de justice, des sanctions et dans quelques cas très rares la surveillance par une "police" non officielle. Enfin, les guerres entre tribus et les combats entre éleveurs sont aussi un moyen de résoudre les litiges.

En général, les mesures de mise en application socio-politiques sont les premières à disparaître lorsqu'une société commence à s'effondrer. Le pouvoir des cours de justice, des juges, etc. dépend des circonstances particulières et de la mesure dans laquelle certaines politiques du gouvernement, telles que la pacification et l'imposition d'autorités "locales", sont appliquées. Les principes fondamentaux sont les derniers à disparaître et sont encore bien souvent respectés.

7.5 L'enseignement

Dans le cadre du système d'enseignement traditionnel, les connaissances techniques pastorales et les systèmes de conduite sont transmis aux jeunes par une formation pratique, par des enseignements au moment des cérémonies d'initiation, et par des jeux d'enfants. L'instruction traditionnelle est normalement moins chère que l'instruction moderne; elle a aussi l'avantage de ne pas réduire la main-d'oeuvre disponible. Les écoles modernes assurent l'alphabétisation, si nécessaire à la vie moderne, mais le contenu de leur enseignement est trop éloigné de la réalité de l'éleveur. Ils préparent les jeunes à passer leurs journées assis dans un bureau, et n'enseignent pas les valeurs associées à la terre. Les techniques traditionnelles d'enseignement sont encore intactes, même si elles encure de moins en moins utilisées à mesure que les jeunes quittent les parcours. Elles pourraient être utilement adaptées aux activités de développement. Une décentralisation de la structure scolaire permettrait d'associer l'instruction formelle et l'enseignement traditionnel.

7.6 Conclusions

En général, nous pouvons dire que toute pratique ou connaissance est viable tant qu'elle est utilisée, même si ce n'est que par une petite portion de la population. Tant que la cohésion sociale et l'autorité politique sont encore intactes, la coopération communautaire en vue de l'aménagement des ressources naturelles est encore effective, même si de jure le régime foncier a été détruit. Dans la plupart des cas, les connaissances descriptives se sont beaucoup mieux conservées que les pratiques de gestion et les structures d'organisation.

Aujourd'hui les situations changent si rapidement en Afrique que les conclusions que nous pourrions tirer ici ne seraient vraisemblablement plus valables dans quelques années. C'est pourquoi quelques-unes des études mentionnées ci-dessus ont besoin d'être ravisées. En outre, chaque fois qu'on désire incorporer des SLCG dans la conception d'un projet de développement, il importe d'entreprendre d'abord des enquêtes sur le terrain pour mettre à jour et vérifier les renseignements dont on dispose sur les SLCG en question.

La viabilité d'une technique donnée ou d'un système de connaissances peut être vérifiée moyennant l'application de plusieurs techniques complémentaires. Premièrement, il faut développer une méthodologie solide pour la collecte des données sur les SLCG. Plusieurs bonnes méthodologies, presque toutes essentiellement fondées sur une méthode de recherche-action éliminant les détails inutiles et rassemblant les techniques les plus importantes, ont été développées et testées par différents chercheurs. Deuxièmement, l'attitude des populations locales à l'égard du SLCG doit être étudiée et comprise, par le bais d'entretiens formels et non formels. Il serait absurde d'essayer de réhabiliter un système qui, aux yeux des habitants, est inutile. Troisièmement, des activités pilotes ayant pour objet la réhabilitation d'une partie du SLCG sur une base expérimentale pourraient constituer un dernier test décisif et servir à formuler des orientations de caractère général pour l'analyse de la viabilité d'autres SLCG.

Certaines conditions générales doivent être réunies avant qu'un SLCG ne puisse être utilisé dans le cadre d'un programme de développement. Dans certains cas, l'abandon complet du système pastoral provient du fait que des familles entières choisissent d'autres activités; dans d'autres cas, il s'agit plutôt de jeunes gens qui partent pour aller chercher un travail salarié dans les centres urbains ou dans l'industrie, provoquant une perte importante de main-d'oeuvre pour leurs familles. Avant de songer à réhabiliter les anciens règlements de coopération sur les pâturages ou à en créer de nouveaux, il faut trouver le moyen de retenir les jeunes sur les parcours. En outre, la coordination du pâturage ne peut être réinstituée qu'à condition de réduire la pénurie sous-jacente de ressources, ce qui nécessite une planification rationnelle de l'utilisation des terres, l'interdiction de l'expansion des cultures, ainsi que l'application de techniques d'aménagement et d'amélioration des parcours.

La politique nationale en matière de régime foncier est souvent un des obstacles qui s'opposent à une bonne gestion des ressources naturelles. La décentralisation du régime de possession visant à donner aux populations locales plus de contrôle sur les ressources naturelles est à prendre en considération. Mais c'est là une question délicate du point de vue politique, car une telle décentralisation pourrait créer ou aggraver les conflits et la concurrence au niveau régional. Il faudrait donc étudier avec prudence le mécanisme par lequel elle pourrait être réalisée.

La conception, l'élaboration et la mise en oeuvre des projets doivent être plus souples: en disposant de davantage de temps et en élargissant le champ d'application des projets il est possible de mieux prendre en compte les SLCG et la participation des populations. L'attitude des experts, des agences d'aide, des fonctionnaires d'Etat et des agents de vulgarisation doit être changée dans le sens d'une plus grande ouverture aux avantages des SLCG. Dans certains cas, il faudra aussi changer l'attitude des populations locales, qui sont habituées à des projets imposés par les autorités.

NOTES

* Des Foulani sont arrivés sur le plateau de Jos au début du siècle. Ils ont trouvé des terres inhabitées, qui n'étaient pas infestées de mouches tsé-tsé et pouvaient être utilisées toute l'année. L'année suivante, ils sont revenus et ont constaté que les cultivateurs Ron s'étaient installés autour de leurs camps et avaient cultivé les terres environnantes, profitant du fumier laissé par leur bétail. Ils ont alors décidé de s'installer à côté des Ron, avec qui ils avaient de bons rapports et qui leur fournissaient par le défrichement de la brousse un excellent pâturage pour la saison sèche (Hickey 1978, p.96).

** Malheureusement, de nombreux rapports n'indiquent pas si le régime foncier qu'ils décrivent s'applique à l'unité sociale la plus basse ou à un niveau plus élevé de la hiérarchie foncière. Par exemple, lorsqu'il s'agit de modes de possession au niveau de la sous-tribu, ils ne spécifient pas si les droits sont ensuite distribués à des niveaux inférieurs ou s'ils sont exploités de manière égale par tous les membres de la sous-tribu.


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